« Mémoire éternelle au juste » (Ps.111, 6-7)
Ivan (Jean en français) Pétrovitch Jouravsky naquit le 12/25 septembre 1867, dans le district rural de Laudon près de Madonsk. Son père et son grand-père étaient prêtres, et officiaient tous deux dans l'éparchie orthodoxe russe de Polotsk. Jean mis à part, la famille du père Pierre (1826-1892) et de son épouse, Matouchka Mélanie, comptait quatre enfants: Siméon, qui devint prêtre, et trois filles.
Le grand-père, un esprit brillant, périt encore jeune, lors d'un service religieux (probablement un baptême) chez des particuliers, tué par des schismatiques.
Pierre fut envoyé par sa mère à l'école ecclésiastique de Polotsk, puis il entra au Séminaire de Saint-Pétersbourg, dont il termina le cursus en 1847. L'année suivante, le 7 mars 1848, il fut ordonné prêtre de l'église de Balov dans l'éparchie de Polotsk (actuellement Balvi, en Lettonie). De 1853 à 1856, il officia à l'église de Skrudalin dans l'éparchie de Riga. A partir de 1841, un mouvement du luthérianisme vers l'orthodoxie s'amorçait chez les Lettons et les Estoniens de l'éparchie de Riga. Dès lors, on commença à construire des églises orthodoxes dans les régions baltes et à faire venir des prêtres.
Le père Pierre Jouravsky, voulant être utile à l'orthodoxie au sein du peuple letton, demanda à être assigné à une paroisse dont la majeure partie des fidèles était lettone et où le service religieux se faisait en letton. Par décret de l'archevêque Platon de Gorodetsk et de Mitavsk, il fut nommé prêtre à l'église de Kaltsenav de la surintendance de Kerstenbem.
C'est alors que débuta son sacerdoce parmi les Lettons, qui se poursuivit jusqu'à sa mort dans la même surintendance. Il fut trois ans prêtre à Kaltsenav, officia environ huit ans à Martsien, fut neuf ans prêtre de Golgotha, administra les paroisses de Stomerz et Boutskovsk, et fut les dix dernières années prêtre auprès de l'église de Lidern à Vidzem. Il officia 44 ans avec comme prêtre.
Le père Pierre était un homme simple et sociable, dévoué au service de Dieu. Où qu'il officiât, il faisait toujours bonne impression. A la fin de sa vie, il reçut de Dieu le don de la prière pure. Les paysans venaient de loin prier auprès de lui, qu'ils fussent orthodoxes ou luthériens. Quel que soit son état de santé, et même s'il était malade, il se rendait au premier appel chez ses paroissiens pour des offices et des prières, à n’importe quel moment, et par tous les temps.
Il connut beaucoup d'afflictions durant sa vie, dans cette région où l'on ne partageait pas sa foi. Le père Pierre Jouravsky mourut le 10 juin 1892. L'office des défunts fut célébré par huit clercs, dont deux de ses fils, le prêtre Siméon et le diacre Jean Jouravsky, à la tête desquels il y avait le surintendant de Kerstenbem, père Basile Pokrovsky. La liturgie se fit en letton, et l'office des morts en slavon.
Environ 2000 personnes assistèrent à l'enterrement. La journée était claire et tranquille, les chants magnifiques. On ressentait dans l'atmosphère de recueillement l'importance exceptionnelle de l'événement.
Le père Jean Jouravsky s'adressa plus d'une fois à son père pour lui demander de l'aide, et la reçut (cf « Journal d'un vieux prêtre »).
Dans son enfance, le petit Jean Jouravsky vit des anges, et cette vision mystérieuse marqua son âme de l’empreinte divine. Il est probable que dans son enfance, avec son frère Siméon et ses soeurs, il se rendait régulièrement aux services à l'église où officiait son père, aidant à chanter dans le choeur. Le petit Jean aima très tôt le chant d'église et la prière.
