Il y a deux semaines, notre mère la Sainte Eglise nous a encouragé à mener une vie vertueuse. Mais il ne faut pas pour autant nous enorgueillir de nos bonnes oeuvres, car il nous est impossible d’en accomplir suffisamment pour fonder sur elles avec certitude l’espoir de notre salut. C’est pourquoi, sans cesser de faire le bien, nous ne devons pas nous appuyer sur notre vertu.
Dimanche dernier, la Sainte Eglise nous a rappelé que seuls les purs et les saints entreront dans le Royaume de Dieu. Cependant, comme nous ne pouvons pas nous présenter purs devant le Seigneur, ni accomplir parfaitement Ses commandements, nous devons faire l’effort de laver tout péché dans les larmes du repentir. Pleurons nos péchés comme on pleure un mort pour attirer, par nos larmes, la miséricorde divine !
Et aujourd’hui, que nous dit l’Eglise ? Elle nous décrit le jugement dernier et souhaite, par ce moyen, inspirer à ses enfants obéissants des efforts toujours plus grands, et inciter les paresseux et les insouciants à s’éveiller de leur torpeur.
Aux premiers, elle recommande de poursuivre inlassablement leurs efforts, en attendant la venue du Seigneur escorté de Ses anges, qui les placera à Sa droite en disant : Venez, les bénis de Mon Père, recevez le Royaume qui a été préparé pour vous depuis la fondation du monde ! Maintenant, vous allez goûter une félicité que le langage des hommes est impuissant à décrire ! Vous allez oublier toutes vos peines et toutes vos afflictions !
Aux seconds, elle répète inlassablement qu’il faut vivre comme des vrais chrétiens, mais ils ne l’écoutent pas. Elle les invite au repentir, mais ils se bouchent les oreilles pour ne point l’entendre. Elle les implore de pleurer leurs péchés, et non seulement ils ne le font pas, mais ils raillent ceux qui pleurent, se moquent de l’institution même de la pénitence et de la vie chrétienne. Soyez donc dans la crainte, car ce monde passera ! Le Juge sévère apparaîtra et vous repoussera avec colère : Allez loin de Moi, maudits, dans le feu éternel qui a été préparé pour le diable et pour ses suppôts !
Telle est la leçon de ce jour, claire, complète, simple et concise. Je n’ai rien à y ajouter, sauf ceci : imprimez l’image du jugement dernier dans votre esprit et dans votre cœur, portez-la toujours en vous, n’en détachez jamais votre attention ! Vous verrez vous-mêmes quelle inspiration vous en tirerez, et quels efforts vous serez prêts à entreprendre si vous avez le souci du salut de votre âme, même à un faible degré ! Par ailleurs, quelle crainte et quelle contrition vont s’emparer des coeurs de ceux dont la conscience n’est pas tranquille, de ceux qui se livrent aux passions et à la licence !
On peut affirmer que si l’on trouvait le moyen d’imprimer l’image du jugement dans le cœur des hommes, tous se consacreraient promptement à l’œuvre de Dieu. Imaginez que le ciel nous envoie soudain une information sûre : le Seigneur viendra demain ou après-demain. Qui songerait alors aux plaisirs ou aux amusements ? Qui flatterait ses passions ou s’adonnerait au péché ? Qui remettrait la pénitence à plus tard ? Qui ne songerait à se convertir ? Seul un insensé s’en dispenserait ! Mais ceux qui n’ont pas perdu la raison se hâteraient de faire tout ce qui peut encore être fait en un temps si court. Quand l’examen approche, les étudiants ne songent qu’à s’y préparer. Certains en oublient de dormir ou de manger, et la pensée des divertissements ou des espiègleries ne les effleure même pas. Nous agirions de la même façon, si nous connaissions précisément la date du jugement dernier. Notre seul soucis serait d’accomplir avec exactitude tout ce que le Seigneur exige de nous, de paraître agréables à Ses yeux à cette heure terrible...
