DU CHRISTIANISME INTÉRIEUR
LE MYSTÈRE DU ROYAUME DE DIEU, OU
LA VOIE OUBLIÉE DE LA CONNAISSANCE DE DIEU PAR EXPÉRIENCE.
(Archiprêtre Jean Jouravsky)
Des Saints Pères qui cherchaient leur âme
et la trouvaient sur la voie du labeur spirituel
Du labeur spirituel qui procure sur la terre
une existence angélique, et la vie éternelle
De la beauté spirituelle de Dieu
Ô, Saints Pères ! Hommes célestes et bénis, anges terrestres ! Vous avez cherché sans vous lasser la perle précieuse de Dieu, le trésor caché sous les épines des passions et des convoitises ! Comme vous avez aimé votre âme incorporelle, empreinte de la beauté divine, splendeur inaltérable, création ô combien admirable de Dieu, image de Sa gloire éternelle, nature spirituelle et immortelle ! Avec quelle ardeur vous êtes-vous lancés dans la quête de votre âme, depuis vos jeunes années jusqu’à votre ultime vieillesse ! Comme votre coeur s’y est enflammé !
Âme ! Beauté divine, incorporelle, intelligente, mais aussi pécheresse et charnelle, passionnée et insensée ! Lumineuse fiancée du Roi Céleste, et pitoyable esclave des convoitises ténébreuses, compagne des démons adultères ! Les anges et les archanges te servent ! Les chérubins et les séraphins te pleurent ! Les saints prient constamment pour toi ! Le Maître des Cieux Lui-même t’aime d’un amour éternel ! Le Fils de Dieu t’a cherchée d’un coeur transpercé, versant pour toi Ses larmes et Sa sueur comme des grumeaux de sang !
« Lui, qui est assis sur le trône de majesté dans les hauteurs, dans la cité céleste, est tout entier auprès de l’âme, dans son corps. Car Il a placé son image à elle en haut, dans la cité céleste des saints, Jérusalem, et Il a mis Sa propre image, l’image de la lumière ineffable de Sa divinité, dans son corps à elle. Il l’a déposée dans son corps. Lui-même la sert dans la cité de ce corps, tandis qu’elle Le sert dans la cité céleste. Il est son héritage au ciel, et elle, Son héritage sur la terre. Car le Seigneur devient l’héritage de l’âme, et l’âme l’héritage du Seigneur » (Saint Macaire le Grand 46,4).
Tel est le chant secret et divin que l’admirable Macaire, l’égal des anges, adresse à l’âme ! Oui, les saints comprenaient le mystère divin de l’âme humaine, qui les plongeait dans un trouble divin et salutaire... Recevant l’illumination céleste, ils voyaient, comprenaient, et concevaient de tout leur être ceci :
Dieu Lui-même a abandonné les Cieux et l’assemblée des anges pour venir sur cette terre des afflictions ténébreuses, ce lieu d’exil de la nature humaine intelligente mais déchue, ce repaire des sombres démons. Dans une affliction mortelle, Il a cherché Son image, Son aimée, celle qui était perdue, versant Sa sueur comme des grumeaux de sang. Le Maître et Créateur fut le premier à rechercher l’âme égarée, Lui qui a dit : « Je suis venu chercher ce qui était perdu » .
En comprenant ceci, comment les saints pouvaient-ils ne pas agir à leur tour, ne pas oeuvrer à cette recherche, eux qui, bien que terre et cendre, abritaient en eux-mêmes l’âme perdue, l’image cachée du Créateur ?
Percevant dans la sensibilité maladive de leur coeur le Mystère de cette recherche et l’inquiétude de Dieu, entendant les pleurs des anges, comprenant à quel point Dieu s’afflige pour l’âme, ils ont abandonné tous les désirs de cette vie charnelle, ils ont secoué la boue de leurs yeux spirituels, et se sont lancés dans la recherche, travaillant de concert avec Dieu et les anges en larmes. Ils se sont précipités dans les forêts, dans les montagnes, dans les rochers, rencontrant la faim et la soif, la nudité et le froid, l’inconfort et les larmes, le renoncement et les souffrances, la prière et l’affliction. S’appuyant sur la prière vigilante, ils se sont adonnés au labeur spirituel de la recherche de l’âme.
Avec Saint Jean Climaque ils se sont lamentés devant Dieu : « Je ne puis plus supporter la violence de l’amour ; je désire avidement cette beauté immortelle que Tu m’avais donnée à la place de cette argile ! » (Echelle, 29,10)
Ô, chercheurs infatigables de la vie spirituelle, vous que la flèche céleste a blessés, vous que les pleurs des anges ont réveillés, quels combats n’avez-vous connus, et quels labeurs, quels torrents de larmes, quelles interminables supplications !
Les porteurs de la croix spirituelle sont partis sur la voie étroite, à la file, dans les larmes de la prière incessante, dans les cris et les gémissements du combat invisible, clouant sur leur croix par la prière du coeur leur vie charnelle et leur esprit.
Ils ont obtenu ce trésor que Dieu Lui-même cherchait à leur offrir, sur lequel les anges et les puissances célestes pleuraient. Ils ont obtenu la beauté divine et spirituelle, ils ont recouvré leur âme perdue, ils ont trouvé la joie, la lumière, la réjouissance éternelle et l’allégresse, ils ont obtenu leur Résurrection, leur Pâque lumineuse, leur vie éternelle, ils ont découvert Dieu, digne de toute admiration, au Nom salutaire et merveilleux pour les âmes pécheresses perdues.
Oui, telle est l’immuable loi spirituelle : celui qui perd son âme perd Dieu, et celui qui trouve son âme trouve Dieu.
On peut perdre son âme, et alors on perd tout. Très peu nombreux sont ceux qui la trouvent. Beaucoup la perdent, qui par des rêveries séduisantes de l’intellect, qui par de sensuelles convoitises du coeur. Celui qui vit sans être attentif à ses pensées la perd. Celui qui vagabonde en esprit la perd. Il est si rare de retrouver son âme perdue... La trouvent uniquement ceux qui renoncent aux richesses psychiques, aux rêveries, aux convoitises sensuelles, ceux qui renient satan et ses oeuvres psychiques, et achètent au prix des larmes le champ du repentir dans lequel est enterrée l’âme pécheresse, la perle de Dieu, la drachme perdue, qu’ils dégagent des gravats à la sueur de leur front.
La fête du recouvrement de l’âme est toujours un événement. Elle passe inaperçue sur la terre, mais elle suscite au ciel une grande allégresse ! Les anges se réjouissent avec leur Maître. Réjouissez-vous avec Moi, J’ai trouvé la drachme perdue ! Ainsi, Je vous le dis, il y a de la joie chez les anges au ciel pour un seul pécheur qui se repent !
Le recouvrement de l’âme pécheresse est la fête des anges, la fête divine. Pour obtenir, au prix de beaucoup de larmes, cette perle céleste et immatérielle qu’est notre âme, et avec elle la beauté spirituelle de Dieu et Dieu Lui-même, il faut passer par les portes étroites d’une vie spirituelle resserrée, où nous nous débarrassons du matériel, du terrestre, et du psychique. Après seulement commencent la fête et les réjouissances.
Bien peu trouvent le seuil de l’étroitesse et du renoncement, rares sont ceux qui le franchissent pour entrer dans une vie vraiment spirituelle et céleste. Bien peu conçoivent ce que sont les réjouissances angéliques sur la terre et ce que les Saints Pères appellent l’attention à soi-même. C’est ainsi qu’il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus. Peu nombreux sont ceux qui trouvent le salut, à cause de l’inattention et d’une existence tournée vers le matériel. Rares sont ceux qui communient à la vie éternelle par l’attention. Rares sont ceux qui cherchent leur âme, et encore plus rares ceux qui la trouvent. C’est un grand exploit que de renoncer au matériel et au psychique. Quel grand labeur faut-il déployer pour trouver la perle immatérielle qu’est l’âme ! Pourtant, l’abandon du matériel et du psychique conduisent à l’immatériel et au spirituel.
Eclairés par la grâce divine, les Pères ont expérimenté et compris tout cela en oeuvrant toute leur vie pour trouver la perle spirituelle. Ils ont montré beaucoup d’humilité et de patience, dans les tribulations et l’effort sur soi-même. Ils ont atteint leur but, non pas en partant dans des grottes ou des forêts, non pas par la faim ou la soif, mais par l’angoisse spirituelle de l’attention, par la pratique spirituelle. Ils ont expérimenté le mystère de la prière de l’esprit, mystère perpétuellement caché, au fil des siècles et des générations. Par la prière, les larmes, et le repentir, ils ont trouvé leur âme, et avec elle, l’admirable don de la grâce accordé à notre nature en Jésus-Christ. Ce don est riche, sa puissance grande et bénie. C’est le don de la nouvelle existence, l’existence théophore. Il introduit dans une vie nouvelle qui illumine la nature spirituelle et montre clairement au coeur qu’il porte en lui le Dieu Saint et Vivant. C’est ainsi que les Pères sont devenus théophores et saints. Sur terre et dans la chair, ils vivaient au ciel par l’esprit. Ici-bas, entourés du péché et de la corruption, ils portaient la beauté spirituelle immortelle, l’image de Dieu resplendissait en eux d’une gloire sans déclin. Leur brillante lumière couvrait de honte les méchants démons qui foulent aux pieds l’image de Dieu, affermissait la foi affaiblie d’une multitude, éclairait la recherche des hommes.
