Ce texte est proposé aux chrétiens orthodoxes qui fréquentent régulièrement les offices de l'Eglise ainsi que les sacrements, qui ont une vie de prière intérieure et qui ont un père spirituel chez qui ils se confessent régulièrement. Pour les autres, nous craignons qu'il provoquera chez eux des réactions négatives et pourraient être peturbés dans leur psyché.
Il pourrait-y avoir des passages difficiles qui, probablement, vont heurter la sensibilité de notre entendement humain. Prière de garder à la mémoire la pensée que Christ est venu sauver ceux qui espèrent en Lui, que la vie a jailli du tombeau et le Seigneur nous l'a accordée par le Saint baptême et les sacrements de l'Eglise.
Deux anges apparurent un jour à Saint Macaire d'Alexandrie, un compagnon d'ascèse de Saint Macaire le Grand doté de grands dons spirituels. L'un d'eux lui dit : « Ecoute, Macaire, de quelle façon les âmes quittent le corps, tant celles des fidèles que celles des infidèles. Sache que les choses se passent dans le monde céleste comme dans ce monde-ci. Lorsque le roi envoie ses soldats se saisir de quelqu'un, ils le maîtrisent, même s'il n'est pas consentant, même s'il se défend. Pétrifié par la peur, il tremble, tant il redoute la simple présence de ceux qui entraînent sans pitié. De la même façon, lorsque les anges sont envoyés pour prendre une âme, pieuse ou impie, la peur la saisit. Elle tremble d'effroi en voyant les terribles anges. Elle comprend enfin l'inutilité des richesses, des relations et des amis. Bien qu'elle entende les sanglots de l'entourage, elle est impuissante à articuler une parole et même le moindre son, car elle n'est pas prête pour une telle situation. Elle est effrayée par l'immensité de ce monde nouveau, et par le changement de vie. Elle redoute l'aspect de ceux qui la tiennent déjà en leur pouvoir et ne lui manifestent ni compassion, ni miséricorde. Son attachement au corps était si fort que la séparation provoque en elle une affliction accablante. Sa conscience ne lui apporte aucune consolation, sauf si elle peut se reconnaître quelque bonne œuvre. C'est ainsi que l'âme est jugée par sa conscience, avant même de comparaître devant le Juge Suprême ».
Citons un court extrait de l'homélie sur la mort de Saint Cyrille, Patriarche d'Alexandrie : « Quelle crainte et quelle frayeur t'attendent, ô âme, le jour de la mort ! Tu verras devant toi des démons effrayants, sauvages, cruels, impitoyables et impudiques, semblables à des maures ténébreux. Leur vue seule est plus terrible que toute souffrance. En leur présence, l'âme se trouble, s'agite, s'inquiète, cherche à se cacher et invoque les saints anges. Ces derniers la tiennent, cheminent avec elle dans les airs, et la raccompagnent tout au long des épreuves qui, de la terre vers le ciel, jalonnent la voie du salut. Chaque épreuve teste un péché ou une passion particulière et tous ont leur épreuve et leurs tortionnaires. Quelle frayeur et quel trouble doit éprouver l'âme tant que la sentence définitive et libératrice n'a pas été prononcée. Comme cette période d'attente indécise doit être pénible, lourde d'inconsolables lamentations ! Les puissances divines présentent les bonnes intentions, les paroles et les actes de l'âme, et celle-ci, dans la crainte et la frayeur, assiste au dialogue des anges et des démons qui conduira, soit à sa justification et à son salut, soit à sa condamnation et à sa perte. Si elle a mené une vie pieuse et agréable à Dieu, si elle a mérité le salut, elle chemine tranquillement vers Dieu, avec les saintes puissances comme compagnes. Alors s'accomplit la parole : la tristesse, la souffrance et les soupirs se sont éloignés. Libérée des esprits malins, terribles et corrompus, l'âme s'en va vers une joie ineffable. Mais s'il s'avère qu'elle a vécu dans la négligence et l'adultère, alors elle entend une voix terrible dire : qu'on se saisisse de l’impie, qu'elle ne voit pas la gloire du Seigneur. Elle s'en ira vers les jours ténébreux de la colère, de l'affliction, de la peine, de l'angoisse, et de l'obscurité. Les saints anges l'abandonneront et les maures, les démons, la raviront. Ils la frapperont sans merci