mercredi 12 août 2009

A PROPOS DES SIGNES ET DES MIRACLES (Partie II)


(Saint Ignace Evêque du Caucase et de la Mer Noire)

DEUXIEME PARTIE

On ne peut pas ignorer le désir qu’ont les chrétiens d’aujourd’hui de voir, et même de faire, des miracles. Ce désir doit être considéré avec d’autant plus d’attention qu’il est sévèrement condamné par les Pères. Il trahit une illusion sur soi-même, fondée sur l’orgueil et la présomption, qui vivent dans l’âme et la dominent. Le grand maître des moines, Saint Isaac le Syrien, s’exprime ainsi sur cette question : « Le Seigneur est toujours prêt à secourir Ses saints. Cependant, Il ne manifeste pas sans nécessité Sa puissance par une oeuvre ou un signe visible, pour éviter que Son aide ne nous semble banale, et que nous n’abandonnions la révérence qui Lui est due. Cette absence de révérence nous serait nuisible. Le Seigneur pourvoit Ses saints. Il les laisse mener le combat à la mesure de leurs forces et se donner la peine de prier. Il leur montre également que l’attention secrète qu’Il leur porte ne cesse pas un seul instant. Mais si une difficulté les renverse, tant leur nature est faible, Lui-même fait comme il le faut et comme Il le sait dans Sa toute-puissance pour qu’ils soient aidés. Il les affermit secrètement quand c’est possible, pour qu’ils aient la force de supporter l’affliction. Car dans la sagesse qu’Il leur donne Il dénoue leur peine, et la vision de Sa providence les éveille à la glorification, ce qui pour eux représente un double bénéfice. Quand les circonstances exigent une aide visible, Il l’apporte aussi. Ses voies sont d’une grande sagesse. Elles soutiennent dans le besoin et la nécessité, et jamais n’importe comment. Celui qui sans nécessité ose prier Dieu d’exaucer son désir et Lui demande de faire des signes ou des miracles, est tenté dans son intelligence par le démon qui se joue de lui. Sa conscience est malade et présomptueuse. Il est juste de demander l’aide de Dieu dans l’affliction, mais il est désastreux de Le tenter sans nécessité. Qui désire pareille chose est véritablement injuste. Ce que Dieu a fait à de nombreux saints, Il l’a fait sans qu’ils l’aient voulu. Celui qui désire recevoir un signe sans en avoir besoin, celui-là déchoit de la garde du cœur, et s’éloigne de l’esprit de vérité. Si celui qui ose demander est exaucé, le malin trouve en lui un lieu, puisqu’il trouve une personne qui marche devant Dieu avec insolence et sans révérence. Il le pousse alors plus loin dans la tentation. Quant aux vrais justes, non seulement ils ne désirent pas accomplir des miracles, mais si le don leur en est donné, ils le repoussent. Non seulement ils n’en veulent pas devant les hommes, mais ils n’en veulent pas en eux-mêmes, dans le secret de leur coeur. Un des Saints Pères, de par sa pureté, avait reçu par grâce de Dieu le charisme de discerner les pensées de ces visiteurs. Mais il pria Dieu, et demanda à d’autres saints de prier avec lui, pour que lui soit enlevé ce charisme. Si toutefois certains saints acceptaient les dons, c’était par nécessité ou encore parce qu’ils étaient des hommes simples. Les autres ne les acceptaient jamais sans raison, mais obéissaient aux instructions de l’Esprit Saint qui oeuvrait en eux. Les vrais justes se considèrent toujours comme indignes devant Dieu. Ils attestent qu’ils sont vrais en ceci qu’ils s’estiment misérables et indignes que Dieu veille sur eux » (Homélie 36).

De ces saintes réflexions, on peut conclure que ceux qui veulent accomplir des signes sont sous la coupe d’une excitation charnelle, de passions qu’ils ne comprennent pas, tout en ayant l’impression d’être animés d’un zèle divin. Ceux qui recherchent les signes sont dans un état comparable.

