HOMÉLIE SUR LA SAINTE RENCONTE DU SEIGNEUR ET SUR LA PURIFICATION DE LA TOUTE-PURE VIERGE ET MÈRE DE DIEU
(Saint Dimitri de Rostov)
Quarante jours s’étant écoulés après la Nativité de notre Seigneur Jésus-Christ, le temps de la purification imposé par la Loi fut révolu, et la Vierge-Mère, toute-pure et toute-bénie, quitta Bethléem avec Saint Joseph son fiancé, portant dans ses bras le Christ. Elle fit route pour Jérusalem, afin d’accomplir deux ordonnances du Seigneur : obtenir, par les prières du prêtre et l’offrande d’un sacrifice à Dieu, la purification consécutive à l’enfantement, et consacrer son petit Enfant premier-né au Seigneur en versant la somme dictée par Dieu à Moïse.
En effet, comme le prescrit la Loi pour la purification de la mère, lorsqu’une femme sera enceinte et enfantera un mâle, elle sera impure pendant sept jours. Le huitième jour, l’enfant sera circoncis. Elle restera encore trente trois jours à se purifier de son sang. Pendant ce temps, elle ne touchera aucune chose sainte et n’entrera pas dans le sanctuaire, jusqu’à ce que les jours de sa purification soient accomplis. Lorsque les jours de sa purification seront accomplis, elle offrira un agneau en holocauste, et un jeune pigeon ou une tourterelle pour le sacrifice d’expiation. Si elle n’a pas de quoi se procurer un agneau, elle prendra deux tourterelles ou deux jeunes pigeons, un pour l’holocauste, l’autre pour le sacrifice d’expiation. Le prêtre priera pour elle et elle sera pure.
Sur la présentation de l’enfant premier-né au Seigneur, il est dit : Consacre-Moi tout mâle premier-né (...) Tu Me donneras le premier de tes fils. Ce don fut prescrit aux Israélites en remerciement d’un grand bienfait reçu en Egypte, où Dieu fit périr les premiers-nés des égyptiens, mais fit grâce aux premiers-nés d’Israël. Depuis cette époque, les Israélites conduisaient leur fils premier-né au temple pour le consacrer à Dieu comme tribut légal, et le Lui rachetaient contre un montant fixé, appelé argent du rachat. Cet argent revenait aux lévites qui officiaient au temple du Seigneur. Selon une coutume instaurée dans le quatrième livre de Moïse, l’argent du rachat se montait à cinq sicles du sanctuaire, à vingt guéras le sicle (Nb.3,47).
Ainsi, la Mère de Dieu se rendit au temple pour se soumettre à la Loi du Seigneur, portant dans ses bras le Législateur Lui-même. Immaculée, sans souillure, incorruptible, et toute-pure, elle venait demander la purification, bien qu’elle n’en eût aucunement besoin. Comment celle qui avait conçu sans volupté et sans le concours d’un époux, qui avait enfanté sans souffrance, qui avait conservé intacte la pureté virginale sans subir la souillure des femmes en couches, qui avait donné naissance à la Source de toute pureté, aurait-elle pu être impure ? D’elle naquit le Christ ! Le fruit n’est pas gâté par l’arbre, l’arbre n’est pas souillé par le fruit : la Vierge sainte resta pure et immaculée après la naissance du Christ, son Fruit béni. Il la traversa comme le rayon de soleil pénètre le cristal, sans la briser ni la ternir. Bien plus, Il rehaussa sa pureté. Le Soleil de justice ne porta pas atteinte à la virginité de Sa Mère toute-pure. L’habituel épanchement de sang ne souilla pas la Porte scellée, marquée du sceau de la pureté. Dépassant la loi naturelle, le Seigneur franchit cette Porte, que gardait la virginité, et en accrut la pureté en la sanctifiant par Son passage, en l’inondant de la lumière divine de la grâce.