Le malheur est que nous avons pris l’habitude de considérer l’heure du jugement comme lointaine. Et nous pensons souvent : « Depuis que je vis, j’entends constamment que le jugement arrive, et en réalité, point de jugement ! Peut-être n’arrivera-t-il pas de si tôt ? Nos pères, grands-pères et arrière-grands-pères attendaient le jugement aux aussi, mais nous ne le voyons toujours pas venir, bien qu’ils soient morts depuis longtemps ! »
C’est d’ailleurs ainsi... On peut même dire que cela fait dix-huit siècles que le Seigneur a annoncé le jugement, que tout le monde l’attend, et qu’il ne vient pas. Mais pourtant, cela ne veut rien dire. Il n’est toujours pas venu, mais peut-être n’aurons-nous pas le temps de sortir de cette église que le Seigneur sera là. Il ne fait aucun doute qu’Il viendra, même si personne ne peut dire quand cela sera. Nous n’aurons pas le temps de pousser un soupir qu’Il sera déjà là. Noé disait aux hommes : « Cessez de pécher, autrement le Seigneur enverra le déluge vous noyer ! ». Il se peut qu’en l’entendant pour la première fois prêcher le repentir, certains se soient assagis. Mais après dix, vingt ou cent ans, chacun se crut autorisé à ne pas ajouter foi à cette menace qui semblait ne pas vouloir se réaliser. Pourtant le manque de foi ne différa pas l’événement. Le déluge survint, qui noya tout... Peut-être Noé répétait-il inlassablement son sermon, peut-être se moquait-on de lui une minute encore avant le déluge, mais ce que le Seigneur avait décidé se réalisa. Certains furent peut-être surpris par le cataclysme au milieu d’un rire moqueur...
Parmi nous, nombreux sont ceux qui pensent que l’heure du jugement est très éloignée. Il en est même peut-être qui n’y croient pas du tout. Mais rien de tout cela ne repoussera l’heure du jugement. La minute viendra où tout ce que le Seigneur a annoncé s’accomplira. Cette minute prendra tout le monde à l’improviste. Au jour de Noé, dit le Seigneur, les gens mangeaient, buvaient, se mariaient, construisaient leur maison, faisaient du commerce... personne ne songeait au déluge. Mais il vint brusquement et emporta tout. Il en est de même pour nous : nous mangeons, nous buvons, nous nous amusons, nous nous affairons, la pensée du jugement de Dieu ne nous effleure même pas. Mais peut-être va-t-il venir tout de suite ? Alors chacun de nous sera pris tel qu’il est. De même que l’éclair s’allume à une extrémité du ciel, le parcourt en un instant, et l’illumine tout entier, l’apparition du Fils de l’homme sera subite et fulgurante. Et nous ! Nous repoussons cette heure décisive, nous la rejetons dans un avenir si lointain qu’on se demande même si elle viendra.
Il se peut que Dieu ne vienne pas tout de suite juger les vivants et les morts. Mais quel avantage en tirerons-nous ? De toute façon, Il viendra, et c’est nous qu’Il jugera, selon les critères évangéliques que nous avons reçus. L’obligation d’être de vrais chrétiens n’est nullement amoindrie. Que ce soit maintenant ou dans mille ans, nous devrons comparaître devant le tribunal du Christ et rendre compte de la façon dont nous avons utilisé les heures, les journées et les années actuelles, et non celles d’un futur imaginaire. N’est-il pas préférable, dans ces conditions, de nous conduire comme si le Seigneur devait venir tout de suite, ou mieux encore, comme si nous nous trouvions déjà devant Son tribunal ? Si seulement le Seigneur nous accordait une telle disposition d’esprit ! Quel zèle déploierions-nous pour atteindre la sainteté !