Quel que soit le contexte, il n’est pas permis de tenter Dieu ou de cesser de Le révérer. Certes, il est possible de demander l’aide de Dieu en cas d’extrême nécessité, quand nous n’avons aucun moyen personnel de nous en sortir, mais en laissant à Dieu le choix de Son intervention, c’est-à-dire en nous remettant à Sa volonté et à Sa miséricorde.

Le Seigneur aide toujours d’une manière profitable pour l’âme. Il apporte l’aide que nous recherchons, et il mêle à cette aide pour notre bénéfice une sainte saveur d’humilité. L’aide divine n’est pas recouverte d’un vernis clinquant, comme notre esprit charnel le souhaiterait peut-être. L’âme ne doit pas être abîmée par la vaine gloire que lui apporterait le plaisir de ce vernis.

Dans les oeuvres de Dieu, dans le service de l’Eglise, nous devons toujours demander à Dieu Son aide et Sa bénédiction. Nous devons aussi croire que, de la part de Dieu, seules les réponses divines et spirituelles peuvent bénéficier à notre foi et à notre piété, et non les réponses suggérées par notre esprit charnel.

Il est difficile à l’homme de supporter la gloire sans dommage pour son âme. Ceci est vrai non seulement pour les passionnels et pour ceux qui luttent contre les passions, mais aussi pour les saints qui ont vaincu ces passions. Même si la victoire sur le péché leur a été accordée, ils n’en demeurent pas moins altérables, et peuvent retourner au péché et retomber sous le joug des passions. Ceci est arrivé à certains qui, par manque de vigilance, ont laissé aller la confiance en soi jusqu’à regarder avec considération leur état spirituel. Comme le bienheureux Saint Macaire le Grand l’a noté, il reste une inclination à l’orgueil chez les âmes les plus purifiées. Cette inclination est le début de la glissade vers l’attraction des passions. A cause de cela, le don de guérison et les autres dons visibles sont très dangereux pour ceux à qui ils sont accordés, puisqu’ils sont hautement considérés par les gens charnels et sensuels, qui ne cessent de les glorifier.

Les dons invisibles et bénis, comme celui de conduire les âmes au salut et de les purifier des passions, sont incomparablement plus élevés que les dons visibles, et ne sont ni compris ni perçus par le monde. Non seulement le monde ne glorifie pas les serviteurs de Dieu qui les reçoivent, mais dans sa logique, il les persécute, leur reprochant d’oeuvrer contre les puissances ennemies et d’attaquer le Prince de ce monde.

Notre Dieu miséricordieux donne aux hommes l’essentiel et l’utile, même s’ils ne le comprennent pas et n’en saisissent pas la valeur. Il n’accorde pas ce qui est de peu d’utilité, qui souvent peut s’avérer nuisible, et que l’intelligence charnelle ignorante recherche avec avidité.

« Beaucoup, dit Saint Isaac le Syrien, ont fait des signes, ressuscité des morts, travaillé à la conversion des égarés, accompli de grands miracles, et après cela, ceux-là même qui avaient donné leur vie pour les autres sont tombés dans le mal et l’abomination des passions, s’offrant ainsi à la mort ».

Le Bienheureux Saint Macaire le Grand raconte qu’un ascète qui vivait à proximité de lui reçut jadis le don de guérison à un tel degré qu’il était capable de guérir les malades par simple imposition des mains. Il fut glorifié par les hommes, s’enorgueillit, et tomba dans le gouffre du péché.

Dans la vie de Saint Antoine le Grand, il est question d’un jeune moine qui commandait les onagres au désert. Quand le grand Ancien en entendit parler, il émit des doutes sur l’état spirituel du frère. Et peu de temps après, on entendit parler de la chute du jeune moine.

Au quatrième siècle il y avait un Ancien en Egypte qui s’était vu gratifier du don d’accomplir des miracles, s’attirant par là la gloire des hommes. Il remarqua bientôt que l’orgueil s’était emparé de lui à un tel point qu’il n’était plus capable de le chasser par ses propres efforts. Il pria Dieu avec grande ferveur de lui accorder d’être possédé, afin de trouver l’humilité. Dieu répondit favorablement à la requête de Son serviteur et Satan entra en lui. L’Ancien fut soumis aux attaques de la possession pendant cinq mois, et on dut l’attacher. Le peuple, qui auparavant accourait en masse et le louait comme un saint, le quitta, colportant la nouvelle qu’il avait perdu la tête. Ainsi libéré de la gloire des hommes et de l’orgueil, l’Ancien remercia Dieu de l’avoir sauvé de la destruction. Son salut fut assuré par l’épreuve passagère du déshonneur. Les hommes charnels ne virent pas que le don des miracles était une tentation pour l’Ancien, et que la possession démoniaque l’avait remis sur le droit chemin, par la miséricorde de Dieu.