Le Dieu-Verbe ayant été enfanté sans corruption, aucune purification n’était nécessaire. Toutefois, celle qui est éternellement pure et sans tache vint la demander, afin de se montrer en toute chose obéissante à la Loi. L’humilité ne souffre pas de s’enorgueillir de sa pureté incorruptible. C’est donc comme une impure que la Toute-Sainte voulut se tenir à l’endroit réservé aux nouvelles mères, devant les portes du temple du Seigneur. Elle attendit là, sans montrer le moindre dédain à l’égard des impures, ou des pécheresses.
Elle offrit le sacrifice, non pas comme les riches, avec un agneau d’un an, mais comme les pauvres, avec une tourterelle ou deux jeunes pigeons, montrant là aussi, comme partout ailleurs, humilité et amour de la pauvreté. Elle repoussa l’orgueil de la richesse, gratifiant les pauvres et les malheureux de l’or des rois mages, n’en gardant que la moindre part pour son voyage en Egypte.
Ayant offert le couple d’oiseaux, elle présenta son Fils premier-né au Seigneur, remettant à Dieu ce qui est à Dieu, selon la Loi. S’agenouillant devant le Créateur, elle Lui tendit l’Enfant avec grand respect : « Voici Ton Fils, ô Père Eternel, voici Celui que Tu as dépêché ici-bas afin qu’Il s’incarne de moi pour le salut des hommes ! Voici Celui que Tu as engendré sans mère avant les siècles, Celui que par Ta bienveillance, j’ai enfanté sans père à la fin des temps ! Voici le Premier-Né de mes entrailles, le Fils conçu en moi par Ton Esprit Saint, et sorti de moi ineffablement, comme Toi seul le sais ! Voici mon Premier-Né, voici Celui qui T’est consubstantiel, et qui, sans commencement, ne revient qu’à Toi seul, puisqu’Il est venu de Toi sans quitter Sa divinité ! Reçois ce Premier-né avec qui Tu créas les siècles et fis la lumière ! Reçois Ton Verbe, incarné de moi, avec qui Tu affermis les cieux, fondas la terre, et rassemblas les eaux ! Reçois de moi Ton Fils en vue du dessein essentiel que Tu as organisé pour Lui et pour moi comme Tu le sais, pour racheter par Sa chair et Son sang le genre humain! ».
Ayant prononcé ces paroles, la Vierge-Mère déposa son Enfant bien aimé dans les bras du grand prêtre, le représentant de Dieu, comme entre les mains de Dieu Lui-même. Puis elle Le racheta pour le prix mentionné plus haut ; cinq sicles préfigurant les cinq plaies que le Christ subit sur la Croix pour racheter le monde entier de la malédiction de la Loi et de l’oeuvre de l’ennemi.
Selon Saint Grégoire de Nysse, Saint Cyrille d’Alexandrie et Saint André de Crète, le Saint Prophète Zacharie, père du Précurseur, voyant la Vierge toute-pure s’avancer avec l’Enfant du côté des femmes impures pour la purification, la plaça parmi les vierges, là où nulle épouse ne doit se tenir. Les scribes et les pharisiens s’indignèrent aussitôt, mais Zacharie résista, faisant savoir que cette Mère, en dépit de l’enfantement, était toujours vierge et pure. Devant leur scepticisme, il rappela que si toute créature est soumise à la loi de la nature, elle l’est davantage encore au Créateur de cette loi, à qui il revient d’organiser Sa création par Ses mains puissantes, et de faire en sorte, si bon Lui semble, qu’une vierge enfante et demeure vierge après l’enfantement. C’est pourquoi, conclut-il, il n’avait pas exclu la Mère toute-sainte du rang des vierges, elle, la Vierge par excellence.