Nous pourrons nous aussi, avec le concours de la grâce, recouvrer notre âme, notre beauté spirituelle perdue, si nous nous engageons sur la voie de la tribulation spirituelle. C’est seulement sur cette voie que nous y parviendrons. Dans l’angoisse spirituelle de la prière attentive, l’homme réalise l’ampleur de sa chute. Sur la voie de l’attention, il connaît la beauté immortelle de l’âme et, simultanément, l’abîme de la miséricorde et de l’amour de Dieu pour cette pécheresse spirituelle. Seule la voie étroite du renoncement spirituel montre à l’homme la grandeur céleste de l’âme. En découvrant pour la première fois cette digne image de Dieu, il comprend toute la folie du péché qui l’a déformée. Par le repentir, il fait alors le serment d’aimer l’âme jusqu’à la mort, et de haïr la pernicieuse laideur du péché d’inattention. En pleine conscience, il renonce à satan, le corrupteur des âmes, et au tourbillon des pensées perverties. Oui, ce n’est que sur la voie de la tribulation spirituelle qu’on découvre toute la laideur et l’horreur du péché installé dans les pensées, et toute la beauté immortelle de l’image spirituelle qui resplendissait dans l’homme avant la boue (Cf. Jn. 9 ; 6,11,15).
Seuls les Pères ont percé le Mystère de l’âme, et, ce faisant, ils ont chanté : « Je suis l’image de Ta gloire ineffable, même si je porte les marques du péché ».
L’inimitable chantre de l’âme pécheresse et déchue, Saint André de Crète, a entonné sur elle des hymnes immortelles arrosées de larmes divines. On y perçoit les sanglots des anges qui s’apitoient sur cette beauté spirituelle perdue que le Fils de Dieu aime d’un amour éternel. La Sainte Eglise a adopté ces hymnes. Elle les chante en pleurant pendant les journées de repentir du Grand Carême. D’innombrables générations d’humbles chrétiens arrosent de leurs larmes les hymnes de Saint André depuis des siècles, pleurant leur âme pécheresse et disant : « Aie pitié de moi, Ô Dieu, aie pitié de moi ! » Les Saints Anges aussi se lamentent sur la pécheresse, et avec eux toute l’Église du ciel et de la terre. La beauté de l’âme devant Dieu est telle, que sa perte est une catastrophe.
Quiconque vient un jour à contempler la pécheresse de ses yeux intérieurs ne verra plus jamais ses larmes se tarir. Quiconque vient un jour à contempler sa beauté immortelle entachée de péché, verra toutes les beautés terrestres s’affadir et jamais plus il ne les vénérera.
Ceux qui n’ont pas vu la beauté intérieure et éternelle vénèrent la beauté terrestre. Pourtant, celle-ci n’est que l’ombre fragile et passagère de la première. La beauté terrestre n’est pas un but en soi, elle n’est qu’un petit sentier à peine visible, rarement emprunté par ceux qui aspirent au véritable but. Seuls quelques rares solitaires particulièrement doués y trouvent la voie de la beauté immortelle. Mais les autres cheminent sur la voie large de l’art et de la technique, de la tradition formelle, du cérémonial, de la piété extérieure. C’est la voie des nombreux appelés. Peu y trouvent le salut. Le rite et l’art font oublier la beauté intérieure. Seuls quelques élus passent du cérémonial au service intérieur et à l’attention. Sur la voie de l’étroitesse spirituelle, ils clouent les convoitises à la croix du renoncement et proclament : « Je cherche Ta beauté immortelle, celle dont Tu m’avais revêtu avant cette boue ! »
Seul celui qui s’est arraché à la convoitise pour rechercher son âme et sa beauté immortelle peut véritablement la trouver, même profondément enfouie dans le gouffre des passions (Cf. Saint Macaire le Grand). Dans les larmes de repentir, il découvre la digne image de Dieu. Avec la grâce de Dieu, il prend conscience de sa terrible chute. Quiconque n’a pas encore contemplé son âme pécheresse, incorporelle et déchue, se lamentant sous le choc d’une telle vision, est encore aveugle, pauvre et misérable. Il ne sait pas encore ce qu’est la beauté immortelle.
La beauté immortelle est dévoilée par les larmes de contrition et un profond repentir. Mais rares sont ceux qui trouvent ce repentir. Rares sont ceux qui se connaissent et connaissent leur âme. Rares sont ceux qui trouvent le chemin de Sainte Marie l’Egyptienne ou de Sainte Taïs. La plupart des gens, affaiblis par les convoitises lubriques, sont incapables d’abandonner leur couche pécheresse pour se plonger dans le bassin des larmes, que garde l’ange du repentir. Le péché affaiblit l’âme, la paralyse, la flétrit, la rend impuissante et infirme. Il l’affaiblit tellement qu’elle n’a même plus la force de se repentir. L’âme de Marie l’Egyptienne n’était pas épuisée. Quelle majesté dans cette âme, quel repentir ! Quelle divine inquiétude que celle de Marie pour son âme ! Quel courage et quelle audace dans son combat contre le terrible serpent, qui serrait déjà dans sa gueule la condamnée ! Comme elle désirait sauver la beauté spirituelle outragée ! Quelle personnalité courageuse, magnifique et forte, dans un corps de femme frêle et épuisé ! Quarante années d’intense combat dans le désert, quarante années de luttes contre les sangsues des passions ! Ce n’est pas à tort que Saint Macaire le Grand a pu proclamer que l’âme et le démon sont de force égale. La grâce du Seigneur a aidé Sainte Marie l’Egyptienne à vaincre le démon des passions. Cette grâce vient à l’aide de toute âme qui s’arme avec courage et détermination contre le péché, si elle rejette toute hypocrisie.
Rares sont ceux qui engagent à temps le combat contre les passions. La plupart des gens passent leur vie entière avec elles, sans remarquer que les petites passions épuisent l’énergie spirituelle. L’âme épuisée est incapable d’exploit. Elle n’a pas la force de cheminer sur la voie difficile du repentir. Elle s’affale sur le lit des petites convoitises qui la gardent captive, et ne peut plus avancer vers Dieu. Elle attend couchée que Dieu Lui-même vienne à elle. Elle est tellement paralysée que même une aide matérielle ne parvient pas à la relever.
Zachée, en son temps, vit le Seigneur passer devant lui et le chercher du regard. Dieu est attiré par le regard spirituel de l’âme. Il voit quel regard secret Le cherche et s’empresse à Sa rencontre. Derrière le regard spirituel de l’âme se cache un mystère divin, profond et inconcevable. Seuls les saints ont pu quelque peu le dévoiler. L’âme est grande et mystérieuse, et sa puissance ne l’est pas moins. Le regard spirituel de l’âme attire à lui ce sur quoi il se pose. Quelle puissance mystérieuse, terrible, et salutaire !
Le saint roi David a regardé la femme d’un autre et l’a attirée. Hélas ! Hélas ! Il a également attiré les pleurs et les lamentations de toute une vie ! Mais Zachée a regardé Dieu, L’a attiré, et a fait entrer le salut dans toute sa maison. Le Saint Apôtre parle du mystère du regard spirituel : « Nous tous, qui, le visage découvert, contemplons comme dans un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés par cette image ! » (2Cor.3,18). Dans ces mots se cache le mystère des Saints Pères sur la prière de l’esprit. Ce que l’esprit regarde avec attention, il le reçoit. C’est pourquoi il est dit à ceux qui cherchent Dieu spirituellement : « Priez sans cesse ! Regardez constamment la gloire du Seigneur, le glorieux Nom du Seigneur, et vous attirerez Dieu vers vous ». Mais l’âme affaiblie et épuisée par les passions n’a pas la force de rechercher Dieu d’un regard spirituel. Peu de gens comprennent la pratique spirituelle, et encore moins ceux qui cherchent avec leur intelligence.
Oui, le péché et les petites passions sont effrayants ! Comme d’indestructibles parasites, ils agrippent l’âme, sucent ses forces spirituelles, l’épuisent, et la rendent inapte à la vie spirituelle. C’est pourquoi la majorité des chrétiens mène une vie terrestre, matérielle et intempérante. La vie spirituelle, intérieure, celle qui renonce au matériel, leur est inaccessible. La vie angélique et la contemplation spirituelle de la beauté immortelle leur sont incompréhensibles. Ils ne peuvent concevoir combien leur âme est pécheresse (bien qu’elle soit aussi le siège d’une digne et divine beauté spirituelle). Ils ne sentent pas la tunique des passions, les haillons infects de la convoitise et du péché.