Ayant quitté l'école en 1884, Jean Jouravsky entra au Séminaire de Riga qui se trouvait, comme l'église de la Protection attachée au Séminaire, au 9 du boulevard Kronwald (actuellement la faculté de l'institut de médecine de Riga). Quand les études lui laissaient du temps, il chantait dans le choeur archiépiscopal de Riga, dans la Cathédrale de la Nativité, sous la direction du maître de chapelle Kislov, un ancien élève du directeur de la maîtrise de Saint-Pétersbourg, le compositeur Alexandre Lvov. Il acquit de profondes connaissances dans le domaine du chant d'église, ce qui lui permit, en 1900, de faire paraître un recueil liturgique pour le chant d'église en letton, avec des partitions (éd.Riga 1900), dont les fidèles se servirent largement dans les paroisses lettones. Le père Jean disait à ses paroissiens que la prière est le chant de l'âme à Dieu. « Il faut prier comme on chante, les chantres sont les lumières de la maison de Dieu ». Il aimait particulièrement l'Hymne des Chérubins (no 69), Milost Mira (nos 11, 12, 13 dans le Livre de chant).
Préoccupé par le chant d’église et la prière commune, par une prière du prêtre qui soit « avec le peuple, et pas à la place du peuple », il présenta à la publication à la fin des années 30 un recueil de poche au format pratique à l'intention des paroissiens, le livre d'heures /Pesnoslov/ (Vigile, Liturgie, Vigile de jeûne), afin d’uniformiser le chant dans les églises orthodoxes, les écoles et les familles. Malheureusement le recueil a été perdu pendant la deuxième guerre mondiale. Il serait bon qu’un tel recueil puisse être édité par les héritiers spirituels du Père Jean. Peut-être ce recueil a-t-il été conservé par l'un des lecteurs de ces lignes?
En 1890, à la fin du séminaire, Jean fut sacristain à Vindava (Ventspils), à l'église de Tous-les-Saints de Zamkov dont le supérieur était le célèbre père Basile Aliakritsky. En 1891, Jean fut sacristain à la paroisse lettone de l'Ascension à Riga (rue Menes). Le 19 février 1892, l'Archevêque Arsène (Briantsev) l'ordonna diacre auprès de l'église du Saint-Esprit de Jakobstadt, et, le 12 février 1895, prêtre auprès de l'église de Martsien à Vizdem (où son père avait officié). Ici, à Martsien, le père Jean Jouravsky continua l'oeuvre sainte de son père: il restaura l'iconostase de l'église Saint-Alexis (1898), et fit construire une chapelle en l'honneur de Saint Alexandre Nevsky dans le cimetière orthodoxe (1897), ainsi que l'école ecclésiastique de paroisse de Martsien (1899). Son activité fut plusieurs fois remarquée avec reconnaissance par l'archevêque de Riga Agathange (Preobrajensky).
On sait des années de service du père Jean à Martsien qu'il était un enseignant accompli, bon, doux, et affable. Sa bonne âme portait la Parole de Dieu à ses élèves sous une forme non altérée, dans la lumière de l'amour et de la prière.
En 1900, le saint et juste père Jean (Serguiev) de Cronstadt[1] se rendit à Riga et Vindava (Ventspils). A Riga il célébra la Divine Liturgie (ou un moleben) dans l'église de la Consolation-de-tous-les-affligés, et le 12 mai, à Vindava, un moleben pour la consécration d'un sanatorium d'enfants, ainsi qu'une Liturgie à l'église. A Vindava toujours, le père Jean de Cronstadt concélébra avec des prêtres de l'éparchie de Riga, le père Basile Aliakritsky, le père Vladimir Pliss, le sacristain de la Cathédrale, père Winter, le père Jankovitch, le père Tserin. Il est possible que le père Jean Jouravsky ait rencontré le père Jean de Cronstadt à ce moment dans l'église de la Consolation-de-tous-les-affligés, comme il est également possible qu'il l'ait rencontré quand il était encore séminariste lors d'une visite à Cronstadt. Il est uniquement attesté que ce saint prêtre de l'Eglise offrit à Jean un manteau ecclésiastique, et lui confia des enseignements spirituels. Le peuple put dire par la suite: « C'est un don qui a été transmis de Jean à Jean ».
Jusqu'aux dernières années de sa vie, le père Jean Jouravsky conserva le manteau du père Jean de Cronstadt. Une photographie du saint père se trouvait toujours dans l'abside de l'autel. Il s'efforçait de mettre en pratique ses enseignements. Mais quels étaient-ils?