Sur les entrefaites, voici qu’entra dans le temple, poussé par l’Esprit Saint, Saint Syméon, vieillard juste et pieux, qui attendait la consolation d’Israël en la personne du Messie. Connaissant la prophétie du patriarche Jacob, il savait que le Christ s’approchait, puisque le sceptre de Juda était passé entre les mains d’Hérode. En effet Jacob avait prophétisé que le sceptre ne s’éloignerait pas de Juda que ne vienne la consolation d’Israël, le Christ Seigneur. De surcroît, voici qu’avaient pris fin les soixante-dix semaines de Daniel, annonçant la venue du Messie. L’Esprit Saint avait promis à Syméon qu’il ne goûterait pas la mort avant d’avoir vu le Christ du Seigneur. Et, de fait, quand le vieillard remarqua la Vierge toute-pure, et l’Enfant dans ses bras, quand il perçut la grâce de Dieu qui les entourait tous deux, l’Esprit Saint lui révéla qu’il avait devant lui le Messie attendu. Aussi s’approcha-t-il avec empressement pour Le prendre dans ses bras. C’est avec une joie ineffable, avec crainte et révérence, qu’il rendit grâce à Dieu. Puis il chanta, comme le cygne avant la mort, couronné de ses cheveux depuis longtemps blanchis : « Maintenant, Maître, Tu peux laisser Ton serviteur s’en aller en paix selon Ta parole ! Nulle paix n’habitait mes pensées. Chaque jour j’attendais en priant Ta venue. A présent je T’ai vu, et j’ai trouvé la paix. C’est libéré de toute tristesse que je m’en vais porter la joyeuse nouvelle à mes pères. Je m’en vais annoncer Ta venue dans le monde à Adam notre ancêtre, à Abraham, à Moïse, à David, à Isaïe, et aux autres pères, les saints prophètes. Je vais déverser une joie indicible sur ceux qui, jusqu’à aujourd’hui, n’avaient connu que tristesse ! Laisse-moi partir sans tarder, afin qu’ils se réjouissent en Toi, leur Libérateur ! Laisse partir Ton serviteur, qui se languit du repos dans le sein d’Abraham, après ses longues années de labeur ! J’ai vu Ton salut, préparé pour tous les hommes ! Mes yeux ont vu la Lumière destinée à chasser les ténèbres, à éclairer les nations par la révélation de mystères divins encore inconnus. Mes yeux ont vu la Lumière qui a jailli pour la gloire de Ton peuple Israël ! Comme l’a promis en Ton Nom le prophète Isaïe : Je mettrai Mon salut en Sion et Ma gloire sur Israël ! »
En entendant les paroles que le saint et juste vieillard prononçait sur l’Enfant, Joseph le Fiancé et la Vierge Toute-Pure s’émerveillaient. Syméon parlait à l’Enfant comme à un vieillard, il Le priait comme on prie Dieu, qui règne sur la vie et sur la mort, qui peut sans délai laisser partir un vieillard vers l’autre vie, ou bien le retenir encore dans celle-là.
Après son discours, Syméon bénit l’Enfant, puis il glorifia et loua cette Mère tout-immaculée, à qui il avait été donné d’enfanter le Dieu-Homme. Il magnifia aussi Joseph, père adoptif, et digne serviteur d’un tel mystère. Contemplant de ses yeux clairvoyants la Mère Inépousée, c’est à elle, et non à Joseph, qu’il dit encore : « Voici Celui qui est destiné à amener la chute et le relèvement de plusieurs en Israël. La chute de ceux qui ne voudront pas croire Ses paroles, et le relèvement de ceux qui recevront avec amour Sa sainte prédication. La chute des scribes et des pharisiens aveugles de méchanceté, et le relèvement des pécheurs simples et ignorants. Voici Celui qui choisira les insensés pour confondre les sages de ce monde, qui provoquera la chute de la synagogue des juifs de l’Ancienne Alliance, et instituera l’Eglise de la grâce. Voici Celui qui sera un signe de contradiction. On prononcera sur Lui beaucoup de jugements. Les uns Le diront bon, les autres L’accuseront de tromper le peuple. Il sera, comme dit le prophète Jérémie, une cible pour les flèches. On Le suspendra à la Croix, les clous et la lance Le blesseront. Et toi-même, Ô Mère Inépousée, le glaive de la tristesse transpercera ton âme et ton coeur, lorsque tu verras Ton Fils cloué sur la Croix. C’est avec grande douleur du coeur et force sanglots que tu accompagneras à la porte de ce monde Celui que tu enfantas sans souffrance pour le bien de l’humanité ».
