mercredi 18 novembre 2009

VIE DE SAINT SOPHRONE PATRIARCHE DE JERUSALEM


(Saint Dimitri de Rostov)

Saint Sophronios, qui porte le nom de la chasteté, naquit à Damas de parents pieux, chastes, et de bon renom, Plinthos et Myra. Dès l’enfance, il mena une vie conforme à son nom, chérissant la sagesse spirituelle et gardant sans tâche sa pureté virginale. Ces deux vertus, la sagesse spirituelle et la pureté virginale, portent le nom de la chasteté, ou plutôt, comme dit Saint Jean Climaque, la chasteté est le nom de toutes les vertus. Et le chaste Sophronios en fut l’acquéreur zélé.

Il s’attela pour commencer à la philosophie de ce monde, et fit si bien qu’il reçut le titre de sophiste, c’est-à-dire de sage. En ce temps-là, ce titre était extrêmement honorable. Seuls les philosophes les plus éminents, comme jadis Libanius au temps de Saint Basile, étaient habilités à le porter.

Il voulut ensuite acquérir la sagesse spirituelle. Pour cela, il entreprit un interminable tour des monastères et ermitages du désert pour butiner ce qui est utile à l’âme chez les pères agréables à Dieu.

C’est ainsi qu’il parvint un jour dans la ville sainte de Jérusalem, puis, non loin d’elle, au monastère de Saint Théodose le Grand. Là, il fit la connaissance du moine Jean, surnommé Moschos, homme vertueux et versé dans les deux philosophies, extérieure et spirituelle. Sophronios s’attacha à Jean comme un fils à son père, ou plutôt comme un disciple à son maître, et le servit jusqu’à sa mort. Les deux hommes fréquentèrent de concert les monastères et les déserts. A l’occasion de chaque visite, le bienheureux Jean consignait dans son livre, le pré spirituel, les exploits des saints pères. Cet ouvrage magnifique fut cité par la suite au Septième Concile Oecuménique. Jean y donne souvent à Sophronios le titre de sophiste, et le considère comme son égal. Parfois même, il l’appelle maître ou père, car il n’était plus pour lui un disciple, mais un ami, un compagnon de route et de travail, un homme qu’il jugeait supérieur à lui-même, et dont il prédisait qu’il deviendrait un grand pasteur et une colonne inébranlable de l’Eglise du Christ.

Avant d’être tonsuré, Sophronios vécut assez longtemps en Palestine aux côtés de Jean, aussi bien dans le monastère de Saint Théodose le Grand, que dans un monastère de la vallée du Jourdain, fondé jadis par Saint Sabbas, qu’on appelait le nouveau monastère. Par la suite, sous la menace de l’invasion perse, les deux amis partirent pour Antioche la Grande.

A cette époque en effet, le roi des Perses Chosroès le Jeune partit en guerre contre les territoires grecs. Il faut se souvenir à ce propos que Phocas le Bourreau venait de tuer l’empereur Maurice et de ravir son trône. Or Maurice s’était montré le bienfaiteur de Chosroès, en le recueillant quand il avait été chassé de son pays, puis en utilisant les finances et les armées impériales pour le rétablir sur son trône. C’est ainsi qu’une paix forte et durable s’était instaurée entre la Perse et l’empire des Grecs. Apprenant la disparition de son bienfaiteur, Chosroès fut si amer qu’il brisa l’accord de paix, et entreprit de venger l’empereur Maurice. Les armées perses envahirent aussitôt de nombreux territoires comme la Syrie, la Phénicie, et la Palestine, et s’en emparèrent. C’est ainsi que les saints pères qui menaient la vie ascétique dans ces contrées durent abandonner leurs monastères et s’enfuir.

C’est dans ces pénibles circonstances que Jean et Sophronios quittèrent la ville sainte, juste avant qu’elle ne fût prise par les Perses. Ces derniers emmenèrent pour quatorze années de captivité le Patriarche Zacharie et la précieuse Croix du Seigneur, causant à tous les chrétiens une grande affliction et d’inconsolables regrets.

Dans la région d’Antioche, nos saints pères butinèrent de fleur en fleur, comme des abeilles diligentes, le miel des vertueux pères, récoltant pour le pré spirituel des récits propres à l’édification de l’âme, plus doux encore que le miel. Mais comme là aussi les armées perses approchaient, ils durent s’embarquer pour l’Egypte. Une fois en Alexandrie, ils agirent selon leur habitude, continuant à engranger pour les futures générations chrétiennes de nouvelles récoltes spirituelles, amassées chez des pères qu’ils virent de leurs yeux et entendirent de leurs oreilles.