L’ennemi connaît la puissance de cette pensée, c’est pourquoi il s’applique constamment à l’évincer par toutes sortes de suppositions tellement vraisemblables... Mais efforçons-nous, mes frères, d’opposer à tous ses pièges le discours suivant : « Supposons que le jugement ne soit pas pour bientôt. Seuls en tireront avantage ceux qui peuvent avoir l’assurance que l’heure de leur mort coïncidera avec l’heure lointaine du jugement. Mais en quoi cela nous concerne-t-il ? Aujourd’hui ou demain, la mort surviendra, mettant fin à nos activités et scellant pour toujours notre destin, car au-delà de la mort, il n’y a plus de repentir. C’est dans l’état où la mort nous trouvera que nous nous présenterons devant le tribunal de Dieu. Si nous sommes des pécheurs impénitents, le juste juge le verra et nous condamnera. Si nous nous repentons de nos péchés et nous efforçons de faire le bien, c’est cet aspect que retiendra le Seigneur, et Il nous fera grâce. Mais à quel moment notre mort surviendra-t-elle ? Nul ne peut le prédire. Peut-être que tout sera terminé dans une minute... et nous devrons nous présenter devant le trône de Dieu et écouter Sa sentence qui ne pourra être modifiée ».
Opposons ce raisonnement à la ruse de l’ennemi , qui essaie d’effacer de notre esprit l’image du jugement pour refroidir notre zèle ! Vraiment, quel avantage à repousser en esprit l’heure du jugement dernier, alors que la mort qui n’est ni moins terrible, ni moins menaçante, se tient devant nous ? Soumettons-nous aux injonctions de notre mère l’Eglise, comme des enfants obéissants ! Emplissons notre mémoire de la pensée du jugement dernier, et n’en détachons plus notre attention !
Ce n’est d’ailleurs pas uniquement la crainte et l’horreur que ce jugement inspire. Il peut être aussi source de consolation. Car ce n’est pas seulement « éloignez-vous, maudits ! », qu’on doit y entendre, mais en premier lieu « venez, bénis ! ». Gardons donc en mémoire la pensée de ce jugement, et orientons notre vie de telle sorte que nous ne nous retrouvions pas à gauche, avec les boucs, mais à droite, avec les brebis. Et que faire pour cela ? Accomplir avec zèle les commandements de Dieu, et s’il nous arrive de pécher, verser des larmes de repentir en répétant constamment à notre âme les chants suivants de notre Eglise :
« Tant que tu vis sur terre, ô mon âme, repens-toi ! La poussière de la tombe ne peut ni chanter ni obtenir la rémission des péchés. Crie donc au Christ-Dieu : j’ai péché ! Toi qui connais les coeurs, ne me condamne pas, mais aie pitié de moi ! » (Tropaire après le troisième cathisme du Psautier)
« Jusques à quand, ô mon âme, demeureras-tu dans tes péchés ? Jusques à quand pourras-tu bénéficier de la transformation qu’opère la pénitence ? Garde présent à l’esprit le jugement à venir et crie au Seigneur : j’ai péché ! Toi qui connais les coeurs, ne me condamne pas, mais aie pitié de moi ! » (ibid.)
« Repens-toi avant de quitter ton corps, ô mon âme ! La condamnation des pécheurs est inexorable et terrible. Crie donc au Seigneur d’un cœur brisé : j’ai péché contre Toi, sciemment et par inadvertance, Ô Munificent ! Par les prières de la Mère de Dieu, aie pitié de moi et sauve-moi ! » (Tropaire après le quatrième cathisme du Psautier).
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PRIÈRE DE SUPPLICATION
Saint Éphrem le Syrien.
Où pourra bien se trouver la demeure du pécheur que je suis, quand mon temps sera écoulé, quand j’aurai quitté ces lieux pour l’ultime séjour ? Où le sort m’enverra-t-il ? Dans les profondeurs, ou dans les hauteurs ? Vers le repos et la félicité, ou vers les soucis et la souffrance ? Vers les ténèbres, ou vers la lumière ? Au Paradis, ou dans le feu ? Quelle sera ma punition, puisque je me suis obstiné jusqu'à maintenant dans la paresse, la nonchalance et les mauvaises pensées, ajoutant sans cesse aux péchés que j’ai commis en cette vie ? Je n’ai ni repentir, ni larmes, ni soupirs, ni aucune autre bonne oeuvre. Malheur à moi ! Comment irai-je dans ces ténèbres implacables, dans le feu éternel et ses souffrances continuelles ? Là-bas, les supplices ne connaissent pas de répit, la fournaise ne s’éteint pas, le ver ne meurt pas... Là-bas, le gouffre est profond et ténébreux, les pleurs sont sans fin, les grincements de dents incessants, et les peines infinies. Après la mort, il n’est ni entremise, ni ruse, ni artifice, qui puisse sauver de la souffrance un homme comme moi.
