vendredi 27 mars 2009

HOMELIE SUR LE SAINT BAPTÊME


De Saint Tikhon de Zadonck.


Nous portons tous le nom de chrétien, nous confessons tous l’unique Dieu en trois Personnes, vivant et éternel, nous avons tous été baptisés au Nom de la Sainte et Consubstantielle Trinité, Père, Fils et Saint Esprit. Tous, nous croyons que Jésus-Christ a été crucifié, qu’Il est ressuscité des morts, et nous l’attestons par le signe de la Croix. Tous nous pénétrons dans les saintes églises pour prier, invoquer, chanter et glorifier le saint Nom de Dieu. Tous nous écoutons la sainte parole du Seigneur. Tous, nous communions aux saints et vivifiants mystères du Christ. Nous sommes tous appelés à la vie éternelle et au royaume céleste, et nous disons tous, en lisant le symbole de foi : j’attends la résurrection des morts et la vie du siècle à venir. Gloire à Dieu pour cela, et pour le reste !
En vérité, les sacrements chrétiens sont glorieux et magnifiques ! Mais scrutons-nous bien : sommes-nous pour autant de vrais chrétiens ? Suivons-nous l’exhortation de l’apôtre qui dit : examinez-vous vous-mêmes pour voir si vous êtes dans la foi ? (2 Cor.13,5) On ne peut être chrétien sans la foi. Il est vrai que nous manifestons les signes extérieurs du christianisme, comme nous venons de le dire, mais avons-nous le christianisme à l’intérieur de nous ? L’extérieur en effet n’est rien sans l’intérieur. Sans la vérité, les apparences ne sont qu’hypocrisie. Nous nous glorifions de notre foi, mais en accomplissons-nous les oeuvres, suivant les paroles de l’apôtre : Montre-moi ta foi par tes oeuvres ! (Jac.2,18)
Le nom de chrétien nous vient du Christ : avons-nous crucifié la chair avec ses passions et ses désirs (Gal.5,24), comme il convient à ceux qui confessent le Christ crucifié ? Ressentons-nous intérieurement la joyeuse onction spirituelle (1Jn.2,27) ? Nous croyons à l’Evangile, mais notre vie est-elle digne de lui ? Nous confessons et invoquons le vrai Dieu, mais Lui sommes-nous agréables par notre foi et notre conscience pures, comme Il l’exige de nous ? Nous écoutons la sainte parole de Dieu, mais y sommes-nous attentifs, amendons-nous notre vie dans son sens ? Nous communions aux saints mystères du corps et du sang du Christ, mais en sortons-nous renouvelés au point de devenir des hommes spirituels ? Soyons donc attentifs à tout cela, et à bien d’autres choses encore, regardons comment nous vivons, comment nous pensons, comment nous parlons, comment nous agissons, avec quel cœur nous nous tenons devant Dieu qui voit tout, quel est notre comportement vis-à-vis des autres ! Après avoir réfléchi à tout cela, amendons-nous et devenons chrétiens non seulement de nom, mais par les faits...