Seul celui qui a vu son âme de ses yeux intérieurs et connu sa dignité peut, avec l’aide puissante de Dieu, voir et connaître aussi sa terrible chute. Quelle mystérieuse vision que celle de l’âme incorporelle couverte de la tunique des passions, puante de la convoitise et du péché ! Quelle vision poignante, ineffable et divine ! Elle incite à crier sans relâche « Aie pitié de moi, Ô Dieu, aie pitié de moi ! ». Elle pousse l’âme pécheresse vers les montagnes et les forêts, vers les pleurs et la prière, vers le renoncement et les souffrances.
Saint André de Crète a composé son oeuvre divine à l’occasion d’une grande chute. Le mystérieux chantre de l’âme, Saint Macaire le Grand, l’égal des anges, le grand luminaire des pères égyptiens, a composé pour elle des chants secrets montrant sa grandeur, sa gloire, sa beauté spirituelle et divine. L’Église les a conservé avec amour dans son florilège d’écrits inspirés.
Voici quelques uns des chants célestes sur la beauté divine de l’âme, cet être spirituel, que l’Esprit Saint a placés sur les lèvres du théophore et lumineux Macaire :
« Le Seigneur a créé le corps et l’âme de l’homme afin d’en faire Sa propre demeure, d’habiter et de reposer dans le corps, comme dans Sa maison, avec l’âme bien-aimée pour épouse, pleine de beauté et modelée à Son image »
« L’âme est en vérité une grande et merveilleuse création de Dieu. En la façonnant, Il fit en sorte que fût inscrite dans sa nature la loi des vertus. Il lui octroya le discernement, la connaissance, la sagesse, la foi, l’amour, et la volonté. Il la créa légère, infatigable et douée d’une grande mobilité. Il lui accorda la capacité d’aller et de venir en un clin d’oeil et de Le servir en pensée à la moindre sollicitation de l’Esprit. En un mot, Il la créa pour quelle fût Sa fiancée complice, à qui Il allait s’unir pour qu’elle devînt avec Lui un seul esprit, comme il est dit : Celui qui s’attache au Seigneur est avec Lui un seul esprit (1Cor.6,17). Aucune créature n’est aussi proche, aucune n’a autant de réciprocité avec Dieu que l’âme »
« L’âme est la plus précieuse de toutes les créatures »
« Alors que les anges veillaient déjà sur ton salut, le Fils du Roi et Roi lui-même tint conseil avec Son Père, et le Verbe descendit sauver le semblable par le Semblable, revêtant la chair derrière laquelle Il cacha Sa Divinité, allant jusqu’à déposer Son âme sur la Croix. Comme est grand l’amour de Dieu pour l’homme ! L’immortel condescend à être crucifié pour toi ! Comprends donc l’importance de l’âme et à quel point Dieu s’en préoccupe ! Dieu et Ses anges la cherchent pour communier avec elle dans le Royaume ! Mais satan et ses forces la cherchent aussi et l’attirent vers eux ! »
« Homme ! réfléchis donc à ta dignité ! Vois comme tu es précieux ! Dieu t’a placé au-dessus des anges en venant en personne sur la terre intercéder en ta faveur et être ton Rédempteur ! »
Ainsi, les Pères Saints ont médité sur leur dignité, ont compris leur nature spirituelle, et se sont lancés à la recherche de leur âme, cette image incorruptible de la beauté immortelle de Dieu. Ils se sont hâtés vers le monde spirituel qui leur devint familier, quittant la vie charnelle pour la vie de l’esprit, le chemin vaste et large des tourbillons psychiques pour l’étroitesse spirituelle de l’attention et de la prière. Avec le concours de Dieu, ils ont trouvé ce qu’ils cherchaient, c’est-à-dire leur âme, belle, spirituelle et divine, et avec elle, le don de l’existence divine reçu en Jésus-Christ, notre Seigneur. Ils ont obtenu leur âme et la grâce de l’existence angélique en portant constamment Dieu dans leur coeur, dans leur esprit, et sur leurs lèvres. Ils ont porté en permanence et avec grande attention le très Saint Nom de Dieu, si efficace pour tous ceux qui L’invoquent avec foi et amour. Les Saints Pères nous invitent nous aussi à rechercher notre âme et la vie angélique, par le labeur et l’affliction spirituels, l’attention et la prière incessantes.
De la possibilité de pratiquer la prière de l’esprit au milieu du monde
Un exemple réconfortant et béni
La condition sine qua non pour pratiquer cette prière
« Garde ton esprit ! »
Nos maîtres dans cette pratique : les Pères et les tribulations
Celui qui lit ces lignes sera peut-être plongé dans des pensées dubitatives : quelle pourrait être la pratique spirituelle d’un homme qui vit dans l’effervescence du monde ? Cette pratique ne convient-elle pas davantage à celui qui vit dans un monastère ?
A cela, il y a lieu de répondre par les paroles du Seigneur : ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu (Luc 18,27). Saint Syméon le Nouveau Théologien ajoute d’ailleurs que ni le monde, ni les occupations de la vie n’empêchent d’accomplir les commandements de Dieu, pourvu qu’il y ait du zèle et de l’attention.
Le bien fondé de ces paroles divines a été amplement confirmé sur la terre russe par la vie spirituelle du père Jean de Cronstadt, que le Seigneur a voulu montrer à tout un peuple chrétien qui s’éloigne de Dieu et perd la foi. Le bienheureux Père Jean a en effet cherché le salut par la pratique spirituelle au beau milieu du monde, au coeur d’une foule immense, alourdie par les péchés et toutes sortes de tentations. Cette figure bienheureuse est pour nous un signe prophétique. Elle indique la voie à tous ceux qui, au milieu des vagues terribles et furieuses d’un monde agité par les passions, cherchent vraiment le salut.
Le salut, c’est-à-dire l’ascension des degrés de la perfection chrétienne, est possible en tout lieu et en toutes circonstances, à condition d’adopter la pratique spirituelle que le Père Jean a résumée dans ce conseil : Sois prudent, garde ton esprit !
Comme ceci est étonnant ! Ces quelques mots si lumineux traduisent l’essence même de l’enseignement des Saints Pères sur l’attention, la vigilance et la pratique spirituelle. Ces paroles brèves et divines sont la quintessence de l’ascèse orthodoxe et de ses exploits spirituels.
Cette pensée n’est pas le fruit d’une recherche académique. Elle vient du coeur, de l’expérience intérieure animée par la Grâce. En elle se cache le mystère du Christianisme et du monachisme.
Les « théoriciens » du Christianisme, du monachisme, et de l’ascèse orthodoxe ont écrit beaucoup de bons livres, qui sont les fruits d’une intelligence savante. Pourtant, ces livres ne montrent pas que la Grâce a donné à leurs auteurs la compréhension des vérités dont ils parlent. Ils sont morts, ils ne renferment pas la Parole de Vie. Oui, ces livres sont morts... La compréhension offerte par la Grâce leur fait défaut. Il aurait fallu que leurs auteurs connussent eux-mêmes la vie et l’expérience spirituelle intérieure qu’illumine la Grâce. Seule une telle expérience peut donner le jour à des écrits porteurs de grâces. Sans elle, les vérités du Christianisme sont totalement inaccessibles. L’intelligence livresque ne les voit pas; écoutant, elle n’entend pas et ne comprend pas...
L’homme de prière de Cronstadt, quant à lui, avait cette expérience. C’est pourquoi il a pu exprimer dans cette parole brève et porteuse de grâces l’essence même de l’ascétisme chrétien oriental, c’est-à-dire l’essence même du monachisme et de tout le Christianisme.
Garde ton esprit !
Tout est dit. Voilà le secret de l’exploit spirituel. Voilà le secret du salut et de la perfection chrétienne. Voilà la pratique spirituelle des Pères, l’élévation de leur esprit vers Dieu dans la prière. Tout est dans la mémoire de Dieu, dans la prière incessante, qui conduit intérieurement à Dieu par une communion vivante avec Lui dans le silence mental. C’est la voie des Pères, c’est l’essence de l’ascèse orthodoxe !
L’expérience pratique de la Grâce chez le père Jean de Cronstadt confirme avec une clarté extraordinaire la vérité de ses paroles, et des paroles de l’antique Prophète : Dieu a accompli notre salut au milieu de la terre (Ps.73,12). « Au milieu de la terre », c’est-à-dire au milieu du monde, de la chair, du péché, et des tentations. C’est précisément là que le salut est accompli par Dieu Lui-même, et non par l’homme, quoiqu’avec le bon zèle de l’homme. C’est Dieu et non l’homme qui détient la clef le salut.
Si la prière incessante à laquelle le Père Jean fait allusion en disant « garde ton esprit » était absolument impossible dans le monde, l’Esprit Saint n’aurait pas appelé les chrétiens à ce labeur par la bouche de l’Apôtre qui dit : Priez sans cesse ! (1Thes.5,17) Le Seigneur Dieu ne demande pas l’impossible. Suggérée par l’Esprit Saint, la prière incessante est indispensable : sans la prière incessante, il est impossible de se rapprocher de Dieu (Saint Isaac le Syrien).