Le père Jean n'accumulait rien, il était l’antithèse du grippe-sou, il distribuait son salaire aux pauvres, il refusa un poste avantageux à la Cathédrale, et prit sur lui la croix de servir dans l'église de la prison de Riga, et dans l'asile de vieillards Sadovnikov. Il enseigna toujours la catéchèse dans les écoles (sauf à l'époque soviétique), ne refusait jamais de donner la communion aux malades, et apportait les Saints Dons à ceux qui désiraient ardemment la visite de Dieu. Il supportait avec douceur de nombreuses afflictions de la part de ses proches, surtout de son épouse, avec laquelle il vivait comme frère et soeur. Il était le meilleur instructeur et confesseur des jeunes prêtres de Riga. Mais, comme il apparaît aujourd'hui pleinement, il fut avant tout un grand homme de prière, priant continuellement, surtout la nuit. On rapporte des cas où il apparaissait aux jeunes prêtres dans leurs rêves en les sermonnant.
Le père Jean Jouravsky célébrait la Divine Liturgie remarquablement. Ses enfants spirituels considèrent que ce don lui venait du père Jean de Cronstadt. Il officiait avec ferveur et dans une stricte observance du rite. Le chant était harmonieux et empreint de l’esprit de la prière. Le père était souvent à genoux dans l'Autel.
Durant le service, le père Jean put parfois voir le monde invisible, et notamment les âmes des défunts. Ses célébrations pouvaient remplir de crainte. Avec l'audace du père Jean de Cronstadt, le père faisait lire les prières secrètes à haute voix, et ouvrait les Portes Royales pendant le canon eucharistique. La commémoration des vivants et des défunts était lue deux fois à haute voix, pendant la prothèse et la Liturgie.
L'église de la Consolation-de-tous-les-affligés où il officiait était toujours comble, alors que celles qui se trouvaient à côté étaient vides. Les fidèles racontent que le service dans l'église de la Consolation commençait à 8h du matin et se terminait à 3h de l'après-midi. Puis tous allaient à lui pour lui demander conseil, comme à un starets, et pour recevoir sa bénédiction. On quittait l'église pour rentrer chez soi avec des ailes, si puissante était la grâce s'épanchant sur les gens.
Le père Jean Jouravsky reçut de Dieu d'autres dons : le don de guérison - il arrivait qu'il guérisse par onction d'huile sainte - le don de clairvoyance, qui se manifestait dans la précision de ses conseils, dans la vision de ce qui avait été, ou qui allait arriver. Il prévenait ses ouailles des dangers, voyait spirituellement, « saisissait » l'homme en son entier. La prière du starets apportait protection et secours.
A partir de 1902 et jusqu'à l'exode de 1915 (quand l'Allemagne occupa la Lettonie) le père Jean Jouravsky officia à l'église Saint-Nicolas de Vindava. Où était le père pendant les années de l'exode (1915 à 1918), on l'ignore. Mais il y a des témoignages qui attestent qu’il se serait rendu à Kiev où il aurait eu des entretiens spirituels. Nous devons à sa plume un poème inspiré, « Sur le christianisme intérieur », qui est une synthèse de l'enseignement orthodoxe des Saints Pères sur le « travail de l'intelligence »et la prière intérieure. Ce poème devint le livre de chevet de beaucoup, laïcs ou prêtres. Il fit comprendre la prière, l'humilité et, avant tout, la recherche assidue du Royaume de Dieu, à de nombreuses personnes. Ce livre appartient au « premier » Jouravsky (il l'écrivit à l'âge de 40/50 ans), son style est élevé, inspiré. (L'auteur dit dans l'introduction qu’il est le « fruit de quarante ans passés à écouter attentivement la Symphonie Divine des Saints Pères de l'Eglise Orthodoxe ». En 1918 le Père avait 51 ans). Le père Jean a laissé quelques dizaines de milliers de réponses aux lettres de ses enfants spirituels. Mais, malheureusement, les archives du starets ont été perdues après sa mort, les lettres ayant été portées hors des frontières de la Lettonie sans que nous ayons pu les découvrir. La collection de ces lettres et leur publication est peut-être l'étape suivante dans l'étude de la vie du père Jean.