et la précipiteront sur la terre qui s'ouvrira à son passage. Liée par des liens inextricables, elle sera emprisonnée dans des lieux sombres, dans les geôles souterraines de l'enfer, où sont enfermées les âmes des pécheurs décédés depuis des siècles. Lieux sombres et terribles des ténèbres éternelles, comme dit le juste Job, Où il n'y a ni lumière ni vie pour les hommes, mais des souffrances éternelles, une tristesse infinie, des pleurs, des soupirs incessants; de continuels grincements de dents... Là, on entend en permanence : hélas, hélas Là, on appelle à l'aide et personne ne répond. Là, on crie sans jamais voir arriver de libérateur. Il n'y a pas de mot pour décrire les malheurs de ce lieu, ni les souffrances auxquelles sont soumises les âmes qu'on y a précipitées et enfermées. Aucune bouche humaine ne peut exprimer la peur et les tremblements qui s'emparent des prisonniers de l'enfer, leurs peines et leurs pleurs. Ils gémissent sans trêve, pour l'éternité, et personne n'a pitié d'eux. Ils poussent de profonds soupirs que personne n'entend, ils sanglotent et personne ne les libère, ils appellent et tambourinent aux portes, sans qu'on leur fasse miséricorde. Où sont alors les louanges de ce monde ? Où est la vanité ? Où sont la jouissance et la satiété ? Et la noblesse et la virilité du corps ? Et la trompeuse et pernicieuse beauté féminine ? Et l'audace impudique, les habits somptueux, la douceur impure du péché ? Et les parfums et les aromates, les festins au son des cymbales et du psaltérion ? Et l'attachement à l'argent et aux biens matériels, qui met en fuite la miséricorde ? Et l'orgueil inhumain qui dédaigne tout et ne respecte que lui-même ? Et la futile vaine gloire, les spectacles et les distractions ? Et les blasphèmes, l’oisiveté et l'insouciance ? Et les doux vêtements et les couches moelleuses, les hauts bâtiments et les larges portails ? Et la sagesse des sages, l'éloquence des orateurs et la vaine science ? Hélas, tous s'agiteront et tituberont d'étonnement, devant leur sagesse engloutie. Frères ! Ne perdons pas de vue la conduite que nous devons suivre ! Nous devrons rendre compte de chacun de nos actes, grand ou petit ! Nous rendrons même compte au Juste Juge de chaque parole vaine (Saint Cyrille vivait au Vème siècle et présidait le cinquième concile œcuménique. Son homélie sur la mort est placée dans le psautier. Il succéda au Patriarche Théophile, dont il était le neveu, et qui avait déjà prêché un enseignement analogue).
Le soldat Taxiote parla de sa mort en des termes qui corroborent la pensée de Saint Cyrille : « Lorsque j'étais mourant, je vis les maures devant moi, leur aspect était terrible, je fus troublé en les regardant. Puis je vis deux très beaux jeunes gens et mon âme se réfugia dans leurs bras. Nous commençâmes immédiatement à nous élever dans les airs, comme en volant, et nous atteignîmes les épreuves qui jalonnent l'ascension de l'âme de chaque homme. Chaque épreuve tourmente pour un péché particulier : une pour le mensonge, une pour l'envie, une pour l'orgueil... Tous les péchés sont examinés dans les airs. Je vis dans les mains des anges un coffret contenant toutes mes bonnes actions. Ils les sortirent pour les opposer aux mauvaises. Nous traversâmes ainsi différentes épreuves. En nous rapprochant des portes célestes, nous arrivâmes à l'épreuve de l'adultère. Là les gardiens m'arrêtèrent et présentèrent toutes mes actions charnelles adultères, accomplies depuis l'enfance. Les anges annoncèrent que tous les péchés charnels que j'avais commis en ville avaient été pardonnés par Dieu car je m'en étais repenti. A ceci mes ennemis rétorquèrent qu'en sortant de la ville, j'avais commis le péché avec la femme du laboureur chez qui je vivais. Ayant entendu cela sans pouvoir trouver une seule bonne action qui aurait pu faire pencher la balance de l'autre côté, les anges m'abandonnèrent et s'éloignèrent. Les esprits malins s'emparèrent de moi, me rouèrent de coups et me descendirent sur la terre qui s'ouvrit pour me permettre de descendre, par des chemins étroits et nauséabonds, vers la prison souterraine de l'enfer ».
Histoire de Sainte Théodora.