On comprend clairement pourquoi de grands Pères du désert comme Sisoès, Pimène et d’autres, qui possédaient de grands dons de guérison, cherchaient à les cacher. N’ayant aucune confiance en eux-mêmes, ils savaient à quel point l’homme est changeant, et se préservaient par l’humilité d’un grand désastre spirituel.

Les Saints Apôtres, qui avaient reçu le don des miracles pour accompagner leur prédication, durent, par un heureux effet de la Providence, endurer des tourments et des persécutions qui les gardèrent de l’orgueil. Saint Isaac le Syrien dit à ce sujet : « Un don qui n’est pas accompagné de tentations conduit à la perdition l’âme qui l’accepte. Si tes actes plaisent à Dieu au point qu’Il en vienne à t’attribuer un don, prie-Le de bien vouloir te faire savoir comment être humble avec ce don, de te donner une protection spéciale, ou bien de t’ôter ce don au cas où il viendrait à ruiner ton âme. Tous ne peuvent conserver les richesses sans dommage ».

L’attitude du spirituel envers les maladies du corps et les guérisons miraculeuses est totalement différente de celle de l’homme charnel. Ce dernier considère la maladie comme un malheur, et la guérison, particulièrement si elle est miraculeuse, comme le plus grand des bienfaits, sans se demander un seul instant si elle est utile ou non pour l’âme. Le spirituel voit dans la maladie comme dans la guérison un bienfait de la miséricorde divine. La raison illuminée par la parole de Dieu, il adopte une conduite qui plaît au Seigneur, salutaire pour son âme dans les deux cas.

Il est possible de demander à Dieu une guérison, si on a la ferme intention d’utiliser le retour à la santé pour Le servir, et non pour servir la vanité et le péché. Dans ce dernier cas, la guérison miraculeuse conduirait à une plus grande condamnation, et entraînerait un châtiment plus sévère dans ce monde-ci et dans l’autre. Le Seigneur a attesté cela. Après avoir soigné le paralytique, Il lui a dit : « Te voici guéri ! Ne pèche plus, de peur qu’il ne t’arrive pire encore ! » (Jn.5,14)

L’homme est faible et enclin au péché. Si certains saints qui avaient reçu le don de guérison ont pu succomber à la tentation, alors qu’ils possédaient en abondance le discernement spirituel, combien plus facile est-il aux hommes charnels, à qui manque ce discernement, d’abuser des dons divins ! Et beaucoup en ont abusé ! Ayant obtenu une guérison miraculeuse, ils n’ont pas prêté attention à la Grâce divine, négligeant la reconnaissance. Ils se sont mis à mener une vie pécheresse, utilisant la Grâce au profit du mal, se détournant de Dieu et de leur salut. A cause de cela, les guérisons miraculeuses sont rares, bien que l’intelligence charnelle les désire et les respecte au plus haut point. Vous demandez et vous ne recevez pas, parce que vous demandez mal, afin de satisfaire vos convoitises (Ja.4,3).

L’intelligence spirituelle comprend que les maladies et autres tribulations que Dieu permet pour les hommes peuvent être l’expression toute particulière de Sa miséricorde. Comme des remèdes amers, elles concourent au salut, au bonheur éternel, de façon bien plus sûre que les guérisons miraculeuses. Souvent, et même très souvent, la maladie est une grâce bien plus grande que ne le serait une éventuelle guérison. Elle peut être une très grande faveur, une faveur essentielle, alors que la guérison peut priver le malade d’un grand bien, d’un bénéfice autrement plus important qu’une temporaire santé. Lazare, le mendiant malade de l’Evangile, ne fut pas guéri de sa pénible infirmité, ni libéré de la pauvreté. Il finit ses jours dans les souffrances, mais pour sa patience, il fut emporté par les anges dans le sein d’Abraham (Luc16,22).