Avec l’aide de la grâce, nous sommes devenus chrétiens : efforçons-nous donc de garder le christianisme à l’intérieur de nous-mêmes ! Nous avons reçu le baptême au Nom de l’unique Dieu en trois Personnes, nous avons reçu les arrhes de la sainteté et l’absolution de nos péchés : efforçons-nous de conserver ce trésor céleste jusqu'à la fin ! Nous confessons Jésus-Christ crucifié, efforçons-nous de Le suivre par la foi, de prendre notre croix et de marcher à Sa suite ! Nous invoquons le Dieu céleste : efforçons-nous de Lui être agréables par des moeurs célestes ! Nous écoutons la parole de Dieu : efforçons-nous de vivre selon son enseignement ! Nous attendons la résurrection des morts et la vie du siècle à venir : efforçons-nous de vivre ici-bas de façon à en être dignes, nous détournant des vanités du monde pour n’aspirer qu’aux seuls biens éternels ! Nous nous approchons de la sainte et céleste table des mystères du Christ : veillons à ce que ce Pain céleste et vivifiant devienne notre vie, notre sanctification, notre lumière, notre rénovation, notre joie, et notre consolation spirituelle ! C’est en agissant ainsi que nous montrerons notre foi par nos oeuvres. C’est ainsi que nous serons des chrétiens non seulement de nom mais dans les faits. Que Dieu ait compassion de nous et nous bénisse, qu’Il fasse resplendir sur nous Sa face, et qu’Il ait pitié de nous, pour qu’on connaisse sur la terre Ta voie, et parmi toutes les nations, Ton salut ! (Ps.66,2-3)



2)-Le Sauveur, notre Seigneur, a prononcé une parole destinée à nous affermir et nous consoler : Celui qui a la foi et sera baptisé, sera sauvé. Qu’est-ce qui pourrait consoler davantage l’âme fidèle du baptisé que cette promesse du salut éternel ? Chrétiens bien aimés ! Rendons gloire à Dieu de croire au saint Evangile et d’avoir été éclairés par le saint baptême ! Contemplons la puissance du saint baptême, comprenons ce que nous étions avant lui et ce que nous sommes devenus après, et nous recevrons une grande consolation ! Le saint baptême nous a libérés de tout mal et nous a fourni la grâce de Dieu, qui est la vraie béatitude. Avant le baptême nous étions loin de Dieu, mais le saint baptême nous a rapprochés de Lui. Nous étions les ennemis de Dieu, et maintenant nous nous sommes réconciliés avec Lui et Lui avec nous. Nous étions les enfants de la colère, et maintenant nous sommes les réceptacles de la miséricorde divine. Nous étions les enfants des ténèbres et du diable, et maintenant nous sommes les enfants de Dieu et de la lumière. Souillés par le péché, nous avons été lavés, sanctifiés et justifiés. Perdus, nous avons reçu le salut. Les portes de la vie éternelle et du Royaume céleste étaient fermées, maintenant elles sont ouvertes, et ceux qui ont conservé la grâce du saint baptême peuvent les franchir sans obstacle. Nous recevons tous ces bienfaits de Dieu Lui-même dans le saint baptême, gratuitement, sans mérite de notre part, uniquement grâce à l’amour que Dieu porte aux hommes. Et d’ailleurs, quel mérite pourraient avoir ceux qui étaient perdus ? Gloire à la bonté de Dieu, gloire à Son amour pour l’homme, gloire à Sa miséricorde, gloire à Sa générosité ! Que le Nom du Seigneur soit béni dès maintenant et à jamais ! C’est le Fils Unique de Dieu, Jésus-Christ notre Sauveur, qui a obtenu pour nous de Dieu cette grande miséricorde. Il l’a obtenue par Son sang très précieux et par Sa mort. Chrétiens bien aimés ! Souvenons-nous de notre saint baptême, cherchons comment mener une vie digne de lui, afin qu’il ne devienne pas une plus grande condamnation au jugement du Christ, où sera examinée chaque parole, chaque action et chaque pensée criminelle !
3)-Ô grâce ! Ô amour de Dieu pour l’homme ! Ô surabondance de grâce ! Les pauvres et les pécheurs rejetés sont devenus enfants de Dieu ! L’apôtre même s’en étonne quand il dit : « Voyez quel amour le Père nous a témoigné pour que nous soyons appelés enfants de Dieu ! » (1Jn.3,1) Quoi de plus étonnant qu’un pécheur transformé en enfant de Dieu ? Et c’est l’amour de Dieu pour l’homme qui accomplit cela ! Quoi de plus glorieux que d’être appelé et de devenir enfant de Dieu ? Et c’est la grâce de Dieu qui offre cela à l’homme ! S’il est glorieux d’être l’enfant d’un roi terrestre, il est bien plus glorieux encore d’être l’enfant de Dieu, le Roi céleste ! Cet honneur, cette gloire, cette dignité, cette noblesse et ce titre dépassent incomparablement tous les titres du monde. Gloire à Dieu pour cela, gloire à l’Ami de l’homme ! Les chrétiens sont les enfants de Dieu, ils sont aussi héritiers de Dieu et cohéritiers du Christ (Rom.8,17). Alors, qui doivent-ils craindre ? Pourquoi devraient-ils redouter les calomniateurs, les ennemis, le diable, les démons, la mort, l’enfer, puisque Dieu les protège ? Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous ? (Rom.8,31)
Nous recevons ce grand don de Dieu lors du baptême. Là, nous naissons de Dieu et recevons ce titre glorieux. Chrétiens bien aimés, rappelons-nous le saint baptême et la grande miséricorde qui a été manifestée à notre intention ! Nous sommes devenus enfants de Dieu ! Gloire à Dieu pour cela !