Au moment de son entrée à Alexandrie, Saint Sophronios n’était pas encore tonsuré, comme en témoigne le soixante-neuvième chapitre du pré spirituel, dans lequel Jean s’exprime ainsi : « Nous arrivâmes, moi et mon frère le Seigneur Sophronios, qui n’était pas encore tonsuré. Nous nous rendîmes chez Abba Palladios, homme vertueux et serviteur de Dieu ». Plus loin, au cent dixième chapitre, il dit : « Moi et mon Seigneur Sophronios, nous allâmes à la Laure qui se trouve à quatre-vingts stades d’Alexandrie, chez un ancien vertueux, et nous lui dîmes :

- Seigneur Abba, dis-nous une parole ! Comment devons-nous vivre l’un avec l’autre, car le Seigneur Sophiste veut renoncer au monde et devenir moine ?

- Mes enfants, pour le salut de vos âmes, vous faites bien d’abandonner ce qui est du monde ! Restez dans votre cellule, gardez l’esprit dans l’hésychia, priez sans cesse, et conservez l’espérance en Dieu. Il vous donnera l’intelligence, et éclairera votre esprit ! »

Mais quelle étonnante vertu chez notre Père Sophronios qui, encore laïc, avait pris sur lui le labeur de voyager longuement de désert en monastère pour rechercher ce qui est utile à l’âme, et s’instruire sur la voie du salut ! Avant même d’être tonsuré, il était déjà un moine accompli dans toutes les vertus !

Sophronios fut tonsuré par son maître après une maladie qu’il pensait mortelle, et durant laquelle il eut une vision que raconte Jean au chapitre cent deux : « Mon frère, le sage Sophronios, devait mourir. Comme je me tenais près de lui avec Abba Jean le Scolastique, il nous dit :

- J’ai vu des vierges devant moi former un choeur et se réjouir en disant : Sophronios est le bienvenu ! Sophronios est couronné !

Les vierges se réjouissaient à son sujet en voyant qu’il portait le nom de la chasteté »

Une fois tonsuré et guéri, Sophronios redoubla d’ardeur pour son salut et celui des autres. Comme l’hérésie de Sévère se réveillait en Egypte, il s’opposa farouchement à la fausse doctrine avec son maître, utilisant sa profonde connaissance des Saintes Ecritures pour la controverse et la victoire sur les hérétiques. Pour cette raison, les deux saints étaient très chers au coeur de Sa Sainteté Jean le Miséricordieux, le Patriarche d’Alexandrie, qui les honorait comme des amis sincères et les consolait dans leurs difficultés.

Saint Jean le Miséricordieux avait la pieuse habitude de s’asseoir chaque mercredi et chaque vendredi aux portes d’une église pour écouter les besoins de chacun, apaiser les disputes et les désaccords, et rétablir la paix entre les hommes. Si d’aventure personne ne venait le trouver ces jours-là, le patriarche rentrait chez lui en larmes et disait : « Aujourd’hui, l’humble Jean n’a rien acquis, il n’a rien apporté à Dieu pour ses péchés ! » Alors le bienheureux Sophronios son ami le consolait : « En vérité, aujourd’hui tu devrais te réjouir, père, car tes brebis vivent en paix, sans dispute ni désaccord, comme les Anges de Dieu ! » On voit quel amour régnait entre Sophronios, son maître, et le saint patriarche...

Les deux moines étaient chaque jour en quête d’un enseignement nouveau qui aurait pu faire leur profit. Saint Jean cite cette anecdote : « Moi et mon Seigneur, le Sage Sophronios, nous nous rendîmes chez le philosophe Stéphane, qui demeure près de la route qui mène à l’église de la Toute-Sainte Mère de Dieu, édifiée jadis par le bienheureux Patriarche Euloge à l’orient du grand Tétraphyle. Il était midi lorsque nous arrivâmes à la maison du philosophe. Nous frappâmes à la porte et le portier nous dit :

- Mon maître se repose encore, attendez un peu !

Alors je dis à mon maître Sophronios :

- Allons vers le Tétraphyle et restons-y !

Cet endroit était très honoré des habitants d’Alexandrie. Ils disaient que le grand empereur Alexandre de Macédoine avait rapporté les reliques du Saint Prophète Jérémie et les avait déposées en ce lieu lorsqu’il fonda la ville. Lorsque nous y arrivâmes, nous ne trouvâmes personne hormis trois aveugles. Nous nous installâmes silencieusement auprès d’eux avec nos livres. Ces aveugles parlaient beaucoup :

- Ami, comment es-tu devenu aveugle ?

- J’étais capitaine de navire dans ma jeunesse. A force de regarder la mer en revenant d’Afrique, une cataracte se forma et je perdis la vue...

- Moi j’étais verrier. Un jour, je travaillai sans protection et me brûlai à cause de la force du feu, et je perdis la vue.