Les Saintes Ecritures affirment que tous les saints ont terminé leur voyage terrestre sur la voie étroite, pleine d’épines, de peines, et de difficultés (Hb.12). Comprenant le véritable sens de ces peines, le vrai serviteur de Dieu se conduit envers elles avec sagesse et abnégation. Il les affronte, quelles qu’elles soient, comme faisant partie de lui-même (Voir Saint Marc l’Ascète). Il croit de toute son âme qu’elles n’arrivent pas sans la permission de Dieu, qui est juste et infiniment bon, et qui recherche l’intérêt de l’homme. Il cherche et trouve toujours en lui-même la cause de ces peines. Toutefois, s’il remarque que telle peine peut être une entrave dans ses efforts à plaire à Dieu, il Le prie pour en être délivré. Mais il laisse au Seigneur la décision d’écouter ou non sa requête, car il sait que sa façon d’interpréter les tribulations n’est jamais correcte.

Le jugement de l’homme, qui est limité, n’est jamais totalement juste, même si l’homme est saint. L’homme ne peut embrasser du regard toutes les causes des tribulations que Dieu envoie à Ses serviteurs bien-aimés, Lui qui voit tout. Le Saint Apôtre Paul a prié Dieu à trois reprises pour être débarrassé d’un ange de Satan qui le gênait dans sa prédication ; mais il ne fut pas exaucé : le jugement de Dieu en cette matière fut différent de celui de l’Apôtre inspiré (2Cor.12,7-10).

Une véritable intelligence spirituelle se soumet tout naturellement à la volonté de Dieu et demande sincèrement et humblement que cette volonté lui soit manifestée. Les saints moines, lorsqu’ils étaient soumis à la maladie, l’acceptaient comme la plus grande des grâces, et s’efforçaient de toujours remercier et glorifier Dieu pour cela, sans chercher la guérison. Les guérisons miraculeuses adviennent cependant très souvent chez les saints. Ces derniers désirent souffrir avec humilité et patience ce que Dieu a permis pour eux, croyant et confessant qu’une telle attitude est bien meilleure pour l’âme qu’une ascèse qu’on a soi-même programmée. Le bienheureux Saint Pimène le Grand disait : « Trois oeuvres monastiques ont la même valeur : rester véritablement silencieux, être malade et remercier Dieu, et accomplir son obédience avec une pensée pure ».

Dans le désert de Scété, en Egypte, là où vivaient les plus grands parmi les saints moines, il y eut un bienheureux, dénommé Benjamin. Sa vie vertueuse lui attira de la part de Dieu un grand don de guérison. En même temps, il fut atteint d’une longue et pénible maladie : l’hydropisie. Il devint si gros qu’on dut lui attribuer une cellule plus grande. Pour ce faire, il fallut démonter la porte afin qu’il pût sortir. On lui confectionna un siège spécial, car il ne pouvait plus s’allonger. Il continua néanmoins à guérir les autres, s’attirant la sympathie de tous ceux qui le voyaient. Et pourtant, il demandait qu’on voulût bien prier pour son âme, et non pas pour son corps : « Quant mon corps se porte bien, je n’en tire pas grand bénéfice. Maintenant que je subis cette maladie, il ne me nuit plus ».

Abba Pierre raconte qu’au cours d’une visite au vénérable ermite Isaïe, il trouva ce dernier souffrant d’une maladie très douloureuse. Comme il lui exprimait sa sympathie, l’Ancien lui dit : « Ainsi écrasé par la maladie, je peux à peine garder présent à l’esprit le terrible moment de la mort et du jugement. Si mon corps était sain, ce souvenir me serait totalement étranger. Quand le corps est sain, il est enclin à des actes hostiles à Dieu. Les tribulations aident à accomplir les commandements de Dieu ».