Mais on exige des enfants qu’ils soient semblables à leurs parents : ce qui est né de la chair est chair, et ce qui est né de l’Esprit est esprit (Jn.3,6). Etant nés de Dieu, les chrétiens doivent Lui être semblables. Montrons-le par des actes ! Dieu est saint, soyons saints nous aussi ! Dieu est bon car Il fait lever Son soleil sur les bons et les méchants et Il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes (Mt.5,45). Soyons bons nous aussi, faisons du bien à nos amis et à nos ennemis, à ceux qui nous aiment comme à ceux qui nous haïssent. Dieu est miséricordieux : soyons nous aussi miséricordieux envers nos frères dans le besoin. Dieu nous aime : aimons-nous les uns les autres ! Dieu pardonne nos transgressions après notre repentir : pardonnons nous aussi aux autres. L’apôtre nous y exhorte : devenez les imitateurs de Dieu, comme des enfants bien-aimés (Eph. 5,1). Lorsque nous manifesterons un tel caractère, nous deviendrons véritablement les enfants de Dieu capables de recevoir en héritages les biens qui leur ont été promis en Jésus-Christ notre Seigneur.
Le saint baptême est la porte par laquelle les baptisés pénètrent dans la sainte Eglise, deviennent la famille de Dieu et cohabitent avec les saints. Mais rappelons-nous qu’avant le baptême, il y a des reniements et des promesses :
*)Nous avons renié satan et toutes ses oeuvres mauvaises. Satan est un esprit malin et méchant (Dieu l’avait créé bon, mais il s’est éloigné de Dieu avec ses partisans. D’ange de lumière, il est devenu ange des ténèbres, il était bon, mais il est devenu méchant et malin). Voici ses oeuvres : le service des idoles, l’orgueil, la malice, le mensonge, la flatterie, la ruse, l’envie, la méchanceté, la rapine, la fornication, l’adultère, l’impureté, la calomnie, le blasphème et tous les autres péchés. C’est lui qui a inventé le péché. C’est lui qui a séduit nos ancêtres au paradis, les incitant à pécher, et à s’éloigner de Dieu. Avant notre baptême, nous avons renié cet esprit méchant et ses oeuvres mauvaises.
**)Nous avons renié la vanité, l’orgueil, et le faste de ce monde, ayant été appelés et renouvelés pour la vie éternelle.
***)Nous avons promis au Christ, Fils de Dieu, qui est Un avec le Père et l’Esprit Saint, de Le servir dans la foi et la vérité, et de Le suivre.
****)Une alliance s’est ainsi instaurée entre Dieu et nous. Nous avons renié satan, et promis à Dieu de Lui être fidèles. Dieu nous a reçus dans Sa suprême miséricorde et nous a promis l’héritage du royaume et la vie éternelle. Nous qui étions souillés par le péché, Il nous a lavés dans le bain du baptême, Il nous a sanctifiés et justifiés, comme dit le prêtre au nouveau baptisé : vous avez été lavés, vous avez été sanctifiés, vous avez été justifiés (1Cor.6,11)
Chrétiens bien aimés ! Rappelons-nous ces reniements et ces promesses, et regardons bien si nous les avons gardés. Il est grave de mentir à Dieu, il est dangereux de se présenter devant Lui comme des menteurs. Regardons bien si nous ne sommes pas retournés vers satan. De quel côté nous trouvons-nous, du côté de satan, ou du côté du Christ ? On appartient à celui pour qui on œuvre, à celui dont on exécute la volonté. Renier le Christ ne veut pas seulement dire renier Son saint Nom et ne pas Le confesser comme Fils de Dieu et Sauveur : celui qui transgresse Ses commandements sans crainte et avec effronterie Le renie aussi ! Tel est l’enseignement des apôtres : ils font profession de connaître Dieu, mais ils Le renient par leurs oeuvres (Tite1,16). Il est donc clair que l’homme peut renier Dieu non seulement en parole, mais aussi par des actes. Si quelqu’un commet l’adultère ou la fornication, il renie le Christ et retourne vers satan. Si quelqu’un s’irrite contre son prochain ou cherche à lui nuire, il renie le Christ et retourne vers satan. Si quelqu’un vole les biens de son prochain ou l’en dépossède, il renie le Christ et retourne vers satan. Si quelqu’un trompe ou séduit son prochain, il renie le Christ et retourne vers satan... Car à chaque fois, il ne tient pas la promesse faite à Dieu et Lui ment. Bien aimés, examinons notre conduite et notre vie : de quel côté sommes-nous, du côté du Christ ou de Son adversaire, du bon côté ou du mauvais côté, avec ceux qui se sauvent ou avec ceux qui périssent ? Celui qui n’est pas avec le Christ est avec le diable, il est l’adversaire du Christ. Le Seigneur Lui-même l’a dit : Celui qui n’est pas avec Moi est contre Moi (Mt.12,30).