Il nous faut seulement vouloir le salut et fournir un bon zèle. Si nous offrons une prière incessante zélée, Dieu Lui-même nous aidera en toutes circonstances, au milieu de la mer déchaînée des passions, dans la prison de l’Egypte, ou dans la fournaise des tribulations de Babylone qui mettent à l’épreuve la fermeté de la foi et de l’espérance. Dieu est véritablement l’Aide et le Protecteur de toute âme qui fuit l’Egypte des passions et le pouvoir du pharaon mental pour s’élancer vers la terre spirituelle de la promesse. Une telle âme obtient effectivement Son aide, dès que l’élan spirituel l’anime.
La vie spirituelle de l’homme de prière de Cronstadt a amplement confirmé cette vérité. Le Seigneur Dieu, qu’il invoquait en esprit, a toujours été son Aide et son Protecteur au milieu des foule immenses.
S’il était impossible de trouver le salut par une telle pratique spirituelle au milieu du monde, les Pères n’auraient pas incité les laïcs eux-mêmes à l’adopter. Saint Ignace Briantchaninov dit que la prière de Jésus doit être pratiquée non seulement par les moines qui vivent au monastère dans les obédiences, mais aussi par les laïcs. Il dit aussi que tous les chrétiens peuvent et doivent pratiquer cette prière avec un esprit de repentir, dans le but d’appeler le Seigneur à l’aide, avec foi, crainte de Dieu, grande attention au sens et aux paroles de la prière, et grande contrition.
C’est Saint Basile le Grand qui suggéra aux analphabètes de son temps de remplacer toutes les prières par la prière de Jésus, et ceci devint une règle pour toute l’Église d’Orient. Saint Syméon, archevêque de Thessalonique, conseille aux évêques et aux prêtres, aux moines et aux laïcs, de prononcer en tout temps et à toute heure cette sainte prière, de la garder sur les lèvres comme une respiration : que toute personne pieuse prononce cet appel et s’y force toujours ! Notre Père lumineux, le saint et bienheureux moine Séraphim, donnait les mêmes recommandations à toux ceux qui venaient à lui, moines ou laïcs, et disait :
« Que tout chrétien vaque à ses occupations et, pendant son travail à la maison ou à l’extérieur, qu’il dise doucement : Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi le pécheur ! Qu’il s’exerce à mettre dans ces mots toute son attention !
Dans l’invocation du Nom de Dieu, tu trouveras le repos, tu parviendras à la pureté spirituelle et corporelle, et l’Esprit Saint établira Sa demeure en toi. Source de tout bien, Il te dirigera dans la sainteté, en toute piété et pureté »
De nombreux Saints Pères donnaient aussi cette instruction à ceux qu’ils rencontraient, moines ou laïcs. Le commandement de vigilance, c’est-à-dire de prière incessante, fut donné par notre Seigneur et Sauveur non seulement à Ses proches disciples, mais aussi à tous ceux qui croyaient en Lui. Pourtant, nombreux sont ceux qui par fausse humilité se considèrent indignes de cette prière et prétextent qu’elle convient davantage aux hommes saints. Ceci est injuste et faux. Le schémamoine Basile Polianomerilsky de bienheureuse mémoire, qui était très expérimenté dans la prière incessante, disait : « Nombreux sont ceux qui par inexpérience spirituelle jugent faussement que cette pratique convient seulement aux hommes saints et sans passions »
D’autres craignent d’entreprendre ce labeur en pensant qu’il pourrait les conduire au leurre. Cette crainte provient de leur ignorance spirituelle. Examinons la chose sereinement : n’est-ce pas un leurre et une illusion que de penser que l’invocation du Nom saint et salutaire de notre Dieu pourrait être dangereux ? Ce leurre-là n’est-il pas pernicieux ? Oui, ce leurre-là est le plus subtil et le plus pernicieux des leurres de l’âme ! Jamais qui que ce soit n’a eu l’esprit dérangé par cette prière, ni n’est tombé dans l’illusion !
Mais au fait, qui tombe dans l’illusion ? Qui voit son âme se détériorer ? C’est celui qui, suivant l’élan déraisonnable, insensé et orgueilleux de son esprit, s’élance vers des degrés élevés qui ne conviennent pas à son état passionné.
Il s’est déjà trouvé des confesseurs inexpérimentés et déraisonnables pour interdire la pratique de la prière de Jésus. Sous leur influence, de nombreuses personnes sont parvenues à un total enténèbrement de l’âme, comme le raconte le starets Païssy Voldavsky. Eprouvant une grande crainte pour cette sainte prière, elles ont sombré dans une folie extrême, allant jusqu’à jeter à la rivière avec des briques les livres des Pères qui en parlent ! Quoi de plus insensé qu’un tel comportement ?
Il se trouve malheureusement que la prière de Jésus effraie non seulement les ignorants, mais aussi certaines personnes instruites, et même de savants théologiens. Ceux-ci lui opposent un comportement pour le moins bizarre, et souvent hostile. Le Saint évêque Ignace Briantchaninov, expérimenté dans la pratique de cette prière, fait à leur propos les réflexions suivantes : « Il n’est pas étonnant que nos (théologiens) scientifiques, qui n’ont aucune connaissance de la prière de l’esprit selon la Tradition de l’Eglise Orthodoxe, se mettent à répéter les blasphèmes et les inepties qu’ils ont lus chez les auteurs occidentaux à son sujet ». « L’intelligence charnelle et psychique, aussi savante soit-elle dans la sagesse du monde, regarde toujours de façon bizarre et hostile la prière de l’esprit. Cette prière est le moyen pour l’esprit humain de s’unir à l’Esprit de Dieu, aussi est-elle particulièrement effrayante et haïssable pour ceux qui voient avec bienveillance leur esprit s’installer dans l’assemblée des esprits déchus et hostiles à Dieu, esprits qui n’ont aucune conscience de leur chute, et qui s’en enorgueillissent comme d’une grande réussite ».
Lors de la prise d’habit monastique, le nouveau tonsuré reçoit le chapelet et s’entend dire : « Reçois, frère, l’épée spirituelle de la parole de Dieu, et sème-la dans ta bouche ! En esprit et dans ton coeur, dis constamment : Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur ! » Cette prière est donnée à chaque moine comme un commandement. Pourtant, rares sont les moines qui comprennent pourquoi. Il leur faudrait un guide expérimenté...
Celui qui s’attache en toute pureté à cette prière se détourne de l’intempérance et cherche le repentir d’un coeur ardent. La prière agit sur lui comme un guide du repentir. Dans le cas des laïcs, elle s’attache seulement à celui qui a soif de renoncer à la vie charnelle pour entreprendre une vie spirituelle et sauver son âme. La prière ne saurait en aucun cas perdurer chez le mondain qui mène une vie charnelle. Toutefois, s’il s’y accroche quand même, elle finira par l’entraîner vers la vie spirituelle et le repentir.
La prière de Jésus est aussi la prière de la résurrection de l’âme et de la vie divine. Celui qui s’y attache véritablement se détache toujours de la vie matérielle et charnelle, meurt pour le monde et se réveille à la vie de l’esprit. Cette courte prière ressuscite l’esprit, elle est esprit, elle est la spiritualisation de celui qui l’aime.
L’homme de prière de Cronstadt, qui aimait cette prière, en confirma la force par sa vie inspirée au milieu du monde. Il est vrai que son expérience parait exceptionnellement éclatante. Pourtant, elle n’est pas le fruit du hasard. Il n’y a pas de place pour le hasard dans la sage providence de Dieu. L’homme de prière de Cronstadt est un exemple prophétique pour tous ceux qui cherchent véritablement le salut au milieu des tentations de ce monde des derniers temps. C’est pour nous un signe réjouissant et réconfortant.
Pourtant, certains pensent encore et toujours que seuls ceux qui vivent dans un environnement monastique ou dans le désert peuvent entreprendre ce labeur spirituel. Mais notre époque n’offre ni l’un ni l’autre. Le Seigneur a rendu le désert inaccessible et fermé les monastères. Il ne nous a laissé que le monde pécheur. Que devons-nous donc faire, nous qui désirons le salut ? Il ne nous reste qu’une seule voie : la voie intérieure de l’attention aux pensées et de la prière incessante. Nous devons chercher notre salut au milieu du monde par la pratique spirituelle. Garde ton esprit, occupe-le par l’incessante prière du repentir ! N’y cherche pas des états spirituels élevés, mais uniquement la vision de tes péchés et la purification de tes passions ! Cherche tout cela dans les pleurs de la prière ! On ne s’égare pas dans cette voie-là, elle est sans danger, c’est la voie des Pères. C’est la seule voie qui s’ouvre devant nous. Toutes les autres sont obstruées.
Des pensées de doute et d’hésitation s’élèvent-elles encore ? Elles proviennent du corrupteur mental qui, dans son grand art, utilise le doute, l’hésitation, l’indécision, pour ébranler définitivement notre foi (déjà bien faible) dans la toute-puissance de Dieu, et nous perdre par manque de confiance. Le Seigneur Dieu est pourtant le même hier, aujourd’hui et éternellement (Heb.13,8). Il sauve toujours par Sa grâce puissante celui qui recherche et désire le salut. (à suivre)%\%\%
LE MYSTÈRE DU ROYAUME DE DIEU, OU
LA VOIE OUBLIÉE DE LA CONNAISSANCE DE DIEU PAR EXPÉRIENCE.