Malheur à moi car j’ai mérité la souffrance sans trêve et sans fin ! J’ai abandonné la prière pour les divertissements. J’ai méprisé le conseil de mes pairs, m’obstinant dans mon opinion. Accepter ma condition était pour moi haïssable, j’ai convoité la gloutonnerie et la gourmandise. J’ai détesté les veilles et désiré le sommeil. La pureté m’a lassé, je me suis livré à la débauche. Je n’ai pas supporté l’obéissance, je me suis raidi dans la colère, l’indocilité, la fureur et la haine. J’ai méprisé le silence et la prière, j’ai aimé maudire et jurer. Je me suis rebellé contre l’étude et la contemplation, mais j’ai couru derrière les rires, les plaisanteries, l’ironie et l’ivresse du chant. La pauvreté me répugnait, mais comme il m’a plu d’amasser les richesses ! J’ai regardé de haut l’ascèse et la fatigue, j’ai bu les plaisirs jusqu'à la lie et j’ai choyé mon ventre. J’ai préféré l’oisiveté au travail. J’ai corrompu la charité fraternelle en encourageant les disputes et les rixes. Comme la peine, la tristesse et les pleurs me pesaient, j’ai recherché la joie et le repos. J’ai voulu la louange, la vaine gloire et la présomption. Je n’ai pas supporté les moqueries et les critiques, comme le Seigneur me le demandait.
Hélas, dans quel état suis-je ! Je n’ai gardé ni l’amour de Dieu, ni la crainte. J’ai haï les pensées célestes et je me suis tourné vers le terrestre. Malheur à moi, quand arrivera ce moment-là ! Je me tiendrai, figé, privé de toute grâce ! Que ferai-je en cette heure pénible, difficile, effrayante, et pourtant inévitable ? Je me blottis contre la terre, silencieux, à cause de ma honte et de mon opprobre. Mais mon cœur douloureux ne peut se taire ! Ma légèreté me fait même oublier mes souffrances ! Ô, Jésus-Christ, mon Maître, mon Dieu et mon Sauveur ! A cause de Ton amour pour les hommes, ne me reproche pas la multitude de mes péchés ! Dans Ta tendresse et Ta grande miséricorde, sauve-moi ! N’es-tu pas venu pour nous les hommes et pour notre salut, Toi qui es descendu du ciel, qui as assumé la chair de notre nature, qui es devenu un homme comme nous sans affecter la grandeur de Ta divinité, qui as supporté volontairement les souffrances, la flagellation, la crucifixion et la mort ? Malheur et encore malheur à moi, le misérable ! Malheur et malheur à moi, le pécheur ! J’ai gaspillé ma vie dans des actes coupables, mauvais et sots. Que dire, que faire ? Toi Seigneur, Tu connais ma faiblesse, tu vois mon inclination vers les souffrances du péché. Pardonne-moi, Ô mon Roi et mon Dieu ! Pardonne-moi à cause de Ton Saint Nom ! Sauve-moi, moi qui suis pauvre et indigne du salut ! Tire-moi du fossé dans lequel je suis tombé ! Qui ne pleurerait sur moi, misérable ? L’importun est venu T’implorer, Ô Maître ! Accorde-lui de t’apitoyer sur la faiblesse de sa nature ! Même si je meurs mille fois chaque jour, je ne puis détacher mon espoir de Toi. Aie pitié de moi ! Seigneur, aie pitié de moi dans Ta grande miséricorde, par les prières de Ta Mère, de Tes Prophètes, de Tes Apôtres, de Tes Martyrs, de Tes Anges, et de tous ceux qui T’ont plu et qui Te plaisent ! A Toi appartiennent la puissance, l’honneur, le pouvoir, la gloire, l’action de grâce, la louange, ainsi qu’à Ton Père bon et à l’Esprit Saint qui partage Votre Nature pour les siècles des siècles ! Amen
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