L’IMAGE ET LA RESSEMBLANCE DE DIEU
Le corps du premier homme était en parfaite harmonie avec son âme et celle-ci vibrait à l’unisson avec l’esprit, c’est-à-dire avec la puissance de la parole, cette suprême dignité de l’âme humaine. Le combat entre les trois parties composant l’âme (qui est la manifestation intérieure de la mort), combat à présent continuel et qui ne laisse à l’homme aucun répit, de jour comme de nuit, n’avait pas lieu alors. L’esprit était en permanence tendu vers Dieu, entraînant l’âme, qui elle-même entraînait le corps. Le corps était incapable de jouissance coupable ou tout simplement charnelle : il se rassasiait au contraire de jouissance spirituelle, tout son désir était tendu vers Dieu, pour s’en nourrir, en jouir et en vivre. Ceux qui voient les désirs charnels comme une propriété impérieuse du corps et considèrent comme une nécessité naturelle le fait de les assouvir se trompent lourdement et courent à leur perte. Non ! Le corps humain s’est abaissé jusqu’à l’animalité à cause de la chute. Les désirs charrnels sont naturels pour la nature déchue comme il est naturel que les symptômes accompagnent la maladie : ils étaient contraires à la nature humaine au moment de sa création. Saint Isaac le Syrien et d’autres Pères qualifient l’état de l’homme avant la chute de « surnaturel ». Ce mot explique avec précision le fond de l’affaire : comment concevoir sans cela la résurrection des corps humains pour la bienheureuse éternité, dans laquelle les jouissances spirituelles seules auront une place ? Le corps de l’homme est créé apte à se réjouir du Dieu Vivant (Ps. 83, 4). La pureté et l’impassibilité des premiers hommes étaient si élevées qu’ils n’avaient pas besoin de vêtements : « Ils étaient tous deux nus, l’homme et la femme, et n’en avaient pas honte » (Gen. 2, 25). Ils sortirent des mains du Créateur dans un état de maturité et de jeunesse inaltérable, de beauté et de force, sans défaut, sans changement possible au niveau de l’âge ou de la santé. Le corps d’Adam ne pouvait pas être brûlé, ni par le feu ni par le soleil, il ne pouvait se noyer, il était insensible à l’action des éléments naturels qui eux-mêmes demeuraient dans un ordre parfait et paisible. Saint Macaire le Grand nous dit qu’« au début, l’homme avait été établi par Dieu comme prince de ce monde et seigneur de l’univers visible : ni le feu, ni l’eau, ni l’animal, ni le poison ne pouvait lui nuire » (Propos 4, chapitre 3). Le corps d’Adam, léger, fin, sans passion, immortel, éternellement jeune, n’enchaînait pas et n’emprisonnait pas l’âme, il était pour elle un merveilleux habit. Ce corps élégant était digne, de par sa perfection, de la vie au paradis où actuellement les justes qui ont quitté la vie d’ici-bas ne séjournent que par leur âme. C’est uniquement après la résurrection générale, lorsque les corps seront devenus spirituels, qu’ils pourront accéder au paradis. Après la chute, lorsqu’il fut chassé du paradis, l’homme reçut un « habit de peau » (Gen. 3, 21). Alors, dit Saint Jean Damascène, « il se revêtit de la mortalité ou de la chair mortelle et grossière » (La Foi Orthodoxe, livre 3, chapitre 1).