(Archiprêtre Jean Jouravsky)
Des Saints Pères qui cherchaient leur âme
et la trouvaient sur la voie du labeur spirituel
Du labeur spirituel qui procure sur la terre
une existence angélique, et la vie éternelle
De la beauté spirituelle de Dieu
Ô, Saints Pères ! Hommes célestes et bénis, anges terrestres ! Vous avez cherché sans vous lasser la perle précieuse de Dieu, le trésor caché sous les épines des passions et des convoitises ! Comme vous avez aimé votre âme incorporelle, empreinte de la beauté divine, splendeur inaltérable, création ô combien admirable de Dieu, image de Sa gloire éternelle, nature spirituelle et immortelle ! Avec quelle ardeur vous êtes-vous lancés dans la quête de votre âme, depuis vos jeunes années jusqu’à votre ultime vieillesse ! Comme votre coeur s’y est enflammé !
Âme ! Beauté divine, incorporelle, intelligente, mais aussi pécheresse et charnelle, passionnée et insensée ! Lumineuse fiancée du Roi Céleste, et pitoyable esclave des convoitises ténébreuses, compagne des démons adultères ! Les anges et les archanges te servent ! Les chérubins et les séraphins te pleurent ! Les saints prient constamment pour toi ! Le Maître des Cieux Lui-même t’aime d’un amour éternel ! Le Fils de Dieu t’a cherchée d’un coeur transpercé, versant pour toi Ses larmes et Sa sueur comme des grumeaux de sang !
« Lui, qui est assis sur le trône de majesté dans les hauteurs, dans la cité céleste, est tout entier auprès de l’âme, dans son corps. Car Il a placé son image à elle en haut, dans la cité céleste des saints, Jérusalem, et Il a mis Sa propre image, l’image de la lumière ineffable de Sa divinité, dans son corps à elle. Il l’a déposée dans son corps. Lui-même la sert dans la cité de ce corps, tandis qu’elle Le sert dans la cité céleste. Il est son héritage au ciel, et elle, Son héritage sur la terre. Car le Seigneur devient l’héritage de l’âme, et l’âme l’héritage du Seigneur » (Saint Macaire le Grand 46,4).
Tel est le chant secret et divin que l’admirable Macaire, l’égal des anges, adresse à l’âme ! Oui, les saints comprenaient le mystère divin de l’âme humaine, qui les plongeait dans un trouble divin et salutaire... Recevant l’illumination céleste, ils voyaient, comprenaient, et concevaient de tout leur être ceci :
Dieu Lui-même a abandonné les Cieux et l’assemblée des anges pour venir sur cette terre des afflictions ténébreuses, ce lieu d’exil de la nature humaine intelligente mais déchue, ce repaire des sombres démons. Dans une affliction mortelle, Il a cherché Son image, Son aimée, celle qui était perdue, versant Sa sueur comme des grumeaux de sang. Le Maître et Créateur fut le premier à rechercher l’âme égarée, Lui qui a dit : « Je suis venu chercher ce qui était perdu » .
En comprenant ceci, comment les saints pouvaient-ils ne pas agir à leur tour, ne pas oeuvrer à cette recherche, eux qui, bien que terre et cendre, abritaient en eux-mêmes l’âme perdue, l’image cachée du Créateur ?
Percevant dans la sensibilité maladive de leur coeur le Mystère de cette recherche et l’inquiétude de Dieu, entendant les pleurs des anges, comprenant à quel point Dieu s’afflige pour l’âme, ils ont abandonné tous les désirs de cette vie charnelle, ils ont secoué la boue de leurs yeux spirituels, et se sont lancés dans la recherche, travaillant de concert avec Dieu et les anges en larmes. Ils se sont précipités dans les forêts, dans les montagnes, dans les rochers, rencontrant la faim et la soif, la nudité et le froid, l’inconfort et les larmes, le renoncement et les souffrances, la prière et l’affliction. S’appuyant sur la prière vigilante, ils se sont adonnés au labeur spirituel de la recherche de l’âme.
Avec Saint Jean Climaque ils se sont lamentés devant Dieu : « Je ne puis plus supporter la violence de l’amour ; je désire avidement cette beauté immortelle que Tu m’avais donnée à la place de cette argile ! » (Echelle, 29,10)
Ô, chercheurs infatigables de la vie spirituelle, vous que la flèche céleste a blessés, vous que les pleurs des anges ont réveillés, quels combats n’avez-vous connus, et quels labeurs, quels torrents de larmes, quelles interminables supplications !
Les porteurs de la croix spirituelle sont partis sur la voie étroite, à la file, dans les larmes de la prière incessante, dans les cris et les gémissements du combat invisible, clouant sur leur croix par la prière du coeur leur vie charnelle et leur esprit.
Ils ont obtenu ce trésor que Dieu Lui-même cherchait à leur offrir, sur lequel les anges et les puissances célestes pleuraient. Ils ont obtenu la beauté divine et spirituelle, ils ont recouvré leur âme perdue, ils ont trouvé la joie, la lumière, la réjouissance éternelle et l’allégresse, ils ont obtenu leur Résurrection, leur Pâque lumineuse, leur vie éternelle, ils ont découvert Dieu, digne de toute admiration, au Nom salutaire et merveilleux pour les âmes pécheresses perdues.
Oui, telle est l’immuable loi spirituelle : celui qui perd son âme perd Dieu, et celui qui trouve son âme trouve Dieu.
On peut perdre son âme, et alors on perd tout. Très peu nombreux sont ceux qui la trouvent. Beaucoup la perdent, qui par des rêveries séduisantes de l’intellect, qui par de sensuelles convoitises du coeur. Celui qui vit sans être attentif à ses pensées la perd. Celui qui vagabonde en esprit la perd. Il est si rare de retrouver son âme perdue... La trouvent uniquement ceux qui renoncent aux richesses psychiques, aux rêveries, aux convoitises sensuelles, ceux qui renient satan et ses oeuvres psychiques, et achètent au prix des larmes le champ du repentir dans lequel est enterrée l’âme pécheresse, la perle de Dieu, la drachme perdue, qu’ils dégagent des gravats à la sueur de leur front.
La fête du recouvrement de l’âme est toujours un événement. Elle passe inaperçue sur la terre, mais elle suscite au ciel une grande allégresse ! Les anges se réjouissent avec leur Maître. Réjouissez-vous avec Moi, J’ai trouvé la drachme perdue ! Ainsi, Je vous le dis, il y a de la joie chez les anges au ciel pour un seul pécheur qui se repent !
Le recouvrement de l’âme pécheresse est la fête des anges, la fête divine. Pour obtenir, au prix de beaucoup de larmes, cette perle céleste et immatérielle qu’est notre âme, et avec elle la beauté spirituelle de Dieu et Dieu Lui-même, il faut passer par les portes étroites d’une vie spirituelle resserrée, où nous nous débarrassons du matériel, du terrestre, et du psychique. Après seulement commencent la fête et les réjouissances.
Bien peu trouvent le seuil de l’étroitesse et du renoncement, rares sont ceux qui le franchissent pour entrer dans une vie vraiment spirituelle et céleste. Bien peu conçoivent ce que sont les réjouissances angéliques sur la terre et ce que les Saints Pères appellent l’attention à soi-même. C’est ainsi qu’il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus. Peu nombreux sont ceux qui trouvent le salut, à cause de l’inattention et d’une existence tournée vers le matériel. Rares sont ceux qui communient à la vie éternelle par l’attention. Rares sont ceux qui cherchent leur âme, et encore plus rares ceux qui la trouvent. C’est un grand exploit que de renoncer au matériel et au psychique. Quel grand labeur faut-il déployer pour trouver la perle immatérielle qu’est l’âme ! Pourtant, l’abandon du matériel et du psychique conduisent à l’immatériel et au spirituel.
Eclairés par la grâce divine, les Pères ont expérimenté et compris tout cela en oeuvrant toute leur vie pour trouver la perle spirituelle. Ils ont montré beaucoup d’humilité et de patience, dans les tribulations et l’effort sur soi-même. Ils ont atteint leur but, non pas en partant dans des grottes ou des forêts, non pas par la faim ou la soif, mais par l’angoisse spirituelle de l’attention, par la pratique spirituelle. Ils ont expérimenté le mystère de la prière de l’esprit, mystère perpétuellement caché, au fil des siècles et des générations. Par la prière, les larmes, et le repentir, ils ont trouvé leur âme, et avec elle, l’admirable don de la grâce accordé à notre nature en Jésus-Christ. Ce don est riche, sa puissance grande et bénie. C’est le don de la nouvelle existence, l’existence théophore. Il introduit dans une vie nouvelle qui illumine la nature spirituelle et montre clairement au coeur qu’il porte en lui le Dieu Saint et Vivant. C’est ainsi que les Pères sont devenus théophores et saints. Sur terre et dans la chair, ils vivaient au ciel par l’esprit. Ici-bas, entourés du péché et de la corruption, ils portaient la beauté spirituelle immortelle, l’image de Dieu resplendissait en eux d’une gloire sans déclin. Leur brillante lumière couvrait de honte les méchants démons qui foulent aux pieds l’image de Dieu, affermissait la foi affaiblie d’une multitude, éclairait la recherche des hommes.