Bien aimés, soyons prudents ! Restons avec le Christ tant que nous sommes dans ce monde, comme nous l’avons promis lors de notre baptême. Soyons ici-bas avec le Christ pour être aussi avec Lui dans le siècle à venir, car il a fait une promesse : là où je suis, là aussi sera Mon serviteur (Jn.12,26). Servons-Le ici-bas comme notre Roi et notre Dieu, afin qu’Il nous reconnaisse comme Ses serviteurs au jour du jugement, nous ouvre les portes de la joie éternelle, et nous incorpore dans l’armée de Ses fidèles serviteurs !
Lors du baptême, nous nous renouvelons pour la vie sainte des chrétiens, nous nous dépouillons du vieil homme pour revêtir l’homme nouveau et spirituel, nous rejetons les moeurs mauvaises du vieil Adam pour adopter les bonnes moeurs du Nouvel Adam, Jésus-Christ, et nous devenons de nouvelles créatures. Celui qui est en Christ est une nouvelle créature. C’est pour cette raison que le saint baptême s’appelle baptême de la régénération (Tite3,5). Avant le baptême nous étions morts, le péché nous avait tués, nous étions incapables de toute bonne action : que peuvent bien faire des morts ? Pour Dieu nous étions comme des gens qui n’existent pas : car pour Lui, ne sont vivants que ceux qui sont morts au péché. Dans le saint baptême, la grâce de Dieu nous vivifie, et puisque nous avons renié le péché, nous sommes renouvelés pour une vie sainte et pieuse.
Chaque chrétien connaît une double naissance : une première naissance selon la chair, une seconde selon l’Esprit. Il reçoit la première de ses parents, selon qu’il est écrit : dans l’iniquité j’ai été conçu, et dans les péchés ma mère m’a enfanté (Ps.50,7). Dans la seconde naissance, l’homme naît à nouveau à une vie spirituelle, sainte et céleste. Il reçoit cette vie du Christ, et avec elle le nom de chrétien, qui vient de Christ, car on porte le nom de celui de qui on est né.
Les attributs de la naissance selon la chair sont l’orgueil, la présomption, l’arrogance, la vanité, la suffisance, le mépris du prochain. Les attributs de la naissance selon l’Esprit sont l’humilité, l’abaissement de soi, la conscience de son indignité.
A la première naissance revient l’absence de foi ; à la seconde revient la foi.
A la première appartient la hardiesse, à la seconde la crainte de Dieu.
A la première appartiennent l’insoumission, l’indocilité, la désobéissance et la résistance à Dieu ; à la seconde la soumission, la docilité, l’obéissance.
Après la première naissance, on néglige l’honneur et la gloire de Dieu ; après la seconde, on s’en préoccupe et on les désire.
Après la naissance selon la chair, on fonde son espoir sur soi-même, sur son honneur, sa richesse et sa force, sur l’homme et sur les créatures ; après la seconde, on n’espère qu’en Dieu seul.
La colère, la fureur, la méchanceté, le désir de vengeance en paroles ou en actes vont de pair avec la naissance selon la chair ; la douceur, l’absence de méchanceté et la patience vont de pair avec la naissance spirituelle.
D’un côté un amour propre démesuré, de l’autre l’amour de Dieu et du prochain.
Et de même, l’avarice, la cupidité, l’inclémence, l’intérêt exclusif pour soi-même ; ou bien la miséricorde, la générosité, la compassion.
L’envie et le mal ; ou bien l’amour, la pitié pour le malheur d’autrui et la joie de son bonheur.