Quand les Saints Pères étaient écrasés par la maladie ou les tribulations, ils s’efforçaient en premier lieu de manifester de la patience, ce qui dépendait d’eux. Pour soumettre leur cœur à la patience, ils se jugeaient (Cf. Saint Dorothée de Gaza), se rappelaient la mort, le jugement, et les tourments éternels. Un tel souvenir affaiblit la perception qu’on a des peines d’ici-bas ! (Cf. Mt.10,28-31) Ils élevaient leur intelligence vers la Providence, se souvenant la promesse du Fils de Dieu d’être toujours avec ceux qui Le suivent, et de les préserver. Gardant cela présent à l’esprit, ils poussaient leur coeur au courage et à la mansuétude (Cf. Mt.28,20). Ils s’efforçaient de glorifier et de remercier Dieu pour les tribulations, de prendre conscience de leur état de pécheur, qui, puisqu’il méritait le châtiment, nécessitait d’être sérieusement corrigé par Dieu qui agit toujours avec justice et bonté. En s’exerçant à la patience humaine, chacun selon ses possibilités, ils intensifiaient leurs prières pour obtenir la sainte et divine patience, qui est un don spirituel, lui-même inséparable d’un autre don spirituel, la sainte humilité. Ces deux vertus sont d’ailleurs le sûr indice du salut et de la béatitude éternelle.

Les Pères qui en avaient la possibilité ne guérissaient pas toujours leurs disciples malades, afin de ne pas les priver d’un profit spirituel qui ne manquait pas de leur être accordé, comme l’atteste la Tradition de l’Eglise, s’ils supportaient l’épreuve avec patience. L’higoumène d’un monastère de Gaza, le bienheureux Séridos, disciple du grand Barsanuphe qui était ermite au monastère, fut longtemps malade. Certains des pères, parmi les plus âgés, demandèrent à Barsanuphe la guérison de l’higoumène : « Quelques-uns des saints qui vivent ici pourraient prier pour la santé de mon fils, et je lui en ai fait part. Il ne manquerait pas d’être guéri dans la journée, mais il ne recevrait pas les fruits de la patience... Cette maladie lui est bénéfique pour la patience et l’action de grâces ».

Saint Isaac le Syrien explique pourquoi les peines sont utiles à l’ascète du Christ : « L’épreuve est bénéfique pour tous. Si elle est bénéfique pour Paul, alors que toute bouche soit fermée, et que le monde entier soit reconnu coupable devant Dieu (Rom.3,19). Les ascètes sont soumis aux tentations afin d’accroître leur richesse. Certains sont affaiblis pour être gardés du mal, les négligents sont tentés pour pouvoir se réveiller, d’autres sont tentés afin de se rapprocher de Dieu, et ceux qui Lui appartiennent déjà, afin de Lui appartenir encore plus. Il ne convient pas qu’un fils sans éducation se mette à gérer les biens de son père, car il aurait tôt fait de mal s’y prendre. Pour cela, Dieu commence par permettre la tentation, et ensuite accorde le don. Gloire au Maître qui nous accorde les délices de la santé par des remèdes amers ! Il n’y a pas d’homme qui ne soit affligé pendant la leçon, qui ne trouve pas amère la coupe des tentations. Sans épreuve, il est impossible d’être fort spirituellement. Mais il est de notre pouvoir d’endurer. Comment un vase d’argile peut-il contenir de l’eau pure s’il n’a pas été au préalable affermi par le feu divin ? Si, avec révérence et désir incessant, nous demandons humblement à Dieu de nous accorder la patience, alors nous recevrons tout du Christ Jésus notre Seigneur ».