- Et moi, quand j’étais jeune, je haïssais le travail, et j’aimais vivre dans la paresse. Comme j’étais voluptueux et que je n’avais pas de quoi me nourrir, j’ai commencé à voler et à faire beaucoup de mal. Un jour je vis un mort qui portait de beaux vêtements : on le conduisait à la tombe. Je suivis les porteurs pour voir où on allait l’enterrer. Le mort fut enseveli près de l’église Saint-Jean. La nuit venue, j’ouvris le tombeau, j’y pénétrai, et je déshabillai le cadavre, ne lui laissant que sa tunique. En sortant du tombeau, ma mauvaise pensée me fit retourner prendre aussi la tunique, qui était fort belle. Misérable que je suis, je laissai le mort complètement nu ! Mais voilà que le mort se releva, s’assit devant moi, tendit ses bras, et m’arracha les yeux de ses doigts... Vous imaginez avec quelle grande difficulté je sortis du tombeau !

Ayant entendu cela, mon Seigneur Sophronios me fit signe et nous nous éloignâmes. Puis il me dit :

- En vérité, Abba Jean, il n’y pas d’autre chose à apprendre aujourd’hui, si ce n’est que celui qui fait le mal ne peut se cacher de Dieu ! »

Ainsi les deux saints avaient grand soucis de leur profit quotidien...

En Alexandrie, Sophronios rédigea le récit des miracles des saints martyrs Cyr et Jean. Il faut dire que ses yeux étant tombés malades, il s’était rendu auprès des reliques des Saints Anargyres pour prier avec foi, et avait obtenu la guérison dans leur église. Par la suite, il les remercia grandement et eut toujours beaucoup de zèle pour eux.

Après quelque temps, les Perses menacèrent aussi l’Egypte. Jean et Sophronios, encore contraints de fuir, entreprirent de le faire en compagnie du Patriarche Jean. Ils s’embarquèrent donc sur un navire. Le saint patriarche, qui était malade, mourut pendant le voyage dans sa ville natale d’Amathonte en Chypre. Sophronios le Sage composa son éloge funèbre, louant sa haute vie et ses aumônes.

Après les funérailles du patriarche, Jean et Sophronios partirent pour l’antique Rome, en compagnie de douze frères qui s’étaient joints à eux. Là ils vécurent plusieurs années, et Jean, qui était déjà avancé en âge, partit vers le Seigneur. Avant de mourir, il recommanda à son disciple bien aimé et fils spirituel de ne pas l’ensevelir à Rome, mais de le conduire jusqu’au Mont Sinaï dans un cercueil de bois. Si les barbares venaient à rendre le voyage impossible, Saint Sophronios avait pour mission de conduire le corps de son père en Palestine, pour l’enterrer au monastère de Saint Théodose, où il était devenu moine. Il en fut ainsi : Saint Sophronios imita le chaste Joseph de l’Ancien Testament, qui avait reconduit chez ses pères le corps de Jacob. Il prit le corps de Jean, et partit pour les terres grecques avec les frères. Parvenu à Ascalon, il entendit qu’il était impossible de se rendre au Sinaï à cause des barbares, aussi prit-il le chemin de Jérusalem, alors au pouvoir des Perses. Il enterra le corps de son père au monastère de Saint Théodose le Grand, et s’installa dans la ville sainte avec sa communauté.

Le trône patriarcal était occupé par le Patriarche Modeste, qui remplaçait le Patriarche Zacharie, prisonnier des Perses avec la Sainte Croix. Peu après l’arrivée de Sophronios à Jérusalem, Dieu voulut bien faire revenir le Patriarche Zacharie et la Sainte Croix à Jérusalem.

Le général Héraclius venait de tuer Phocas le Bourreau. S’étant emparé de l’empire, il était parti en guerre contre les Perses. Ayant vaincu les nombreuses armées de Chosroès, il occupa les villes perses pendant sept années. Il advint ensuite que Siroès, fils de Chosroès, assassina son père et prit le pouvoir en Perse. Siroès rechercha tout de suite la réconciliation avec l’empereur Héraclius. Dans les accords de paix qui suivirent, l’empereur Héraclius demanda en premier lieu qu’on rendît Jérusalem aux grecs, et avec elle la Sainte Croix et le Patriarche Zacharie. Et ainsi fut fait.

Après un exil de quatorze ans, la Sainte Croix revint à Jérusalem, portée en triomphe sur les épaules de l’empereur lui-même. Sa Sainteté le Patriarche Zacharie retrouva son trône. Quelques années plus tard, la Sainte Croix fut transportée à Constantinople, afin qu’un aussi précieux trésor ne fût pas dérobé une seconde fois aux chrétiens. Comme on le verra plus bas, la ville sainte ne tarda pas à retomber aux mains des barbares.