La flatterie, la malignité, le mensonge, la ruse, l’hypocrisie ; ou bien la simplicité et la vérité.
La rapine et le vol ; ou bien la vérité.
L’impureté, l’intempérance et la concupiscence ; ou bien la pureté, la chasteté et l’abstinence.
L’amour du monde, la convoitise de la chair et des yeux, l’orgueil de la vie, les pensées terrestres ; ou bien le mépris du monde et de ses vanités, les pensées célestes, et la recherche des biens éternels.
Les bonnes moeurs vont donc avec l’esprit, et les mauvaises avec la chair. Nous venons de voir quels sont les fruits de la naissance selon la chair et quels sont ceux de la naissance spirituelle. Lorsque les saintes écritures nous commandent de nous éloigner du péché, elles nous commandent de nous éloigner des fruits de la première naissance ; et lorsqu’elles nous commandent de faire le bien, elle nous commandent de porter les fruits de la seconde naissance. Eloigne-toi du mal et fais le bien ! (Ps.33,15). Quiconque prononce le Nom du Seigneur, qu’il s’éloigne de l’iniquité ! (1 Tim.2,19)
Chrétiens bien aimés ! Grâce à Dieu, nous sommes nés et renouvelés dans le saint baptême ! Examinons-nous pourtant pour savoir si nous portons les fruits de la nouvelle naissance, si nous vivons d’une façon conforme à ce qu’elle exige de nous : n’allons-nous pas nous présenter stériles devant le Seigneur ? N’allons-nous pas entendre cette terrible parole : Je ne vous connais pas ! (Mt.25,12)
Nous venons de voir que tout chrétien a une double naissance. Ces deux naissances s’opposent l’une à l’autre. Ce qui est né de la chair est chair et ce qui est né de l’Esprit est esprit (Jn.3,6). De cette opposition découle un combat entre la chair et l’esprit : la chair s’élève contre l’esprit et l’esprit contre la chair. La chair veut tuer l’esprit et l’esprit veut tuer la chair. La chair veut posséder l’esprit et l’esprit veut posséder la chair. La chair veut s’enorgueillir, s’élever, être magnifiée ; l’esprit refuse, il veut être humble. La chair veut se mettre en colère, se fâcher, quereller, se venger, mais l’esprit refuse, il veut tout pardonner avec douceur. La chair recherche la fornication et l’adultère, mais l’esprit se tourne vers la chasteté. La chair veut voler et piller, mais l’esprit veut distribuer ses biens. La chair ruse, flatte, ment, trompe, agit avec hypocrisie, mais l’esprit agit dans la simplicité et la vérité. La chair veut haïr, mais l’esprit veut aimer. La chair recherche l’oisiveté et la paresse, mais l’esprit s’en détourne pour courir vers les oeuvres saintes. La chair recherche les promenades, le vin, les banquets et les festins ; l’esprit recherche la modération et le jeûne. La chair recherche la gloire, l’honneur et la richesse, mais l’esprit les méprise et convoite les biens éternels.
Ainsi l’esprit s’élève contre la chair et la chair contre l’esprit. Le chrétien a été renouvelé, il doit donc vivre selon l’esprit, il doit soumettre la chair à l’esprit : marchez selon l’esprit et vous n’accomplirez pas les désirs de la chair ! (Gal.5,16) Il faut crucifier la chair avec ses convoitises (Gal.5,24). N’ayez pas soin de la chair pour en satisfaire les convoitises ! (Rom.13,14) Il faut s’abstenir des convoitises charnelles qui font la guerre à l’âme (1Pi.2,11). Nous avons été ensevelis avec Lui par le baptême dans la mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous vivions, nous aussi, dans une vie nouvelle (Rom.6,4). Chrétiens bien aimés ! Faisons un retour sur nous-mêmes : menons-nous le bon combat, accomplissons-nous l’exploit salutaire, avons-nous renouvelé notre vie, résistons-nous aux tendances et aux désirs de la chair, ne permettons-nous pas au péché de régner sur nous et de nous posséder ?