CONCLUSION

Avant le second avènement du Christ, il y aura des signes dans le soleil, dans la lune et dans les étoiles (Luc21,25), la mer fera du bruit et s’agitera. Comment allons-nous discerner ces signes de ceux de l’Antéchrist, qui accomplira aussi des signes dans le soleil, la lune, les étoiles, et l’air ? Les signes du Christ seront véritables, donc totalement différents de ceux de l’Antéchrist, simples manifestations propres à tromper les sens. Les signes de l’Antéchrist seront accomplis par l’Antéchrist lui-même et par ses apôtres. Les signes dans le soleil, la lune et les étoiles qui annonceront la seconde venue du Christ apparaîtront d’eux-mêmes, sans intermédiaire. Avec eux, les luminaires célestes achèveront la mission pour laquelle ils ont été placés là par le Créateur (Gen.1,14). Ils accomplissaient déjà cette mission lors de la Nativité du Christ (Mt.2,2), avec l’étoile miraculeuse, et lors de la Crucifixion du Dieu-Homme, quand le soleil s’assombrit en plein midi (Mt.27,45). Selon le Saint Evangéliste Matthieu, les peines consécutives au règne de l’Antéchrist cesseront, et la venue du Christ surviendra immédiatement, annoncée par l’assombrissement du soleil, la lune qui ne donnera plus sa lumière, et la chute des étoiles (Mt.24,29). Selon Saint Théophylacte de Bulgarie, les corps célestes resteront en place, mais perdront de leur éclat et sembleront disparaître de la voûte céleste, tant la lumière qui couvrira le monde pour le préparer à accepter la Gloire du Seigneur sera intense.

Nous avons l’audace de dire que notre traité sur les signes et les miracles exprime la pensée des Saints Pères, la pensée de la Sainte Eglise Orthodoxe. La nécessité de dispenser un tel enseignement de manière exacte et détaillée est évidente.

Des signes véritables ont été jadis accomplis pour permettre la connaissance du Dieu véritable, et le salut qui l’accompagne. De faux signes ont assisté l’erreur et la destruction qui la suit. De même, les signes de l’Antéchrist seront vastes et puissants, ils conduiront l’humanité infortunée à adorer comme dieu l’ambassadeur de Satan.

La pieuse contemplation des miracles accomplis par notre Seigneur Jésus-Christ édifie, console, et agit pour le salut de l’âme. Quelle sainte simplicité dans ces miracles ! Il est si facile de reconnaître Dieu en eux. Quelle bonté bénie, quelle humilité, quelle indiscutable force de conviction ! La contemplation des miracles du Christ nous élève vers le Verbe, qui est Dieu.

Pour restaurer la communion de l’humanité déchue avec Lui, Dieu a béni que son Verbe s’incarnât et vécût au milieu des hommes, entrant en relation intime avec eux, faisant d’eux les Siens, les attirant vers le ciel. En revêtant l’humanité, le Verbe demeure et agit comme Verbe de Dieu, comme le veut Sa nature divine. Il siège à la droite du Père dans Son humanité assumée, et, dans Sa divinité, se trouve partout présent. Le Verbe S’est fait inscrire sur les livres. Il s’est drapé de paroles, mais, étant Esprit et Vie (Jn.6,63), Il ne cesse de pénétrer les âmes et les coeurs, remodelant ceux qui s’unissent spirituellement à Lui, conduisant même le corps à une vie spirituelle.

En contemplant les miracles du Christ, nous comprenons quel terrible sens revêt le Verbe de Dieu. L’Unique Nécessaire (Luc 10,42) pour notre salut, ce n’est rien d’autre que le Verbe, qui accomplit le salut dans toute sa perfection. Par la connaissance de Dieu le Verbe que nous apportent les Saintes Ecritures, dictées et commentées par l’Esprit Saint, nous sommes dirigés par le Verbe, bénis par la connaissance apportée par la grâce divine, et nous recevons la pureté chrétienne de l’âme et du coeur. Cette pureté conduit à la lumière spirituelle, qui brille comme le soleil dans un ciel clair et sans nuages.

A l’aube, quand disparaissent les ténèbres de la nuit, l’aspect des objets sensibles change. Certains objets, jusque là invisibles, deviennent visibles. D’autres, qu’on ne percevait que confusément, sont maintenant distincts et clairement définis. Tout ceci arrive non pas parce que les objets eux-mêmes changent, mais parce que notre vue entretient avec eux une nouvelle relation due au changement d’éclairage. Il en va de même dans la relation entre l’esprit humain et les choses spirituelles. L’âme est éclairée par la lumière spirituelle de l’Esprit Saint. C’est seulement sous cet éclairage qu’elle peut appréhender les voies saintes de Dieu ! C’est seulement sous cet éclairage que l’invisible marche de l’esprit et du coeur vers Dieu peut être accomplie sans péché ! C’est seulement sous cet éclairage que l’on peut échapper à l’erreur, aux filets, et à l’abîme de la destruction ! Quand cette lumière n’est pas là, on ne peut pas voir la Vérité. Quand cette lumière n’est pas là, nulle vertu ne plaît à Dieu, nulle vertu ne peut conduire aux demeures du Paradis. Afin d’éviter l’infortune qu’apporte à l’esprit charnel la vision des signes et des miracles, les yeux spirituels doivent être éclairés par la lumière de la vision spirituelle.