Après peu de temps, le Patriarche Zacharie émigra vers le Seigneur. Saint Modeste fut de nouveau son successeur, mais pour deux ans seulement. Après la mort de Saint Modeste, Saint Sophronios fut élu patriarche.

C’est à cette époque qu’apparut l’hérésie monothélite. Les monothélites, qui confessaient bien deux natures, divine et humaine, dans la personne du Christ, ne voyaient en Lui qu’une seule volonté et une seule énergie, niant ainsi que le Seigneur fût parfait dans Ses deux natures. Cette hérésie est décrite amplement dans la vie de Saint Maxime le Confesseur. Elle débuta chez le Patriarche d’Alexandrie Cyrus, qui convoqua un concile local et ordonna à tous de croire ainsi. Le Patriarche Serge de Constantinople l’imita, et après lui le Patriarche Pyrrhus, et d’autres encore, qui persécutèrent tous ceux qui ne voulaient pas adhérer à ce mensonge.

Sa Sainteté Sophronios, Patriarche de Jérusalem, résista beaucoup à cette fausse doctrine. Il convoqua chez lui un concile local, qui maudit l’hérésie monothélite. Puis il envoya partout les actes du concile, qui furent ensuite lus au Sixième Concile Oecuménique, approuvés par les Saints Pères, et acceptés comme dogmes de la Sainte Foi Orthodoxe.

Saint Sophronios composa encore beaucoup d’homélies, d’hymnes, d’enseignements utiles à l’Eglise, et également des vies de saints, comme celle de Sainte Marie l’Egyptienne, qui avait mené au désert une vie surpassant la nature, semblable à celle des anges. Il dirigea comme il convient l’Eglise de Dieu, ferma la bouche des hérétiques, et les chassa loin de son troupeau.

Mais voici qu’avec la permission de Dieu, une nouvelle invasion barbare s’abattit sur la Syrie et la Palestine. Il ne s’agissait plus cette fois des Perses, mais des Mahométans. Ces derniers s’emparèrent de Damas, puis ils mirent le siège devant Jérusalem, la ville de Dieu (Ceci advint après qu’en Syrie, l’armée grecque eût été vaincue et son général Serge abattu). Devant la menace, Sa Sainteté le Patriarche Sophronios s’enferma dans la ville sainte avec les chrétiens.

On a conservé l’homélie qu’il prononça le jour de la Nativité du Christ à l’intention des assiégés, dans laquelle, tel un nouveau Jérémie, il pleure la destruction des lieux saints permise par Dieu pour les péchés des hommes, et regrette de ne pas pouvoir célébrer la fête de la Nativité à Bethléem comme à son habitude. Les lieux en effet étaient entre les mains des Agarénéens.

A la fin de la deuxième année de siège, les chrétiens assiégés furent obligés de se rendre et de faire ouvrir les portes de la ville. Le Saint Patriarche Sophronios envoya une proposition de paix au prince agarénéen Omar, qui comportait comme premier point qu’aucune violence ne fût exercée à l’encontre de la foi chrétienne et de la Sainte Eglise de Dieu. Le prince Omar s’engageant à respecter totalement cet accord, on fit ouvrir les portes de la ville.

Mais Omar était hypocrite et malin. Il affecta la douceur et l’humilité de l’agneau, lui qui, à l’intérieur, n’était qu’un loup vorace. Revêtu de haillons en poils de chameau, il pénétra dans la ville et demanda tout de suite où se trouvait le temple de Salomon, où il avait l’intention de faire ses prières sacrilèges. Sa Sainteté Sophronios, qui était venu à sa rencontre, vit son accoutrement hypocrite et dit : « Voilà l’abomination de la désolation établie dans le lieu saint, comme l’a annoncé le prophète Samuel ! » Il pleura beaucoup avec tous les chrétiens, puis il exhorta le prince à quitter ses haillons pour des habits dignes de son rang. C’est ainsi que Jérusalem, la ville de Dieu, fut prise par les Agarénéens.

Mais les chrétiens ne tardèrent pas à supporter de lourdes charges, car le prince impie ne respecta pas les accords de paix conclus avec Sa Sainteté le Patriarche Sophronios, et commença à les maltraiter. Saint Sophronios pleura beaucoup et pria Dieu d’arracher son âme à la terre des vivants, afin de ne plus voir les malheurs des chrétiens, et l’abomination de la désolation qui souillait les lieux saints. Bientôt entendu, il termina sa vie de tristesse et passa de cette Jérusalem terrestre pleine de larmes à la joyeuse Jérusalem Céleste, où reposent dans l’allégresse tous ceux qui sont avec le Christ Jésus notre Seigneur, à qui revient la gloire dans les siècles des siècles. Amen.

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