Sainte Théodora, disciple du grand saint Basile le Nouveau, a raconté sa mort avec force détails. Nous citons ci-dessous une partie de son récit à Grégoire, un autre disciple de Saint Basile : « Mon fils Grégoire, tu me questionnes au sujet d'une chose terrible, dont le souvenir même est effrayant. Lorsque sonna l'heure de ma mort, je vis des personnages que je n'avais jamais vus et j'entendis des paroles que je n'avais jamais entendues. Que dire ? Des malheurs pénibles et cruels, dont je n'avais nulle idée, m'attendaient en raison de mes actes. Mais, par la prière et l'aide de Basile, notre père commun, j'en fus délivrée. Comment te raconter la douleur corporelle, l'angoisse et la fatigue auxquelles sont soumis les mourants ? C'est comme si une personne nue tombait dans un grand feu pour s'y consumer et être réduite en cendres. C'est ainsi qu'est détruit l'homme par la mort à l'heure de la séparation de l'âme et du corps. Approchant du terme de ma vie, je vis une multitude d'éthiopiens entourer ma couche. Leurs visages étaient sombres comme la suie ou le goudron, et leurs yeux luisaient comme des charbons ardents. Les voir était plus cruel que la géhenne elle-même. Ils s'agitèrent bruyamment. Les uns mugissaient comme des animaux sauvages ou du bétail, d'autres aboyaient comme des chiens ou hurlaient comme des loups. En me voyant, ils devinrent furieux et se précipitèrent sur moi en grinçant des dents, avec la visible intention de me dévorer sur-le-champ. A ce moment-là, dans l'attente de l'arrivée de quelque juge, on sortit les parchemins et on déroula les rouleaux sur lesquels étaient inscrites toutes mes mauvaises actions. Ma pauvre âme trembla de terreur. Non seulement la tristesse de la mort m'accablait, mais la fureur terrifiante de ces éthiopiens était pour moi comme une seconde mort, plus douloureuse encore. Je me tournai de tous côtés pour éviter de les voir et de les entendre, mais ils déambulaient partout. Et personne pour me porter secours ! Parvenue à un total affaiblissement, je vis deux anges de lumière s'approcher de moi, tels des jeunes gens d'une beauté inexprimable. Leurs visages rayonnaient, leur regard était tout amour, leurs cheveux scintillaient comme la neige, blancs aux reflets d'or. Leurs vêtements étincelaient comme l'éclair, leurs poitrines étaient ceintes d'or. S'approchant de ma couche, ils se tinrent sur le côté droit et chuchotèrent. Je me réjouis en les voyant et je les dévisageai avec plaisir. Les noirs éthiopiens frissonnèrent et s'éloignèrent quelque peu. Un des lumineux jeunes gens s'adressa avec colère aux démons ténébreux : ô, impudiques, maudits, ténébreux et méchants ennemis du genre humain ! Pourquoi venez-vous troubler les mourants et effrayer par un tel tapage l'âme qui se sépare du corps ? Ne vous réjouissez pas trop car vous ne trouver rien ici. Cette âme jouit de la miséricorde de Dieu, vous n'avez aucune chance ! Lorsque l'ange se tut, les éthiopiens chancelèrent, vociférèrent, montrèrent les mauvaises actions que j'avais commises depuis ma jeunesse et crièrent : nous ne trouverons rien ? Et à qui sont ces péchés ? N'est-ce pas elle qui a fait ceci et cela ? Criant ainsi, ils attendaient la mort. Et voilà que la mort vint, rugissant comme un lion, exhibant l'aspect terrible d'un humain sans corps, d'un squelette. Elle portait divers instruments de torture : épées, flèches, lances, faux, scies, haches, hameçons, et d'autres encore, à l'usage inconnu. Voyant cela, ma pauvre âme trembla de peur. Les saints anges dirent à la mort : ne tarde pas, délie cette âme des liens charnels, délie-la vite mais doucement, le poids de ses péchés n'est pas grand ! La mort s'approcha de moi, prit une petite hache et trancha d'abord mes jambes, puis mes bras ; ensuite, elle affaiblit tous mes membres à l'aide d'autres instruments, les séparant les uns des autres au