Nous pourrons nous aussi, avec le concours de la grâce, recouvrer notre âme, notre beauté spirituelle perdue, si nous nous engageons sur la voie de la tribulation spirituelle. C’est seulement sur cette voie que nous y parviendrons. Dans l’angoisse spirituelle de la prière attentive, l’homme réalise l’ampleur de sa chute. Sur la voie de l’attention, il connaît la beauté immortelle de l’âme et, simultanément, l’abîme de la miséricorde et de l’amour de Dieu pour cette pécheresse spirituelle. Seule la voie étroite du renoncement spirituel montre à l’homme la grandeur céleste de l’âme. En découvrant pour la première fois cette digne image de Dieu, il comprend toute la folie du péché qui l’a déformée. Par le repentir, il fait alors le serment d’aimer l’âme jusqu’à la mort, et de haïr la pernicieuse laideur du péché d’inattention. En pleine conscience, il renonce à satan, le corrupteur des âmes, et au tourbillon des pensées perverties. Oui, ce n’est que sur la voie de la tribulation spirituelle qu’on découvre toute la laideur et l’horreur du péché installé dans les pensées, et toute la beauté immortelle de l’image spirituelle qui resplendissait dans l’homme avant la boue (Cf. Jn. 9 ; 6,11,15).
Seuls les Pères ont percé le Mystère de l’âme, et, ce faisant, ils ont chanté : « Je suis l’image de Ta gloire ineffable, même si je porte les marques du péché ».
L’inimitable chantre de l’âme pécheresse et déchue, Saint André de Crète, a entonné sur elle des hymnes immortelles arrosées de larmes divines. On y perçoit les sanglots des anges qui s’apitoient sur cette beauté spirituelle perdue que le Fils de Dieu aime d’un amour éternel. La Sainte Eglise a adopté ces hymnes. Elle les chante en pleurant pendant les journées de repentir du Grand Carême. D’innombrables générations d’humbles chrétiens arrosent de leurs larmes les hymnes de Saint André depuis des siècles, pleurant leur âme pécheresse et disant : « Aie pitié de moi, Ô Dieu, aie pitié de moi ! » Les Saints Anges aussi se lamentent sur la pécheresse, et avec eux toute l’Église du ciel et de la terre. La beauté de l’âme devant Dieu est telle, que sa perte est une catastrophe.
Quiconque vient un jour à contempler la pécheresse de ses yeux intérieurs ne verra plus jamais ses larmes se tarir. Quiconque vient un jour à contempler sa beauté immortelle entachée de péché, verra toutes les beautés terrestres s’affadir et jamais plus il ne les vénérera.
Ceux qui n’ont pas vu la beauté intérieure et éternelle vénèrent la beauté terrestre. Pourtant, celle-ci n’est que l’ombre fragile et passagère de la première. La beauté terrestre n’est pas un but en soi, elle n’est qu’un petit sentier à peine visible, rarement emprunté par ceux qui aspirent au véritable but. Seuls quelques rares solitaires particulièrement doués y trouvent la voie de la beauté immortelle. Mais les autres cheminent sur la voie large de l’art et de la technique, de la tradition formelle, du cérémonial, de la piété extérieure. C’est la voie des nombreux appelés. Peu y trouvent le salut. Le rite et l’art font oublier la beauté intérieure. Seuls quelques élus passent du cérémonial au service intérieur et à l’attention. Sur la voie de l’étroitesse spirituelle, ils clouent les convoitises à la croix du renoncement et proclament : « Je cherche Ta beauté immortelle, celle dont Tu m’avais revêtu avant cette boue ! »
Seul celui qui s’est arraché à la convoitise pour rechercher son âme et sa beauté immortelle peut véritablement la trouver, même profondément enfouie dans le gouffre des passions (Cf. Saint Macaire le Grand). Dans les larmes de repentir, il découvre la digne image de Dieu. Avec la grâce de Dieu, il prend conscience de sa terrible chute. Quiconque n’a pas encore contemplé son âme pécheresse, incorporelle et déchue, se lamentant sous le choc d’une telle vision, est encore aveugle, pauvre et misérable. Il ne sait pas encore ce qu’est la beauté immortelle.
La beauté immortelle est dévoilée par les larmes de contrition et un profond repentir. Mais rares sont ceux qui trouvent ce repentir. Rares sont ceux qui se connaissent et connaissent leur âme. Rares sont ceux qui trouvent le chemin de Sainte Marie l’Egyptienne ou de Sainte Taïs. La plupart des gens, affaiblis par les convoitises lubriques, sont incapables d’abandonner leur couche pécheresse pour se plonger dans le bassin des larmes, que garde l’ange du repentir. Le péché affaiblit l’âme, la paralyse, la flétrit, la rend impuissante et infirme. Il l’affaiblit tellement qu’elle n’a même plus la force de se repentir. L’âme de Marie l’Egyptienne n’était pas épuisée. Quelle majesté dans cette âme, quel repentir ! Quelle divine inquiétude que celle de Marie pour son âme ! Quel courage et quelle audace dans son combat contre le terrible serpent, qui serrait déjà dans sa gueule la condamnée ! Comme elle désirait sauver la beauté spirituelle outragée ! Quelle personnalité courageuse, magnifique et forte, dans un corps de femme frêle et épuisé ! Quarante années d’intense combat dans le désert, quarante années de luttes contre les sangsues des passions ! Ce n’est pas à tort que Saint Macaire le Grand a pu proclamer que l’âme et le démon sont de force égale. La grâce du Seigneur a aidé Sainte Marie l’Egyptienne à vaincre le démon des passions. Cette grâce vient à l’aide de toute âme qui s’arme avec courage et détermination contre le péché, si elle rejette toute hypocrisie.
Rares sont ceux qui engagent à temps le combat contre les passions. La plupart des gens passent leur vie entière avec elles, sans remarquer que les petites passions épuisent l’énergie spirituelle. L’âme épuisée est incapable d’exploit. Elle n’a pas la force de cheminer sur la voie difficile du repentir. Elle s’affale sur le lit des petites convoitises qui la gardent captive, et ne peut plus avancer vers Dieu. Elle attend couchée que Dieu Lui-même vienne à elle. Elle est tellement paralysée que même une aide matérielle ne parvient pas à la relever.
Zachée, en son temps, vit le Seigneur passer devant lui et le chercher du regard. Dieu est attiré par le regard spirituel de l’âme. Il voit quel regard secret Le cherche et s’empresse à Sa rencontre. Derrière le regard spirituel de l’âme se cache un mystère divin, profond et inconcevable. Seuls les saints ont pu quelque peu le dévoiler. L’âme est grande et mystérieuse, et sa puissance ne l’est pas moins. Le regard spirituel de l’âme attire à lui ce sur quoi il se pose. Quelle puissance mystérieuse, terrible, et salutaire !
Le saint roi David a regardé la femme d’un autre et l’a attirée. Hélas ! Hélas ! Il a également attiré les pleurs et les lamentations de toute une vie ! Mais Zachée a regardé Dieu, L’a attiré, et a fait entrer le salut dans toute sa maison. Le Saint Apôtre parle du mystère du regard spirituel : « Nous tous, qui, le visage découvert, contemplons comme dans un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés par cette image ! » (2Cor.3,18). Dans ces mots se cache le mystère des Saints Pères sur la prière de l’esprit. Ce que l’esprit regarde avec attention, il le reçoit. C’est pourquoi il est dit à ceux qui cherchent Dieu spirituellement : « Priez sans cesse ! Regardez constamment la gloire du Seigneur, le glorieux Nom du Seigneur, et vous attirerez Dieu vers vous ». Mais l’âme affaiblie et épuisée par les passions n’a pas la force de rechercher Dieu d’un regard spirituel. Peu de gens comprennent la pratique spirituelle, et encore moins ceux qui cherchent avec leur intelligence.
Oui, le péché et les petites passions sont effrayants ! Comme d’indestructibles parasites, ils agrippent l’âme, sucent ses forces spirituelles, l’épuisent, et la rendent inapte à la vie spirituelle. C’est pourquoi la majorité des chrétiens mène une vie terrestre, matérielle et intempérante. La vie spirituelle, intérieure, celle qui renonce au matériel, leur est inaccessible. La vie angélique et la contemplation spirituelle de la beauté immortelle leur sont incompréhensibles. Ils ne peuvent concevoir combien leur âme est pécheresse (bien qu’elle soit aussi le siège d’une digne et divine beauté spirituelle). Ils ne sentent pas la tunique des passions, les haillons infects de la convoitise et du péché.