Nous venons de voir la nature spirituelle des miracles accomplis par le Dieu-Homme, et leur but. Les signes ont accompli leur tâche, ils appartiennent au passé, ils ont cédé la place à l’Acteur par excellence, le Verbe, qui reste et restera l’Acteur par excellence, jusqu’à la fin du monde, comme Il l’a d’ailleurs dit Lui-même : Je suis avec vous tous les jours, jusqu’à la fin du monde (Mt.28,20).

Quand les signes à portée universelle cessèrent, ces signes qui furent accomplis par les Apôtres et ceux qu’on dit Egaux-aux-Apôtres pour semer le Christianisme, d’autres signes furent accomplis ici et là par les vases élus du Saint Esprit. Mais, le temps passant, le Christianisme s’affaiblit, entraînant la corruption morale. Les thaumaturges sont de moins en moins nombreux (l’Echelle,26-52). Ils finissent même par disparaître complètement.

Parallèlement, les hommes perdent toute révérence et tout respect pour le sacré, ils perdent aussi l’humilité, et deviennent indignes, non seulement d’accomplir des miracles, mais aussi de les voir, bien qu’ils aient, plus encore que jadis, soif de ces miracles. L’humanité, enivrée par la suffisance, la présomption et l’ignorance, agit sans discernement, avec dureté et audace, envers tout ce qui semble miraculeux. Elle ne refuse pas de jouer un rôle dans l’accomplissement des miracles, et même, manifeste fermement l’intention de le faire, sans hésiter une minute. Une telle attitude est encore plus dangereuse que par le passé.

Nous approchons petit à petit du grand spectacle des innombrables, stupéfiants, faux, et séduisants miracles, qui jettera dans la destruction les infortunés enfants du raisonnement charnel.

Le réveil de l’âme par le Verbe de Dieu résulte d’une foi vivante dans le Christ. La foi vivante, pour ainsi dire, voit le Christ (Hb.11,27). Le Christianisme lui est révélé, tout en restant un mystère. Tout en restant inconcevable, il devient clair et compréhensible. Il n’est plus couvert d’un voile épais et impénétrable, comme au temps de l’absence de foi. La foi vivante raisonne spirituellement. Elle n’a pas besoin de signes, elle se satisfait pleinement des miracles du Christ, et du plus grand de Ses miracles, de la couronne de Ses miracles : Sa Parole. Le désir de voir des miracles dénonce l’incrédulité. Jadis, les signes furent donnés aux incroyants pour les amener à la foi. Tournons-nous de toute notre âme vers le Verbe de Dieu, unissons-nous à Lui en esprit, et les signes de l’Antéchrist n’attireront pas notre attention. Avec dédain et répulsion, nous détournerons d’eux nos yeux, comme d’un spectacle démoniaque, comme d’une réalisation de l’ennemi fanatique de Dieu, comme d’une moquerie de Dieu, comme d’une poison infect et mortel.

Rappelons-nous la remarque suivante qui provient de l’expérience des saints ascètes : toutes les manifestations démoniaques sont d’une nature telle, qu’il est dangereux de leur prêter attention, fut-ce un instant, même si ces manifestations n’attirent pas notre sympathie, car elles peuvent laisser une impression des plus nuisibles, et entraîner une sérieuse tentation.