Nous bâtirons notre exposé à partir de la définition de l’âme que donne Saint Jean Damascène : « L’âme est un être vivant, simple, incorporel, c’est-à-dire invisible pour les yeux du corps, immortel, doté d’une raison et d’un esprit sans apparence, agissant par l’intermédiaire d’un corps organique à qui elle transmet la vie, la croissance, les sens et la force vitale pour naître ; son esprit n’est pas d’une nature différente de la sienne mais est comme sa partie la plus pure. L’âme est un être libre, capable de vouloir et d’agir, de changer dans sa volonté, comme c’est le cas de tous les êtres créés » (Livre 2, chapitre 12). Pour compléter cette définition, nous ajouterons avec Saint Hésychius que l’âme a été créée bonne par son Maître. Même si après la chute, le mal s’est mêlé au bien, il y a toujours lieu de parler de raison et de liberté car la détérioration de l’âme par le mal ne signifie pas sa destruction. La définition de Saint Jean Damascène est évidemment relative et s’adapte à notre niveau de connaissance. Plus loin, il précise que « l’âme n’est incorporelle que comparée à notre nature grossière : par nature, seul Dieu est incorporel ; les anges, les démons et les âmes sont incorporels par grâce, et seulement en comparaison avec la nature grossière ». Plus loin, il appelle « corps » ce qui possède trois dimensions : une longueur, une largeur et une profondeur. Une telle définition du corps, confirmée par la science moderne, implique que tout être limité est enfermé dans un espace plus ou moins grand. Seul Dieu est hors de tout changement, de tout espace, incommensurable. Dieu est parfaitement incorporel, entièrement différent de toutes les créatures, aussi fines soient-elles, et se distingue radicalement de ces dernières. Placer Dieu dans la catégorie des esprits créés et spirituels est un blasphème des plus osés. Si la Sainte Écriture nomme « esprits » les anges, les démons et les âmes humaines, c’est dans le sens restreint précisé par Saint Jean Damascène. Saint Macaire le Grand emploie le même vocabulaire dans ses œuvres, mais dans sa grande perfection, il émet un jugement sur les esprits créés plus déterminant encore : « Selon la force de mon intellect, je veux proposer une parole élevée et profonde : dans Sa bonté illimitée, le Seigneur insondable et incorporel prend sur Lui la chair, et Celui qui est grand et au-dessus de la nature s’abaisse, afin de pouvoir être compté parmi Ses créatures intelligentes, les saintes âmes et les anges, pour leur permettre de participer à la vie éternelle de Sa Divinité. Car chacun d’entre eux est un corps par nature, que ce soit un ange, une âme ou un démon. Bien que plus fins, ils sont des corps dans leur hypostase, par le caractère, l’apparence, la nature, de même que notre corps est épais dans son hypostase. De la même façon, l’âme étant un corps très fin, elle est entourée et revêtue des membres du corps charnel. Elle revêt l’œil par lequel elle regarde, l’oreille par laquelle elle entend. Disons simplement : l’âme fait un avec tous les membres du corps, ce qui lui permet de corriger instantanément tout ce qui est nécessaire au cours de l’existence » (Homélie). À la question « l’âme a-t-elle une apparence quelconque ? », Saint Macaire répond : « Elle a une image et une apparence semblables à celles des anges. Comme les anges possèdent une image et une forme, et comme l’homme extérieur a son image, ainsi l’homme intérieur a une image semblable à celle de l’ange et une forme semblable à celle de l’homme extérieur » (Homélie 7, propos 7). Saint Jean Cassien le Romain, qui s’entretint avec les plus grands Saints de l’Égypte chrétienne, les disciples d’Antoine, de Macaire et de Pachôme, nous rapporte que « même si nous appelons spirituels certains êtres comme les anges, les archanges ou d’autres puissances, et même notre âme, il ne faut aucunement les qualifier d’incorporels. Ils ont un corps qui leur est propre, dans lequel il demeure, même s’il est beaucoup plus fin que le nôtre. Ils sont corporels selon la parole de l’Apôtre qui dit qu’il y a des corps célestes et des corps terrestres (1Cor.15, 40) et que, semé corps animal, l’homme ressuscite corps spirituel (1Cor.15, 44). Il n’existe donc rien d’incorporel que Dieu seul, et par conséquent, Dieu seul peut pénétrer tous les êtres spirituels et raisonnables car Il est le seul à se trouver partout et en tous. Dieu voit donc et prévoit les pensées et les mouvements intérieurs de l’homme, tous les secrets de son esprit. De Lui seul, l’Apôtre a pu dire : Sa Parole est vivante et efficace, plus incisive qu’une épée à deux tranchants, elle pénètre jusqu’à séparer l’âme de l’esprit, les articulations de la moelle. Elle juge les sentiments et les pensées du cœur. Nulle créature n’est cachée devant Lui, mais tout est nu et découvert devant ses yeux (Héb. 4, 12-13) » (Collatio VII, cap. 13). Guidés par ces témoignages patristiques, tout en ayant laissé de côté de nombreux autres écrits afin de ne pas surcharger notre exposé, nous affirmons ceci : l’âme est esprit comme les anges, elle est douée d’intelligence, de sentiment spirituel, du libre arbitre, mais en tant que créature elle est limitée dans sa nature, ses