Seuls appartiennent au Christ ceux qui ont crucifié la chair avec ses passions et ses convoitises (Gal.5,24). A quoi cela sert-il de s’appeler chrétien et de ne pas l’être ? Ce n’est pas le titre qui fait le vrai chrétien, c’est l’exploit contre la chair et le péché. Il ne faut pas accorder au corps tout ce qu’il exige. Il exige de la nourriture, de la boisson, du repos, des vêtements : donnons-lui ce dont il a besoin ! Mais quand il demandera ce qui est contraire à la volonté de Dieu et à ses commandements, ne lui accordons pas, afin d’être des chrétiens non seulement par le nom, mais dans les faits !
Il est impossible de décrire (et de déplorer comme il convient) l’état du chrétien qui commet le péché après avoir reçu le saint baptême. Il avait acquis par grâce de Dieu l’espérance de la béatitude, et voilà qu’il se précipite dans un malheur qu’il aurait pu éviter ! On peut même dire qu’il tombe dans un malheur encore plus grand : il avait presque atteint la connaissance de la vérité, il avait découvert la voie de la béatitude éternelle, et il n’a pas voulu la suivre ! Il avait promis à Dieu de Le servir, mais il Lui a menti. Il avait été lavé, sanctifié, justifié, mais a fait fi de tout cela. Il était devenu enfant de Dieu, mais il s’est privé de ce titre glorieux. Il était devenu enfant de la vie éternelle et du royaume, mais il a perdu cet héritage. Mieux valait pour eux n’avoir pas connu la voie de la justice que de se détourner après l’avoir connue (2Pi.2,21).
Dans quel grand malheur tombe le chrétien qui commet l’iniquité ! Au début, ce n’est pas visible, les yeux du corps ne perçoivent rien. Seuls les yeux de l’âme en ont connaissance. Mais ce grand malheur sera visible quand nos actes secrets ou manifestes seront dévoilés au monde entier, lors du second avènement du Christ ! A ce moment-là, le pauvre chrétien comprendra tout, il verra son malheur et sa perte.
En vérité, cet état mérite qu’on verse beaucoup de larmes. Il est comparable à l’état de l’homme qui, sorti du bain, se souille de nouveau dans la saleté et les excréments. Voilà ce qui arrive au chrétien qui sort du bain du baptême et se profane par l’iniquité. Il est comme celui qui, après avoir quitté les haillons pour la pourpre et le lin fin, se dévêt des beaux atours pour retrouver ses anciennes hardes. Lors du baptême, nous quittons nos haillons pour revêtir le vêtement de justification du Christ, mais voilà que nous rejetons ce vêtement magnifique pour remettre les haillons du péché... Nous sortons des ténèbres du péché vers la lumière du Christ, puis nous retournons aux ténèbres. Nous quittons, par la grâce du Christ, le dur labeur et la prison du diable, puis nous retournons vers cette calamité. Nous sortons du fossé profond de l’éternelle perdition, puis nous y retombons... Le chien est retourné à ce qu’il avait vomi, et la truie à peine se roule dans son bourbier (2Pi.2,22).
Et qui se trouve dans ce triste état ?
-Les adultères, les fornicateurs, et tout ceux qui se souillent d’une façon quelconque.
-Les voleurs, les pillards, les ravisseurs, et ceux qui accaparent de façon injuste le bien d’autrui.
-Les gens méchants et ceux qui attentent à la vie d’autrui.
-Les trompeurs, les rusés, les hypocrites, et tous ceux qui agissent de façon fausse.
-Les blasphémateurs, les calomniateurs, ceux qui profèrent des injures.
-Les juges iniques qui ne respectent ni la justice, ni les serments, mais qui s’attachent aux dons et aux récompenses.
-les maîtres qui font souffrir leurs serviteurs, qui les accablent de travail ou de taxes.
-Les marchands qui vendent un mauvais article pour un bon, un objet bon marché au prix d’un objet précieux, un article en mauvais état à la place d’un neuf...
-Ceux qui se livrent à la sorcellerie ou invitent des sorciers chez eux.
-Ceux qui transgressent, contre leur conscience et sans crainte aucune, les commandements de Dieu.
Chrétiens bien aimés, jadis lavés dans le bain du saint baptême, scrutons-nous ! Quelques-uns d’entre nous n’ont-ils pas quitté le Christ pour retourner vers le diable ? Celui qui accomplit les oeuvres du diable est déjà retourné vers le diable, et c’est lui qu’il sert : il a renié le Christ ! Malheur à toi, chrétien qui commets des péchés après le baptême, pour le pays de Sodome, il y aura moins de rigueur au jour du jugement que pour toi ! (Mt. 11,24) Pauvre chrétien ! Examine-toi et prend garde à ne pas être pour l’éternité le prisonnier du diable et de la perdition, car Le feu ne s’éteint point et le ver ne meurt point !