niveau des articulations. Je fus privée de bras, de jambes; tout mon corps s'engourdit, je ne pouvais plus bouger. Ensuite, elle trancha ma tête qui me devint étrangère, immobilisée elle aussi. Après avoir dissout un breuvage dans une coupe, elle l'approcha de mes lèvres et me le fit boire de force. Ce breuvage était si amer que mon âme ne put le supporter : elle tressaillit et se sépara brutalement de mon corps. Les anges lumineux la reçurent aussitôt dans leurs bras. En me retournant, j'examinai avec étonnement mon corps allongé, insensible, et inerte comme un vêtement que j'aurais ôté et jeté. Alors que les saints anges me tenaient, les démons à l'aspect d'éthiopiens nous entourèrent en criant : cette âme a beaucoup de péchés, qu'elle en réponde ! Et ils les exhibèrent. Les saints anges cherchèrent mes bonnes actions et, grâce à Dieu, ils en trouvèrent. Ramassant tout ce que j'avais pu faire de bien un jour ou l'autre avec l'aide de Dieu, ils se préparèrent à faire contrepoids à mes mauvaises actions. Voyant cela, les éthiopiens grincèrent des dents. Ils auraient bien voulu m'arracher sans attendre des mains des anges pour me conduire au fond de l'enfer ! Soudain notre saint père Basile apparut et dit aux anges : anges de Dieu, cette âme m'a beaucoup servi durant ma vieillesse, j'ai prié Dieu pour elle et Il m'en a fait don. En prononçant ces paroles, il sortit de son sein un petit sac rouge bien plein, à mon idée d'or pur, et le donna aux anges en disant : quand vous passerez les épreuves aériennes, rachetez les dettes de cette âme avec ceci, dès que les esprits malins commenceront à la torturer. Je suis riche par la grâce de Dieu, j'ai amassé beaucoup de trésors par ma sueur et mes efforts, et je fais don de ce petit sac à l'âme qui m'a servi. Ayant prononcé ces mots, il partit. Les esprits malins, perplexes, firent entendre cris et lamentations, puis ils s'éloignèrent. Saint Basile revint en apportant plusieurs récipients contenant de l'huile pure et une myrrhe précieuse. Il les ouvrit l'un après l'autre et les versa sur moi, me couvrant d'une bonne odeur spirituelle. Je me sentis transformée et illuminée. Saint Basile dit aux saints anges : quand vous aurez fait tout ce qui convient, faites-la entrer dans la demeure que le Seigneur m'a préparée, afin qu'elle y vive ! Ayant dit cela, il devint invisible. Les anges me prirent et nous nous dirigeâmes vers l'orient».
Nombreux sont ceux qui voient la mort avant leur décès. Puisqu'une partie importante du monde visible nous est inconnue, il n'est pas étonnant que le monde invisible nous soit aussi inconnu, surtout à ceux qui ne se sont pas lancés sérieusement dans son exploration, ou s'y sont lancés de façon superficielle. Ce n'est pas parce qu'une chose parait étrange à notre intellect charnel qu'elle est étrange en soi. Nos préjugés ne peuvent pas limiter la toute-puissance de Dieu. Tout homme dépourvu d'une véritable intelligence spirituelle est plein de préjugés, quelles que soient son intelligence et son instruction mondaine, qui sont d'ailleurs éphémères et folies devant Dieu.
Le Saint Evangile lui-même confirme les récits patristiques précédents. Notre Seigneur raconte comment l'âme du juste Lazare fut emportée par les anges dans le sein d'Abraham (Luc 16,22). Au riche avare qui rêvait d'une longue vie de jouissances charnelles à la vue de son abondante récolte, et qui envisageait de reconstruire des greniers, Dieu dit : Insensé ! Cette nuit-même, ton âme te sera redemandée et ce que tu as préparé, pour qui cela sera-t-il ? (Luc 12,20). Le bienheureux Théophylacte de Bulgarie fait sur ce passage le commentaire suivant : « L'âme sera redemandée car les impitoyables anges-publicains arrachent l'âme des pécheurs par la force et la douleur. L'âme du juste ne lui est pas arrachée ; il la remet avec joie et allégresse à son Père et son Dieu ».