Mais voici qu’à ce moment-là se trouvait dans le temple la prophétesse Anne, fille de Phanuel de la tribu d’Aser, veuve avancée en âge. Elle avait vécu seulement sept ans avec son mari depuis sa virginité, et, après son veuvage, elle avait passé tous les jours de sa vie dans le temple à plaire à Dieu, Le servant jour et nuit dans le jeûne et la prière, jusqu'à ses quatre-vingt-quatre ans. Venue elle aussi assister à cette Sainte Rencontre, elle prophétisa sur ce petit Enfant qu’on venait de conduire au temple du Seigneur, s’adressant à tous ceux qui attendaient la délivrance de Jérusalem.
Témoins de toutes ces merveilles, les scribes et les pharisiens étaient courroucés. Ils reprochaient à Zacharie d’avoir enfreint la Loi en plaçant une Mère qui venait demander la purification à l’endroit réservé aux vierges. Ils nourrissaient aussi du ressentiment à l’égard de Syméon et Anne pour leur témoignage concernant l’Enfant, si bien qu’ils ne surent pas garder le silence, et allèrent annoncer à Hérode tout ce qui s’était passé au temple. Celui-ci fit aussitôt rechercher ce Christ, cet Enfant divin, pour Le tuer. Mais il lui fut impossible de Le trouver car, sur un ordre d’en haut, un ange apparut en songe à Joseph, qui prit avec lui l’Enfant et la Mère de Dieu, et les conduisit en Egypte, après un détour par leur ville de Nazareth en Galilée. L’Enfant, quant à Lui, croissait et se fortifiait en Esprit et en sagesse, et la grâce de Dieu était sur Lui.
La fête de la Rencontre du Seigneur fut instaurée sous le règne de l’Empereur Justinien. L’événement était célébré auparavant par l’Eglise, mais d’une façon moins solennelle. C’est ce pieux empereur qui ordonna de l’inscrire au rang des grandes fêtes du Seigneur et de la Mère de Dieu. Voici comment ceci advint...
Sous le règne de Justinien, Constantinople et les régions environnantes connurent une épidémie de peste qui dura plusieurs mois. La maladie apparut dans les premiers jours d’octobre. Au début, on recensait quotidiennement entre cinq et dix mille morts. Il était impossible d’ensevelir tous les cadavres, même ceux des gens riches et honorables, puisque les serviteurs aussi mourraient. A Antioche, le châtiment de Dieu fut plus terrible encore. A la peste s’ajouta, pour les péchés des hommes, un terrible tremblement de terre qui abattit les grandes demeures, les hauts édifices, et les nombreuses églises. Une multitude de gens périt sous les décombres. L’évêque de la ville mourut sous les ruines de sa cathédrale. Pompéopolis en Mysie fut également détruite, et tous ses habitants engloutis par la terre. En ces temps terribles de mort et de perdition, un homme agréable à Dieu eut la révélation qu’il convenait de célébrer l’Hypapante, c’est-à-dire la Sainte Rencontre du Seigneur, au rang des autres grandes fêtes du Seigneur et de la Mère de Dieu.
Quand vint le 2 février, jour de la Sainte Rencontre, on célébra des vigiles. Comme on sortait les croix en procession, l’épidémie de peste cessa, et avec elle le tremblement de terre. On loua fort la miséricorde de Dieu et les prières de Sa Mère toute-pure.
Qu’au Christ notre Dieu soient rendues louange et adoration et à Sa Mère, honneur et gratitude, dans les siècles des siècles, amen !
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