De 1920 à 1940, le père Jean fut prêtre attaché auprès des prisons de Riga. Il officia dans la Prison centrale de Riga, rue Matis, où se trouvait depuis l'époque du Tsar l'église Saint-Nicolas, et dans la prison de transfert à Riga, où se trouvait l'église Saint-Serge. Il se rendait également à l'asile de vieillards. Le père Jean rappelle à ce moment-là Saint Nicolas le bon pasteur. Les nombreuses poches de son manteau étaient toujours pleines de cadeaux pour les détenus. Pour les Grandes Fêtes, il faisait le tour des cellules avec des sacs pleins de cadeaux.
Dans la prison, il fonda quatre choeurs et deux bibliothèques de littérature spirituelle: par le chant et la prière, les âmes perdues revenaient à Dieu. Les détenus préparaient pour l'église différents articles, par exemple des châssis ciselés pour l'Evangile (presque comme dans les maisons du Labeur du père Jean de Cronstadt). On raconte que beaucoup de détenus revinrent à l'Eglise, et que le père Jean en aida beaucoup à sauver leur âme.
A l'époque soviétique l'église de la prison ferma, les livres furent ôtés à la bibliothèque, l'église de l'asile fut détruite et pillée. Il est étonnant et miraculeux que le père ait été épargné par Dieu lors de ces désastres. Les allemands arrivèrent en 1941. La Gestapo et les SS firent fusiller en masse les juifs de Riga. Le père baptisa de nombreux juifs et les sauva ainsi de la mort spirituelle et physique. Il pouvait lui en coûter d'être fusillé. Mais Dieu le protégea.
1944. Les troupes soviétiques étaient de nouveau à Riga. Fallait-il se sauver? Un groupe de 25 personnes, constitués de prêtres avec à leur tête l'évêque de Riga Jean (Garklavs), partit pour toujours. Le père demanda à son icône bien aimée de la Mère de Dieu de Kazan, avec laquelle il parlait toujours, s'il devait partir ou non. La Mère de Dieu hocha la tête avec désapprobation: « Ne pars pas ! »
Depuis 1940 et jusqu'en 1962 le père Jean Jouravsky fut le doyen de l'église de la Consolation-de-tous-les-affligés où le père Jean de Cronstadt officia un jour. C'est le dernier lieu où il officia. En 1940, il avait déjà 73 ans. Il se consacrait là entièrement à son activité de pasteur, et à la prière. Il avait derrière lui une grande expérience du service. Mais il faut « souffrir jusqu'au bout ». Il est dangereux de s'assimiler au riche de l'Evangile qui, ayant amassé des biens, se tranquillise. Le père officia sans défaillir. Il aimait surtout prier la Mère de Dieu, lui consacrer des acathistes. Il aimait beaucoup les enfants qu'il « jaugeait » dès le sein de leur mère, qu'il voyait quand ils n’étaient pas encore nés. Il câlinait toujours les enfants, leur donnait des bonbons. Ses sermons étaient audacieux, directs, accusateurs, il répondait à toutes les questions de ceux qui venaient le voir. Il parlait ouvertement du communisme sans Dieu. Il était observé par des espions délateurs, mais Dieu le protégeait. Le plus important est qu'il enseignait aux paroissiens la prière, la principale vertu du chrétien.
L'attitude du père Jean envers le mystère de la mort, le monde des défunts, est édifiante. Il avait une riche expérience des révélations surnaturelles, visions des âmes des saints auprès des reliques desquels il priait, et des âmes des défunts dans les cimetières et dans l'église pendant le service, surtout pendant la Divine Liturgie. Ceux pour qui il priait lui apparaissaient. La prière du starets était si forte qu'elle révélait le monde invisible. Il disait qu’il faut prier pour les défunts en versant des larmes. Son âme était toujours proche de ceux pour qui il priait, et des effets mystérieux s'en suivaient. Ses enfants spirituels ressentaient physiquement la proximité du starets, sa présence.
Cet enseignement vivant sur le monde de ceux qui se sont endormis et nous ont précédé dans le Seigneur, car « Dieu n'est pas le Dieu des morts, mais le Dieu des vivants » (Marc 12,27) est très important pour la conscience rationnelle actuelle, souvent froide et ignorante des liens vivants avec les défunts, de leur réelle proximité.