Même si la mort des justes et des pécheurs complètement repentis diffère largement de la mort des pécheurs réprouvés ou insuffisamment repentis, la crainte et l'angoisse accompagnent tout homme au moment de sa fin. Cela doit être ainsi : la mort est un châtiment. Si le châtiment du juste est adouci, il reste néanmoins un châtiment. Le Dieu-Homme lui-même, alors qu'Il se préparait de son plein gré à mourir pour le salut du genre humain, connut le combat, la tristesse et l'angoisse. Il versa des gouttes de sueur semblables à des grumeaux de sang. Mon âme est triste jusqu'à la mort (Mt.26,38), dit-Il aux Apôtres qui s'étaient endormis de tristesse sans voir approcher le malheur. Mon Père, s'il est possible, que cette coupe s'éloigne de Moi I Toutefois, non pas ce que Je veux, mais ce que Tu veux ! (Mt.26,39). La Toute-Sainte Vierge et Mère de Dieu sentit aussi cette crainte avant Sa bienheureuse Dormition, bien qu'Elle eût été prévenue par l'Archange Gabriel de Son départ pour les demeures célestes et de la gloire qui Lui était réservée. Et pourtant, l'Esprit Saint avait dirigé vers le ciel toutes ses pensées et tout son désir.
Tous les saints se sont préparés dans la crainte et les pleurs à l'heure fatidique de la mort. Ils comprenaient ce qu'elle représente pour l'homme. Lorsque Saint Agathon l'atteignit à son tour, il passa trois jours sans parler à qui que ce soit, restant profondément attentif à lui-même. Les frères lui demandèrent :
- Abba Agathon, où es-tu?
- Je me tiens devant le tribunal du Christ.
- Est-ce possible que toi aussi, tu éprouves de la crainte ?
- Je me suis efforcé de garder les commandements de Dieu selon mes possibilités, mais je ne suis qu'un homme. Comment puis-je savoir si mes actes ont été agréables à Dieu ?
- Est-ce possible que tu ne comptes pas sur ta manière de vivre, qui fut conforme à la volonté de Dieu ?
Je ne puis espérer, car autre est le jugement des hommes, autre est le jugement de Dieu.
Comme ils voulaient l'interroger encore, il leur dit : Soyez charitables, ne parlez plus avec moi, car je ne suis pas libre ! Il quitta ce monde avec joie. Ses disciples rapportèrent qu'ils le virent se réjouir comme s'il rencontrait des amis très chers. Ce grand saint vivait en permanence dans une grande attention à lui-même et disait que l'homme ne peut atteindre la réussite sans une sévère vigilance sur soi-même. Telle est la voie du salut. S'examinant en permanence, les saints se trouvaient constamment de nouveaux défauts, et s'absorbaient de plus en plus dans un repentir purificateur qui les perfectionnait pour le ciel. Au contraire, une grande distraction et de nombreux soucis sont toujours liés à une profonde méconnaissance de soi, à la fierté et à l'autosatisfaction. Le bienheureux Théophylacte dit : « Beaucoup se leurrent d'un vain espoir, pensant faire l'acquisition du Royaume des Cieux. Ils croient dans leur présomption qu'ils s'associeront au chœur de ceux qui ont atteint le sommet des vertus. Il y a beaucoup d'appelés, parce que nombreux sont ceux que Dieu appelle, on peut même dire qu'Il nous appelle tous. Mais il y a peu d'élus, peu de sauvés; peu sont dignes du choix de Dieu. Appeler, c'est l'affaire de Dieu, mais être élu, cela dépend de nous : les juifs furent appelés, mais ne furent pas élus en définitive, car ils désobéirent à Celui qui les avait appelés » (Mt.22,14).
Saint Arsène le Grand passa toute sa vie monastique avec un mouchoir sur les genoux pendant son travail manuel. Ceci à cause des larmes qui coulaient de ses yeux. Abba Pimène qui était doué d'un grand discernement, apprit sa mort en disant :
« Bienheureux es-tu, Arsène, car tu as pleuré sur toi-même tout au long de ta vie terrestre. Celui qui n'a pas pleuré sur lui-même ici-bas, pleurera éternellement. Il est impossible d'éviter les pleurs, soit ici-bas volontairement, soit là-bas dans les souffrances involontaires ». Théophile, le Patriarche d'Alexandrie, entendit lui aussi parler de cette mort et dit : « Bienheureux es-tu, Arsène, car tu te souvenais constamment de l'heure de la mort ».