Seul celui qui a vu son âme de ses yeux intérieurs et connu sa dignité peut, avec l’aide puissante de Dieu, voir et connaître aussi sa terrible chute. Quelle mystérieuse vision que celle de l’âme incorporelle couverte de la tunique des passions, puante de la convoitise et du péché ! Quelle vision poignante, ineffable et divine ! Elle incite à crier sans relâche « Aie pitié de moi, Ô Dieu, aie pitié de moi ! ». Elle pousse l’âme pécheresse vers les montagnes et les forêts, vers les pleurs et la prière, vers le renoncement et les souffrances.
Saint André de Crète a composé son oeuvre divine à l’occasion d’une grande chute. Le mystérieux chantre de l’âme, Saint Macaire le Grand, l’égal des anges, le grand luminaire des pères égyptiens, a composé pour elle des chants secrets montrant sa grandeur, sa gloire, sa beauté spirituelle et divine. L’Église les a conservé avec amour dans son florilège d’écrits inspirés.
Voici quelques uns des chants célestes sur la beauté divine de l’âme, cet être spirituel, que l’Esprit Saint a placés sur les lèvres du théophore et lumineux Macaire :
« Le Seigneur a créé le corps et l’âme de l’homme afin d’en faire Sa propre demeure, d’habiter et de reposer dans le corps, comme dans Sa maison, avec l’âme bien-aimée pour épouse, pleine de beauté et modelée à Son image »
« L’âme est en vérité une grande et merveilleuse création de Dieu. En la façonnant, Il fit en sorte que fût inscrite dans sa nature la loi des vertus. Il lui octroya le discernement, la connaissance, la sagesse, la foi, l’amour, et la volonté. Il la créa légère, infatigable et douée d’une grande mobilité. Il lui accorda la capacité d’aller et de venir en un clin d’oeil et de Le servir en pensée à la moindre sollicitation de l’Esprit. En un mot, Il la créa pour quelle fût Sa fiancée complice, à qui Il allait s’unir pour qu’elle devînt avec Lui un seul esprit, comme il est dit : Celui qui s’attache au Seigneur est avec Lui un seul esprit (1Cor.6,17). Aucune créature n’est aussi proche, aucune n’a autant de réciprocité avec Dieu que l’âme »
« L’âme est la plus précieuse de toutes les créatures »
« Alors que les anges veillaient déjà sur ton salut, le Fils du Roi et Roi lui-même tint conseil avec Son Père, et le Verbe descendit sauver le semblable par le Semblable, revêtant la chair derrière laquelle Il cacha Sa Divinité, allant jusqu’à déposer Son âme sur la Croix. Comme est grand l’amour de Dieu pour l’homme ! L’immortel condescend à être crucifié pour toi ! Comprends donc l’importance de l’âme et à quel point Dieu s’en préoccupe ! Dieu et Ses anges la cherchent pour communier avec elle dans le Royaume ! Mais satan et ses forces la cherchent aussi et l’attirent vers eux ! »
« Homme ! réfléchis donc à ta dignité ! Vois comme tu es précieux ! Dieu t’a placé au-dessus des anges en venant en personne sur la terre intercéder en ta faveur et être ton Rédempteur ! »
Ainsi, les Pères Saints ont médité sur leur dignité, ont compris leur nature spirituelle, et se sont lancés à la recherche de leur âme, cette image incorruptible de la beauté immortelle de Dieu. Ils se sont hâtés vers le monde spirituel qui leur devint familier, quittant la vie charnelle pour la vie de l’esprit, le chemin vaste et large des tourbillons psychiques pour l’étroitesse spirituelle de l’attention et de la prière. Avec le concours de Dieu, ils ont trouvé ce qu’ils cherchaient, c’est-à-dire leur âme, belle, spirituelle et divine, et avec elle, le don de l’existence divine reçu en Jésus-Christ, notre Seigneur. Ils ont obtenu leur âme et la grâce de l’existence angélique en portant constamment Dieu dans leur coeur, dans leur esprit, et sur leurs lèvres. Ils ont porté en permanence et avec grande attention le très Saint Nom de Dieu, si efficace pour tous ceux qui L’invoquent avec foi et amour. Les Saints Pères nous invitent nous aussi à rechercher notre âme et la vie angélique, par le labeur et l’affliction spirituels, l’attention et la prière incessantes.
De la possibilité de pratiquer la prière de l’esprit au milieu du monde
Un exemple réconfortant et béni
La condition sine qua non pour pratiquer cette prière
« Garde ton esprit ! »
Nos maîtres dans cette pratique : les Pères et les tribulations
Celui qui lit ces lignes sera peut-être plongé dans des pensées dubitatives : quelle pourrait être la pratique spirituelle d’un homme qui vit dans l’effervescence du monde ? Cette pratique ne convient-elle pas davantage à celui qui vit dans un monastère ?
A cela, il y a lieu de répondre par les paroles du Seigneur : ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu (Luc 18,27). Saint Syméon le Nouveau Théologien ajoute d’ailleurs que ni le monde, ni les occupations de la vie n’empêchent d’accomplir les commandements de Dieu, pourvu qu’il y ait du zèle et de l’attention.
Le bien fondé de ces paroles divines a été amplement confirmé sur la terre russe par la vie spirituelle du père Jean de Cronstadt, que le Seigneur a voulu montrer à tout un peuple chrétien qui s’éloigne de Dieu et perd la foi. Le bienheureux Père Jean a en effet cherché le salut par la pratique spirituelle au beau milieu du monde, au coeur d’une foule immense, alourdie par les péchés et toutes sortes de tentations. Cette figure bienheureuse est pour nous un signe prophétique. Elle indique la voie à tous ceux qui, au milieu des vagues terribles et furieuses d’un monde agité par les passions, cherchent vraiment le salut.
Le salut, c’est-à-dire l’ascension des degrés de la perfection chrétienne, est possible en tout lieu et en toutes circonstances, à condition d’adopter la pratique spirituelle que le Père Jean a résumée dans ce conseil : Sois prudent, garde ton esprit !
Comme ceci est étonnant ! Ces quelques mots si lumineux traduisent l’essence même de l’enseignement des Saints Pères sur l’attention, la vigilance et la pratique spirituelle. Ces paroles brèves et divines sont la quintessence de l’ascèse orthodoxe et de ses exploits spirituels.
Cette pensée n’est pas le fruit d’une recherche académique. Elle vient du coeur, de l’expérience intérieure animée par la Grâce. En elle se cache le mystère du Christianisme et du monachisme.
Les « théoriciens » du Christianisme, du monachisme, et de l’ascèse orthodoxe ont écrit beaucoup de bons livres, qui sont les fruits d’une intelligence savante. Pourtant, ces livres ne montrent pas que la Grâce a donné à leurs auteurs la compréhension des vérités dont ils parlent. Ils sont morts, ils ne renferment pas la Parole de Vie. Oui, ces livres sont morts... La compréhension offerte par la Grâce leur fait défaut. Il aurait fallu que leurs auteurs connussent eux-mêmes la vie et l’expérience spirituelle intérieure qu’illumine la Grâce. Seule une telle expérience peut donner le jour à des écrits porteurs de grâces. Sans elle, les vérités du Christianisme sont totalement inaccessibles. L’intelligence livresque ne les voit pas; écoutant, elle n’entend pas et ne comprend pas...
L’homme de prière de Cronstadt, quant à lui, avait cette expérience. C’est pourquoi il a pu exprimer dans cette parole brève et porteuse de grâces l’essence même de l’ascétisme chrétien oriental, c’est-à-dire l’essence même du monachisme et de tout le Christianisme.
Garde ton esprit !
Tout est dit. Voilà le secret de l’exploit spirituel. Voilà le secret du salut et de la perfection chrétienne. Voilà la pratique spirituelle des Pères, l’élévation de leur esprit vers Dieu dans la prière. Tout est dans la mémoire de Dieu, dans la prière incessante, qui conduit intérieurement à Dieu par une communion vivante avec Lui dans le silence mental. C’est la voie des Pères, c’est l’essence de l’ascèse orthodoxe !
L’expérience pratique de la Grâce chez le père Jean de Cronstadt confirme avec une clarté extraordinaire la vérité de ses paroles, et des paroles de l’antique Prophète : Dieu a accompli notre salut au milieu de la terre (Ps.73,12). « Au milieu de la terre », c’est-à-dire au milieu du monde, de la chair, du péché, et des tentations. C’est précisément là que le salut est accompli par Dieu Lui-même, et non par l’homme, quoiqu’avec le bon zèle de l’homme. C’est Dieu et non l’homme qui détient la clef le salut.
Si la prière incessante à laquelle le Père Jean fait allusion en disant « garde ton esprit » était absolument impossible dans le monde, l’Esprit Saint n’aurait pas appelé les chrétiens à ce labeur par la bouche de l’Apôtre qui dit : Priez sans cesse ! (1Thes.5,17) Le Seigneur Dieu ne demande pas l’impossible. Suggérée par l’Esprit Saint, la prière incessante est indispensable : sans la prière incessante, il est impossible de se rapprocher de Dieu (Saint Isaac le Syrien).