Un raisonnement humble est inséparable d’un raisonnement spirituel. Saint Isaac le Syrien dit que seul l’humble peut être reconnu comme raisonnable. Celui qui n’a pas l’humilité ne raisonnera jamais avec sagesse. Une foi vivante révèle Dieu au regard de l’âme. Le Verbe de Dieu unit l’âme à Dieu. Celui qui s’approche de Dieu de cette façon, qui sent la présence de Dieu, celui-là réalise son indignité, et se trouve empli d’une indicible révérence envers Dieu, envers Ses actes, envers Sa volonté, envers Ses enseignements, et trouve l’humilité dans son raisonnement. Celui qui raisonne humblement n’aura pas l’audace d’être curieux de ce qui arrive en dehors de la volonté de Dieu, et qui a été condamné en son temps par le Verbe de Dieu. Les signes de l’Antéchrist seront étrangers à son humble raisonnement, puisqu’il n’a pas de lien avec eux.

Le fait de reconnaître son indignité et sa faiblesse devant Dieu, Sa majesté, Sa puissance, et Son infinie bonté, hisse l’âme vers une prière instante. L’espérance d’une telle âme est concentrée en Dieu, elle n’est pas distraite dans la prière. L’âme prie, ramassant ses forces, tendue vers Dieu de tout son être. Elle se met en prière aussi souvent que possible, et finit par prier sans cesse.

Quand viendront les grandes épreuves du temps de l’Antéchrist, tous ceux qui croient véritablement vont crier une magnifique prière à Dieu. Ils vont crier pour obtenir aide et protection, pour recevoir la grâce divine qui pourra leur donner des forces et les guider. Bien qu’il soient fidèles à Dieu, leur propre force sera insuffisante pour résister aux pouvoirs associés des anges déchus et des hommes, qui agiront sous le coup de la rage et du désespoir, présentant leur destruction imminente (Apoc.12,12).

La grâce divine couvrira de son ombre les élus, les immunisera contre les tromperies du séducteur, chassera la peur de ses menaces, et leur permettra de regarder avec dédain ses miracles. La grâce divine donnera aux élus le courage de confesser le Sauveur qui a accompli le salut du monde, et de dénoncer le faux messie, venu détruire l’humanité. Elle conduira les élus au trône royal de leur exécution, au festin des noces.

L’expérience de l’amour de Dieu est plus douce que la vie, dit le Saint Martyr Jacques le Persan (26 novembre). De la même façon que la mort et ses souffrances sont le commencement des tourments éternels pour le pécheur, la souffrance pour le Christ et la mort en martyr sont le début des joies éternelles du Paradis. Nous voyons ceci nettement dans les vies des martyrs des premiers siècles du Christianisme. Au début, les tyrans autorisent les martyrs à dire où va leur choix. Ensuite, quant ils ont accepté les premières souffrances, une aide leur vient d’en haut, qui rend ces souffrances et la mort pour le Christ éminemment désirables.

Le Seigneur, en prophétisant sur les peines qui adviendront lors de Sa seconde venue, a commandé à Ses disciples de veiller et de prier : prenez garde, veillez et priez ! (Mc.13,33) La prière est toujours nécessaire et utile pour l’homme. Elle entretient sa communion avec Dieu et le garde sous Sa protection. Elle le préserve de la confiance en soi, de la séduction des vanités, et de l’orgueil, de ce qui peut lui advenir de mauvais à cause de son état déchu, ou des pensées et rêveries occasionnées par les esprits déchus. En cas de danger ou de tristesse, visible ou invisible, la prière est tout spécialement utile, car elle exprime le rejet de la confiance en soi, l’espérance dans le Seigneur, et attire sur nous l’assistance de Dieu. Le Dieu tout-puissant devient Acteur chez celui qui prie dans des circonstances difficiles, et sort Son serviteur des embûches par Sa providence miraculeuse.

La connaissance de Dieu, la foi vivante, l’humilité bénie, la prière pure, sont les attributs du spirituel. Au contraire, l’ignorance de Dieu, l’incroyance, l’aveuglement spirituel, l’orgueil, la confiance en soi, et la présomption, sont les attributs de l’esprit charnel. Un tel esprit ne connaît pas Dieu. Il ne comprend pas, et refuse les moyens que Dieu lui offre de Le connaître. Il emploie les moyens dévoyés et destructeurs pour l’âme qui correspondent à son état : il demande un signe du ciel.

Amen.

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