attributs et sa finesse. De par cette finesse, elle peut être contenue, et l’est en effet, dans notre corps grossier, elle peut être enfermée dans la prison de l’enfer et y être soumise aux souffrances, au feu inextinguible, au ver qui ronge sans cesse, aux terribles ténèbres éternelles et aux grincements de dents ; elle peut aussi changer d’endroit si elle y est autorisée et être placée au paradis pour y goûter la douceur et le repos, la suprême jouissance intérieure qui naît dans le cœur de l’homme et se gagne l’homme entier, corps et âme, lorsque Dieu le juge digne d’y faire Sa demeure. Enfin, l’âme a une apparence semblable à celle du corps, c’est-à-dire qu’elle a une tête, une poitrine, des bras, des jambes, des yeux et des oreilles, les mêmes membres que le corps. Le corps revêt l’âme comme un habit et chaque membre du corps revêt le membre correspondant de l’âme. (Il n’est pas inutile de rappeler que les gens qui ont perdu une main ou un pied ressentent toujours leur présence, ce qui va dans le sens de la description qu’en font les Pères.) Après le départ du corps, les âmes des justes sont revêtues des vêtements clairs dont parle Saint Jean le Théologien dans l’Apocalypse (Ap.6,11-7,9) et dont Saint Macaire le Grand dit : « Les âmes des justes, après leur départ de ce monde, ayant avec eux le Seigneur, s’en vont dans une grande joie rejoindre les habitants du Ciel ; ceux qui demeurent avec le Seigneur les accueillent et les conduisent dans des demeures et des jardins qui leur sont préparés d’avance et les recouvrent de vêtements précieux » (Homélies). Tout ceci est confirmé en maints endroits dans les Saintes Écritures et dans les Écrits et les Vies des Pères. Les anges, dont la nature est semblable à celle de l’âme humaine, sont apparus aux Saints vêtus d’habits blancs ou clairs (Mt.28,3; Lc24,4; Jn20,12; Ac.1,10). Saint André le Fol en Christ fut ravi au paradis dans un vêtement tissé d’éclairs. L’idée absurde, blasphématoire et dangereuse pour notre salut, selon laquelle l’âme est un esprit aussi fin que Dieu, conduit à l’impossibilité de la retenir en aucun lieu, de la contenir dans quelque corps ou matière que ce soit, et donc de la placer en enfer ou au paradis, ce qui la rend inaccessible à toute souffrance ou à toute jouissance. Nous nous soumettons donc à l’enseignement de la Sainte Église Orthodoxe et des Saints Pères qui voient l’âme comme un esprit par rapport à la matière grossière et comme un corps sans chair ni os (Lc 24, 39) par rapport à Dieu, semblable pour nous à l’air quant à sa finesse et à son invisibilité, comme dit Saint Jean Cassien.
LES FORCES DE L’ÂME
Les Saints Pères nous enseignent que l’âme a trois forces : la force de la raison, celle du désir ou de la volonté et celle du courage qui est aussi celle de la colère. Cette dernière est qualifiée de façon différente selon les Pères : caractère, énergie, force de l’esprit, courage, fermeté, et sous son aspect malade, irritation, endurcissement ou lâcheté. Dans la première force, celle de la raison, on trouve gravée l’image de la Divinité Trinitaire. « Qu’est-ce que l’image de Dieu si ce n’est l’intellect ? », dit Saint Jean Damascène. L’intellect humain produit en lui-même et de lui-même des pensées ou paroles intérieures. L’intellect et la pensée constituent deux facettes de la force de la raison. Ces deux facettes ne peuvent exister l’une sans l’autre, elles forment un ensemble indivisible. L’intellect est invisible et inconcevable, il se dévoile par la pensée : cette dernière se matérialise ou s’incarne dans la parole et dans d’autres signes extérieurs. La force de la raison possède une troisième facette : l’esprit. Celui-ci est le sentiment du cœur, intérieur et raisonnable, qui dépend de l’intellect et coopère avec la pensée en se conformant à elle. Le Créateur a déposé dans notre esprit la « conscience » qui nous permet de discerner la bien du mal. Le libre arbitre de l’homme, la direction qu’il donne à sa vie, réside dans la force de la raison. Quand l’homme vivait dans l’état de pureté consécutif à sa création, les trois forces de l’âme agissaient de concert : la force de la raison demeurait en union permanente avec Dieu, la volonté tendait vers Dieu et la force du courage maintenait l’homme dans la juste tendance. Comme disait Saint Séraphim de Sarov, la pensée flottait dans la Parole de Dieu, dans la Très Sainte Vérité, et l’Esprit de Dieu, Esprit de la Parole et Esprit de Vérité, reposait sur l’esprit humain : l’esprit de l’homme était l’Esprit de Dieu. Comme dit Saint Paul : « Nous avons l’Esprit du Christ » (1Cor.2,16). L’homme entier vivait dans une merveilleuse harmonie avec lui-même. Ses forces n’étaient pas divisées dans leurs actions, ce qui advint seulement après la chute. À ce moment-là, l’esprit devint l’accusateur de l’intellect enténébré, l’intellect se mit à lutter contre les pensées, les conduisant à la contradiction et à la confusion, tout en étant lui-même trompé par des pensées illusoires. En regrettant nos nombreux défauts, nous prions pour que notre conscience soit libérée du malin (Voyez la prière de l’Évêque pendant l’hymne des Chérubins).
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