Il nous faut seulement vouloir le salut et fournir un bon zèle. Si nous offrons une prière incessante zélée, Dieu Lui-même nous aidera en toutes circonstances, au milieu de la mer déchaînée des passions, dans la prison de l’Egypte, ou dans la fournaise des tribulations de Babylone qui mettent à l’épreuve la fermeté de la foi et de l’espérance. Dieu est véritablement l’Aide et le Protecteur de toute âme qui fuit l’Egypte des passions et le pouvoir du pharaon mental pour s’élancer vers la terre spirituelle de la promesse. Une telle âme obtient effectivement Son aide, dès que l’élan spirituel l’anime.
La vie spirituelle de l’homme de prière de Cronstadt a amplement confirmé cette vérité. Le Seigneur Dieu, qu’il invoquait en esprit, a toujours été son Aide et son Protecteur au milieu des foule immenses.
S’il était impossible de trouver le salut par une telle pratique spirituelle au milieu du monde, les Pères n’auraient pas incité les laïcs eux-mêmes à l’adopter. Saint Ignace Briantchaninov dit que la prière de Jésus doit être pratiquée non seulement par les moines qui vivent au monastère dans les obédiences, mais aussi par les laïcs. Il dit aussi que tous les chrétiens peuvent et doivent pratiquer cette prière avec un esprit de repentir, dans le but d’appeler le Seigneur à l’aide, avec foi, crainte de Dieu, grande attention au sens et aux paroles de la prière, et grande contrition.
C’est Saint Basile le Grand qui suggéra aux analphabètes de son temps de remplacer toutes les prières par la prière de Jésus, et ceci devint une règle pour toute l’Église d’Orient. Saint Syméon, archevêque de Thessalonique, conseille aux évêques et aux prêtres, aux moines et aux laïcs, de prononcer en tout temps et à toute heure cette sainte prière, de la garder sur les lèvres comme une respiration : que toute personne pieuse prononce cet appel et s’y force toujours ! Notre Père lumineux, le saint et bienheureux moine Séraphim, donnait les mêmes recommandations à toux ceux qui venaient à lui, moines ou laïcs, et disait :
« Que tout chrétien vaque à ses occupations et, pendant son travail à la maison ou à l’extérieur, qu’il dise doucement : Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi le pécheur ! Qu’il s’exerce à mettre dans ces mots toute son attention !
Dans l’invocation du Nom de Dieu, tu trouveras le repos, tu parviendras à la pureté spirituelle et corporelle, et l’Esprit Saint établira Sa demeure en toi. Source de tout bien, Il te dirigera dans la sainteté, en toute piété et pureté »
De nombreux Saints Pères donnaient aussi cette instruction à ceux qu’ils rencontraient, moines ou laïcs. Le commandement de vigilance, c’est-à-dire de prière incessante, fut donné par notre Seigneur et Sauveur non seulement à Ses proches disciples, mais aussi à tous ceux qui croyaient en Lui. Pourtant, nombreux sont ceux qui par fausse humilité se considèrent indignes de cette prière et prétextent qu’elle convient davantage aux hommes saints. Ceci est injuste et faux. Le schémamoine Basile Polianomerilsky de bienheureuse mémoire, qui était très expérimenté dans la prière incessante, disait : « Nombreux sont ceux qui par inexpérience spirituelle jugent faussement que cette pratique convient seulement aux hommes saints et sans passions »
D’autres craignent d’entreprendre ce labeur en pensant qu’il pourrait les conduire au leurre. Cette crainte provient de leur ignorance spirituelle. Examinons la chose sereinement : n’est-ce pas un leurre et une illusion que de penser que l’invocation du Nom saint et salutaire de notre Dieu pourrait être dangereux ? Ce leurre-là n’est-il pas pernicieux ? Oui, ce leurre-là est le plus subtil et le plus pernicieux des leurres de l’âme ! Jamais qui que ce soit n’a eu l’esprit dérangé par cette prière, ni n’est tombé dans l’illusion !
Mais au fait, qui tombe dans l’illusion ? Qui voit son âme se détériorer ? C’est celui qui, suivant l’élan déraisonnable, insensé et orgueilleux de son esprit, s’élance vers des degrés élevés qui ne conviennent pas à son état passionné.
Il s’est déjà trouvé des confesseurs inexpérimentés et déraisonnables pour interdire la pratique de la prière de Jésus. Sous leur influence, de nombreuses personnes sont parvenues à un total enténèbrement de l’âme, comme le raconte le starets Païssy Voldavsky. Eprouvant une grande crainte pour cette sainte prière, elles ont sombré dans une folie extrême, allant jusqu’à jeter à la rivière avec des briques les livres des Pères qui en parlent ! Quoi de plus insensé qu’un tel comportement ?
Il se trouve malheureusement que la prière de Jésus effraie non seulement les ignorants, mais aussi certaines personnes instruites, et même de savants théologiens. Ceux-ci lui opposent un comportement pour le moins bizarre, et souvent hostile. Le Saint évêque Ignace Briantchaninov, expérimenté dans la pratique de cette prière, fait à leur propos les réflexions suivantes : « Il n’est pas étonnant que nos (théologiens) scientifiques, qui n’ont aucune connaissance de la prière de l’esprit selon la Tradition de l’Eglise Orthodoxe, se mettent à répéter les blasphèmes et les inepties qu’ils ont lus chez les auteurs occidentaux à son sujet ». « L’intelligence charnelle et psychique, aussi savante soit-elle dans la sagesse du monde, regarde toujours de façon bizarre et hostile la prière de l’esprit. Cette prière est le moyen pour l’esprit humain de s’unir à l’Esprit de Dieu, aussi est-elle particulièrement effrayante et haïssable pour ceux qui voient avec bienveillance leur esprit s’installer dans l’assemblée des esprits déchus et hostiles à Dieu, esprits qui n’ont aucune conscience de leur chute, et qui s’en enorgueillissent comme d’une grande réussite ».
Lors de la prise d’habit monastique, le nouveau tonsuré reçoit le chapelet et s’entend dire : « Reçois, frère, l’épée spirituelle de la parole de Dieu, et sème-la dans ta bouche ! En esprit et dans ton coeur, dis constamment : Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur ! » Cette prière est donnée à chaque moine comme un commandement. Pourtant, rares sont les moines qui comprennent pourquoi. Il leur faudrait un guide expérimenté...
Celui qui s’attache en toute pureté à cette prière se détourne de l’intempérance et cherche le repentir d’un coeur ardent. La prière agit sur lui comme un guide du repentir. Dans le cas des laïcs, elle s’attache seulement à celui qui a soif de renoncer à la vie charnelle pour entreprendre une vie spirituelle et sauver son âme. La prière ne saurait en aucun cas perdurer chez le mondain qui mène une vie charnelle. Toutefois, s’il s’y accroche quand même, elle finira par l’entraîner vers la vie spirituelle et le repentir.
La prière de Jésus est aussi la prière de la résurrection de l’âme et de la vie divine. Celui qui s’y attache véritablement se détache toujours de la vie matérielle et charnelle, meurt pour le monde et se réveille à la vie de l’esprit. Cette courte prière ressuscite l’esprit, elle est esprit, elle est la spiritualisation de celui qui l’aime.
L’homme de prière de Cronstadt, qui aimait cette prière, en confirma la force par sa vie inspirée au milieu du monde. Il est vrai que son expérience parait exceptionnellement éclatante. Pourtant, elle n’est pas le fruit du hasard. Il n’y a pas de place pour le hasard dans la sage providence de Dieu. L’homme de prière de Cronstadt est un exemple prophétique pour tous ceux qui cherchent véritablement le salut au milieu des tentations de ce monde des derniers temps. C’est pour nous un signe réjouissant et réconfortant.
Pourtant, certains pensent encore et toujours que seuls ceux qui vivent dans un environnement monastique ou dans le désert peuvent entreprendre ce labeur spirituel. Mais notre époque n’offre ni l’un ni l’autre. Le Seigneur a rendu le désert inaccessible et fermé les monastères. Il ne nous a laissé que le monde pécheur. Que devons-nous donc faire, nous qui désirons le salut ? Il ne nous reste qu’une seule voie : la voie intérieure de l’attention aux pensées et de la prière incessante. Nous devons chercher notre salut au milieu du monde par la pratique spirituelle. Garde ton esprit, occupe-le par l’incessante prière du repentir ! N’y cherche pas des états spirituels élevés, mais uniquement la vision de tes péchés et la purification de tes passions ! Cherche tout cela dans les pleurs de la prière ! On ne s’égare pas dans cette voie-là, elle est sans danger, c’est la voie des Pères. C’est la seule voie qui s’ouvre devant nous. Toutes les autres sont obstruées.
Des pensées de doute et d’hésitation s’élèvent-elles encore ? Elles proviennent du corrupteur mental qui, dans son grand art, utilise le doute, l’hésitation, l’indécision, pour ébranler définitivement notre foi (déjà bien faible) dans la toute-puissance de Dieu, et nous perdre par manque de confiance. Le Seigneur Dieu est pourtant le même hier, aujourd’hui et éternellement (Heb.13,8). Il sauve toujours par Sa grâce puissante celui qui recherche et désire le salut. (à suivre)%\%\%
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