C'est une consolation pour l'âme d'entendre le récit de la mort d'un juste. Comme il est édifiant pour elle de connaître l'humilité et la contrition du cœur de ceux qui se sont préparés à la mort, et la sainte crainte avec laquelle ils l'ont accueillie ! Jadis, un père menait une vie si pure que Dieu ne rejetait aucune de ses requêtes. Un jour, ce vieillard désira voir le départ de l'âme d'un juste et celle d'un pécheur. Dieu le conduisit aux portes d'une ville, auprès desquelles un reclus célèbre avait élu domicile dans un couvent. A ce moment-là, le reclus était très malade et attendait la mort. On préparait pour lui une grande quantité de cierges et de veilleuses, pour que Dieu accorde, par son intercession, du pain et de l'eau à la ville. Les habitants estimaient que la mort du reclus entraînerait la perte de la ville entière. L'heure de la mort du reclus étant arrivée, le vieillard vit un gardien de l'enfer s'approcher du reclus avec un trident de feu. Une voix se fit entendre : « Comme cette âme ne M'a pas laissé Me reposer une seule heure en elle, arrache-la sans pitié ! ». Le démon enfonça le trident dans le cœur du reclus et, après l'avoir torturée plusieurs heures, il arracha son âme. Ensuite, le vieillard entra dans la ville où il trouva un pèlerin malade couché dans la rue. Comme il n'y avait personne pour l'assister, le vieillard passa la journée à ses côtés. Lorsque l'heure de son décès arriva, le vieillard vit les Archanges Michel et Gabriel descendre chercher son âme. L'un s'assit du côté droit et l'autre du côté gauche et ils incitèrent son âme à sortir, mais celle-ci ne voulait pas quitter le corps. Gabriel dit alors à Michel « Prenons l'âme et partons ». Michel répondit qu'ils ne pouvaient pas employer la force, puisque le Seigneur avait ordonné de la prendre sans douleur. Michel s'écria alors d'une voix forte « Seigneur ! Qu'ordonnes -Tu pour cette âme ? Elle ne nous obéit pas et refuse de sortir ! ». Une voix lui répondit : « Voilà ! J'envoie David avec le Psautier et les chantres de la Jérusalem Céleste, afin que cette âme sorte en entendant les voix et les psalmodies ». C’est ainsi que l'âme, entourée du chant des hymnes, sortit dans les bras de Michel où elle fut accueillie avec joie. Qui ne serait pas émerveillé devant un tel amour et une telle miséricorde de Dieu pour le genre humain ? Hélas ! Quel grand malheur que nous repoussons avec acharnement toutes les bontés de Dieu et, dans notre aveuglement démoniaque, nous nous rangeons dans la cohorte des serviteurs et admirateurs de l'ennemi de Dieu.
Dieu couronne de gloire la fin de Ses élus. Quand le moment de mourir fut venu, le visage du grand Sisoès s'illumina et il dit aux pères qui l'entouraient : « Voilà, Abba Antoine est venu ». Après quelques instants de silence, il continua : « Voilà, le chœur des Prophètes est venu ». Puis son visage s'éclaira davantage et il ajouta : « Voilà, le chœur des Apôtres est venu ». Les vieillards l'interrogèrent pour savoir avec qui il s'entretenait. « Les anges sont venus me prendre, mais je les supplie de me laisser encore quelque temps pour me repentir ». Et comme les vieillards lui disaient : « Père, tu n'as pas besoin de repentir ! », il répondit : « En vérité, en ce qui me concerne, je ne sais pas si j'ai même commencé à me repentir ». Et pourtant, tous savaient qu'il était parfait. Voilà comment parlait et pensait un chrétien véritable, abondamment pourvu des dons du Saint Esprit, qui ressuscitait les morts d'une seule parole.
Par la suite, son visage s'éclaira davantage et brilla comme le soleil, si bien que tous prirent peur. Il dit alors : « Voyez, le Seigneur est venu en disant: Rapportez- Moi du désert le vase élu ! ». Et sur ces mots, il expira. Un éclair jaillit et la demeure se remplit de parfum. Tel fut la fin du chemin terrestre d'un des plus grands saints.
Histoire du brigand repenti.