Pendant les dernières années, alors qu'il avait 90 ans passés, une lumière particulière rayonnait autour de lui. Souvenons-nous de Saint Séraphin de Sarov que Dieu prépara 47 ans à servir les gens, puis qu'Il révéla à tous. Il en est de même pour le père Jean. A la fin de sa vie, il fut un starets, un « père doré », comme on l'appelait dans le peuple. Il fut un véritable guide spirituel venant de Dieu. On venait le voir de la Russie entière et même de l'étranger. Il écrivait chaque jour des dizaines de lettres et apportait encore et encore de l'aide... Il « réunissait en Christ » le troupeau du Christ. Il était un proche ami de l'ancien starets de Valaam, le père spirituel de l'ermitage de Riga de la Transfiguration du Sauveur, le père archimandrite Kosma (Smirnov). Il était le père spirituel de nombreux pères spirituels.
C'est à ce moment-là que le Seigneur éveilla en lui le don de voir le futur. Il parlait de la sainteté de la terre lettone, de sa future libération, des futures afflictions, des châtiments de Dieu, de ce que « vos enfants vont encore étudier la Loi de Dieu » et de beaucoup d'autres choses, et tout se réalisait effectivement. A la fin de sa vie le père Jean dut endurer des persécutions. D'abord ce fut un avertissement émanant de ses propres confrères serviteurs du culte, suivi d'un décret officiel interdisant de mentionner dans les sermons des « expressions, exemples et faits corrupteurs et malséants » (sans doute sur les communistes), et demandant de « se limiter strictement pendant le Service aux indications du livre de service...ouvrir les Portes Royales au moment fixé ». Puis, deux ans avant sa mort (le starets l'avait prédit), sur dénonciation de ses confrères, il fut écarté des offices à l'église de la Consolation-des-affligés et on l'obligea à écrire lui-même sa demande de congé. Il avait 95 ans, mais il pouvait encore officier, lui qui avait déjà tant fait pour l'Eglise du Christ... La paroisse de l'église de la Consolation-des-affligés écrivit à l'archevêque pour défendre le père: « Nous tous ici avions une famille, une maison. Nous avons presque tous une prière commune de dix, douze ans avec le père Jean, agenouillés devant l'autel. Nous Vous prions, Très saint et vénéré Evêque... Permettez-nous de nous réjouir dans nos afflictions quotidiennes qui sont déjà pénibles. Car nous n'aurions pas de plus grande joie que de retrouver et de revoir l'archiprêtre Jean auprès de l'autel de la Consolation-de-tous-les-affligés, duquel il a été si impudemment chassé! » Hélas, l'évêque n'entendit pas la voix du peuple...
Le père avait prédit que quand il serait écarté et mourrait, l'église serait détruite. Ce fut la seule église détruite à Riga pendant l'époque soviétique. Et on peut se demander pourquoi. Si nous-mêmes, orthodoxes, n'avions pas trahi notre starets, les ennemis extérieurs auraient-ils pu nous vaincre?
Oui, nous sommes invulnérables tant que la paix est avec nous. Cela vaut la peine d'y penser. A tous les destructeurs d'églises, ceux qui ont détruit en 1925 la chapelle de la Mère de Dieu de Kazan sur la place de la gare à Riga, ceux qui ont fermé la cathédrale de la Nativité et ceux qui l'ont calomnié, le starets a prédit le châtiment de Dieu, et il s'est accompli de son vivant, pour tous, et rigoureusement.
Le père mourut le dimanche des Rameaux, le jour de l'Entrée du Seigneur à Jérusalem, le 31 mars 1964, et nous croyons qu'il est entré au Royaume des Cieux. L'office des défunts fut célébré à l'église Saint-Jean-le-Précurseur à Riga le 4 avril, la veille du Vendredi Saint. Vingt prêtres de l'éparchie orthodoxe russe de Riga, avec à leur tête l'évêque Nikon (Fomitchev) de Riga et de Lettonie, participèrent au service funèbre devant une affluence nombreuse. La tombe du starets au cimetière se trouve du côté droit de l'église Saint Jean le Précurseur, et presqu'en face de l'entrée dans l'ancienne église Notre-Dame-de-Kazan.