Les pécheurs qui se sont sincèrement repentis peuvent aussi être dignes de la miséricorde de Dieu. Du temps de l’empereur Maurice, il y avait en Thrace un cruel et féroce brigand que personne n'avait jamais pu capturer. Le bienheureux empereur envoya sa croix pectorale au brigand pour lui signifier que tous ses crimes lui seraient pardonnés à condition qu'il s'amendât. Le brigand, touché, se rendit chez le souverain et tomba à ses pieds en regrettant ses péchés. Quelques jours plus tard, il tomba malade et fut placé dans un hospice. Il vit en rêve le Terrible Jugement. A son réveil, comme on constatait l'aggravation de son état et l'approche de sa fin, il se réfugia dans les larmes et la prière et dit : « Maître et Roi Ami de l'homme, Toi qui sauvas avant moi un brigand semblable à moi, manifeste aussi sur moi Ta miséricorde ! Reçois mes larmes sur mon lit de mort ! Comme Tu as reçu ceux qui étaient venus à la onzième heure, accepte mes larmes amères, purifie-moi et bénis-moi avec eux ! N'exige plus rien d'autre de moi, je n'ai plus de temps et les créditeurs approchent déjà ! Ne cherche pas et ne me scrute pas, Tu ne trouveras rien de bon en moi, mes iniquités m'ont précédé et, parvenu au soir de ma vie, mes crimes sont innombrables. Comme Tu as reçu les pleurs de l'Apôtre Pierre, reçois mes larmes mes actes pécheurs ! Par Ta puissance et Ta miséricorde, détruis mes péchés ! ». Le brigand se confessa ainsi plusieurs heures durant, essuyant ses Lannes avec son mouchoir, et renditl’âme. .
A l'heure de sa mort, le médecin de l'hospice fit un rêve : des maures s'approchaient du lit mortuaire avec des parchemins. Portant la liste des innombrables péchés ; deux jeunes gens de la cour royale apportaient une balance. Les maures plaçaient sur un plateau la liste des péchés qui l'emportait largement. Les saints anges se demandaient alors s'ils n'auraient pas quelque chose pour faire contrepoids. «Que pourrions-nous avoir, puisqu'il s'abstient de meurtre depuis dix jours seulement ? Toutefois, cherchons quand même quelque chose de bien ! ». L'un d'eux découvrait le mouchoir et disait : « Effectivement, ce mouchoir est plein de larmes, mettons-le sur l’autre plateau avec la miséricorde de Dieu et voyons ce qui adviendra !. Dès qu'ils le plaçaient sur le plateau, il prenait le dessus sur le poids des parchemins. Les anges s'écriaient d'une seule voix « En vérité, la miséricorde de Dieu a vaincu ! ». Ayant pris l'âme du brigand, ils l'emmenaient avec eux, laissant les maures dans les pleurs et la honte.
Le médecin se réveilla et partit aussitôt pour l'hospice : il trouva le corps encore tiède et le mouchoir trempé de larmes à côté. Ceux qui avaient assisté aux derniers moments du brigand lui confirmèrent son repentir. Le médecin prit le mouchoir, s’en fut chez l'empereur et lui dit : « Seigneur, glorifions Dieu I Pendant ton règne un brigand a trouvé le salut !». Toutefois, comme l'a fait remarquer l'auteur de ce récit; il est bien préférable de se préparer à temps à la mort et de devancer cette heure effrayante par le repentir.
Saint Jean Climaque remarque avec justesse que celui qui « est endurci par une longue habitude du mal restera jusqu'à la fin sans se corriger » (Ech.6,11). « Des habitudes invétérées touchent encore souvent celui-là même qui est touché de componction », s'exclame avec tristesse ce grand maître des moines (Ech.5,31). Il faut ajouter que le repentir n'est possible que pour celui qui possède une connaissance exacte (même simple) de la foi orthodoxe, exempte de toute hérésie ou fausse sagesse. Ceux qui établissent leur règle de vie et conçoivent les vertus à partir des romans et autres livres hérétiques nuisibles pour l'âme, ne peuvent pas avoir de véritable repentir : de nombreux péchés mortels qui mènent à la perdition leur paraissent des transgressions ...insignifiantes et pardonnables, - et des passions coupables et affligeantes leur semblent de légères et agréables faiblesses. Ils ne craignent pas de s'y livrer aux portes mêmes de la mort. La méconnaissance du Christianisme est en vérité un grand malheur ! .
Le Seigneur appelle l'homme au repentir et au salut jusqu'à la dernière minute de sa vie. En ces derniers instants, les portes de la miséricorde divine sont encore ouvertes pour quiconque veut s'y présenter. Que personne ne désespère tant que la course n'est pas terminée, l'exploit est valable.
Histoire de Thaïs.