Je confesse ma faiblesse à écrire ces pages sur un starets dont la dimension spirituelle est incommensurable. Que puis-je ajouter en conclusion? En lisant les souvenirs des enfants spirituels du père Jean, en discutant avec de nombreuses personnes qui l'ont connu et ont reçu de lui une aide spirituelle, on voit à quel point le starets rappelle de façon étonnante la sainte figure de Saint Nicolas le Thaumaturge: son enseignement spirituel, son calme, sa douceur dépourvue de hargne ou de gloriole, sa générosité, son détachement, son soucis des opprimés, des détenus, des affamés à qui il portait les saints Mystères, des pauvres qu’il habillait, sa pureté de cœur, la force de sa prière qui pouvait obtenir la guérison de nombreuses personnes, sa clairvoyance qui lui permettait de prévoir les malheurs, les afflictions, et la perte des ingrats.
La vie du père Jean Jouravsky ne se termine pas là. Il disait lui-même: « Quand je mourrai, venez prier sur ma tombe, mais seulement après l’office, car pendant l’office, je suis à l'église ». Ceux qui viennent y prier savent qu’il accorde son aide. Ils trouvent guérison, bénédiction, et une oreille attentive à leur demande.
CONCLUSIION
Qu'est-ce qui a fait du père Jean un starets? Comment un prêtre marié, célébrant dans une paroisse, a-t-il pu parvenir à une élévation spirituelle que seuls quelques élus atteignent dans les monastères?
Son ardeur au travail, son abnégation quotidienne et continuelle dans le service, ne lui laissait aucune liberté personnelle. Tout chez lui était consacré à Dieu et aux gens. Sa paroisse et ses enfants spirituels furent le fruit de son sacrifice continuel. On lui disait « va », et il allait, « viens », et il venait (Luc 7,8). On lui adressait une demande et il y accédait, non par peur, mais conformément à sa conscience. Le père Jean assimila complètement les paroles du Christ sur le Jugement dernier, où il est clairement dit pour quelles raisons le Seigneur récompensera les justes et condamnera les pécheurs. Pendant toute sa vie, le starets exécuta, et exécuta à la lettre, la volonté de Dieu, nourrissant les affamés, habillant les nus, accueillant les voyageurs, sauvant les détenus, visitant et faisant communier les malades. « Personne ne l'a quitté démuni ».
Le starets observait les jeûnes, il était toujours mesuré dans sa nourriture, mais il n'était pas un ascète rigoureux. C'est plutôt le jeûne spirituel qui dominait dans sa vie : la paix des pensées, la pureté du coeur, la prière. Nous savons bien nous-mêmes comment nous anéantissons notre jeûne par l’irritation ou par des actes ou des paroles inconvenants. Le père Jean agissait toujours dans la prière. Il faisait tout à la gloire de Dieu. La prière de Jésus dans son cœur devint partie de lui-même.
La contemplation de fautes personnelles qui peuvent paraître insignifiantes mais qui étaient énormes à ses yeux était sa pratique habituelle, comme la vigilance, l'attention permanente, la sobriété, les larmes versées sur soi et sur l'inaccessibilité de Dieu, le pardon accordé aux proches, l'humilité, la douceur quand il était poursuivi et chassé. Il n'entra dans aucun parti à l'intérieur de l'Eglise et n'eut aucune requête personnelle à adresser à l'évêque en place, ni lors du passage de l'Eglise Orthodoxe Lettone sous la juridiction de Constantinople pendant les troubles de 1936, sous l'autorité du métropolite Serge Voskresensky (1940-1944), ni au temps des évêques de la période d'après-guerre. Le starets craignait de nuire au blé en écartant l'ivraie...
Le père Jean fut gratifié des dons du Saint Esprit, qui fit de lui starets pour sa vie héroïque, et surtout pour s’être conformé à la recommandation du Saint Thaumaturge Séraphin de Sarov: « Celui qui est en paix puise en Dieu les Dons spirituels » de l'Esprit Saint.
PÈRE JEAN, PRIE DIEU POUR NOUS!
Rassemblé et composé par le prêtre André Golikov
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