Il y avait en Egypte une fille dénommée Thaïs. Après le décès de ses parents, elle transforma sa maison en refuge pour les moines et consacra ainsi une longue période de sa vie à accueillir et à servir les pères. Mais ses biens finirent par s'épuiser et elle se mit à souffrir du manque de moyens matériels. C'est alors qu'elle rencontra des gens mal intentionnés qui la détournèrent de la vertu. Elle entama une vie mauvaise et sombra dans la débauche. L'ayant appris, les pères en furent attristés. Ils appelèrent Abba Jean et lui dirent : « Nous avons entendu dire que la sœur Thaïs ne va pas bien. Lorsqu'elle en avait la possibilité, elle faisait preuve d'amour à notre égard. Montrons-lui à notre tour notre amour et aidons-la. Prends donc la peine de lui rendre visite et, selon la sagesse que Dieu t'a donnée, occupe-toi d'elle ». Abba Jean se rendit chez Thaïs et demanda à la vieille femme qui gardait la porte d'annoncer sa visite. Celle-ci lui dit : « Vous, les moines, vous avez mangé tous ses biens ! ». Ce à quoi Abba Jean rétorqua : « Annonce-moi, et je lui ferai un grand bien ! ». La vieille femme se rendit chez sa maîtresse qui lui dit : « Ces moines voyagent constamment près de la Mer Noire, d'où ils ramènent perles et pierres précieuses. Va, amène-le moi ! ». Abba Jean entra, s'assit près d'elle, jeta un coup d'œil sur son visage, baissa la tête et se mit à verser des larmes amères.
- Abba, pourquoi pleures-tu ?
- Je vois satan jouer sur ton visage, comment pourrais-je ne pas pleurer ? En quoi Jésus t'a-t-Il déplu pour que tu te sois tournée vers ces actes qui Lui sont désagréables ?
En entendant ces mots, elle tressaillit.
- Père, y a-t-il un repentir pour moi ?
- Oui !
- Alors, emmène-moi où tu veux !
Et elle le suivit. Il fut étonné qu'elle n'eût donné aucune instruction, ni même prononcé la moindre parole concernant sa maison. Lorsqu'ils atteignirent le désert, la nuit tombait. Il lui confectionna un oreiller de sable et s'en fit un pour lui à quelque distance de là. Puis, ayant fait le signe de la croix sur l'oreiller de Thaïs, lui dit : « Endors-toi ici ! ». Ensuite, il fit ses prières et se coucha. A minuit, il se réveilla et vit un sentier qui allait de la couche de Thaïs jusqu'au ciel : des anges de Dieu y conduisaient l'âme de la femme. Jean se leva et s'approcha de Thaïs. Elle était morte. S'étant alors prosterné pour prier, il entendit une voix : « Une heure de son repentir fut davantage prisé que le repentir de bien d'autres qui ne manifestent pas une telle abnégation ».
« Seigneur ! Pour Tes serviteurs qui quittent leur corps et viennent vers Toi notre Dieu, il n'y a pas de mort, mais un passage de la tristesse à un état plus utile et plus doux, celui du repos et de la joie » (Prière des vêpres de la Pentecôte).
En fait, dans le vrai sens du terme, la séparation de l'âme et du corps n'est pas la mort : c'est uniquement la conséquence de la mort. La véritable mort est bien plus terrible ! Elle est l'origine de tous les maux intérieurs et extérieurs de l'homme, et aussi de ce que nous appelons à tort la mort. « La véritable mort est cachée au fond du cœur. Elle tue l'homme extérieur de son vivant. Si quelqu'un, dans le secret de son cœur, passe de la mort à la vie, alors il vit éternellement et ne meurt pas. Même si l'âme d'un tel homme se sépare temporairement du corps, les deux sont sanctifiés et se relèveront dans la gloire. C'est pourquoi on qualifie de sommeil la mort des saints » (Saint Macaire le Grand).
Le mot « mort » frappa pour la première fois l'oreille et les pensées de l'homme lorsqu'il pénétra dans le Paradis. Parmi tous les arbres du jardin, l'arbre de la connaissance du bien et du mal était particulièrement remarquable. En entrant dans le Paradis, l'homme entendit le Seigneur lui dire : Tu pourras manger de tous les arbres du jardin, mais tu ne mangeras pas de l'arbre de la connaissance du bien et du mal; car le jour où tu en mangeras, tu mourras (Gen.2,16-17). Malgré cette terrible menace, l'homme transgressa le commandement et mourut immédiatement : la mort pénétra instantanément tous les mouvements de son âme et jusqu'aux sens de son corps. Auparavant, l'Esprit. Saint l'habitait et transmettait l'immortalité à son âme et à son corps; Il était la vie de cette âme et de ce corps. Après la transgression, Il s'éloigna de lui, comme Il s'éloigne toujours de ceux qui rompent volontairement la communion avec Dieu en rejetant le commandement divin et en s'asservissant de plein gré à satan.
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