Ô Dieu ! Aie pitié de Tes créatures raisonnables, que Tu as créées à Ton image !
Pour ceux qui ont péché après le saint baptême, il ne reste qu’un espoir : un repentir véritable. Gloire à Dieu pour cela ! Gloire à Dieu, nous ne sommes pas encore perdus ! Pécheurs, il reste encore un espoir ! Les largesses de Dieu ne sont pas encore taries, le repentir est encore prêché aux pécheurs, la bonne parole est encore annoncée aux pauvres, la miséricorde du Roi Céleste est encore publiée partout, les portes ne sont pas encore fermées, la grâce de Dieu est encore accessible à tous, l’Evangile de l’Agneau qui a lavé les péchés du monde est encore prêché, le royaume de Dieu est encore annoncé, les pécheurs repentants peuvent encore être sauvés, et avec eux les publicains et les adultères, qui peuvent encore entrer dans le royaume de Dieu. Notre Dieu miséricordieux appelle à Lui tous ceux qui se sont détournés, et Il attend, promettant Sa miséricorde.
Le Père qui aime Ses enfants recevra Ses fils prodigues revenus d’un pays lointain, Il les donnera Ses plus beaux vêtements, leur mettra à chacun un anneau au doigt et des chaussures aux pieds, Il ordonnera à toute Sa famille de se réjouir pour eux.
Anges, réjouissez-vous, et vous, les élus ! Les pécheurs sont revenus vers Moi ! Ces hommes que J’avais créés à Mon image et à Ma ressemblance, et qui étaient perdus, sont maintenant sauvés ! Les morts reviennent à la vie, les courbés sont redressés !
Gloire à Ta miséricorde, Seigneur, gloire à Tes largesses !
Pauvres pécheurs ! Pourquoi vous attarder dans un pays lointain, pourquoi ne pas retourner vers votre Père ? Pourquoi mourir de faim ? Pourquoi mettre le comble à l’iniquité et manger des carouges ? Dans la demeure du Père, l’abondance règne et les mercenaires sont rassasiés. Le Père vous attend avec ferveur. Ses yeux guettent avec amour et miséricorde, Il regarde arriver ceux qui reviennent vers Lui et Lui sont chers. Il courra se jeter à votre cou, vous couvrira des baisers de Son saint amour. Il ne vous grondera pas, Il ne retiendra ni vos péchés ni vos iniquités. Les saints anges et les élus se réjouiront pour vous. Entrons en nous-mêmes, lavons-nous, courons vers notre Père et disons-Lui avec humilité et regret : Père, j’ai péché contre le ciel et contre Toi, je ne suis plus digne d’être appelé Ton fils, traite-moi comme l’un de Tes mercenaires ! (Luc15,18-19) Hâtons-nous, pécheurs, pendant qu’il n’est pas trop tard ! Hâtons-nous, tant que le Père nous attend, tant que les portes de Sa sainte demeure ne sont pas fermées ! Faisons pénitence tant que Sa miséricorde s’exerce encore, afin de ne pas connaître la justice de Dieu, la condamnation éternelle ! Amen.

mercredi 25 mars 2009

VIE DU SAINT APÔTRE JUDE "FRERE" DU SEIGNEUR



Membre du collège des Douze, le Saint Apôtre Jude était de la lignée de David et de Salomon. Il naquit à Nazareth en Galilée. Son saint père, Joseph, devint par la suite le « fiancé » de la Toute-Pure Vierge Marie. Sa mère s’appelait Salomée, non pas la Salomée de Bethléem, mais la fille d’Aggée, fils de Barachie, frère de Zacharie. Elle fut l’épouse de Joseph selon la Loi et lui donna quatre fils, que l’Evangile de Matthieu cite par leurs noms : Jacques, Joseph, Simon et Jude. Saint Jude était donc le frère de Jacques, celui qu’on a coutume d’appeler frère du Seigneur.
Par humilité, Jude se jugeait indigne d’être appelé frère du Seigneur selon la chair car, au début, il avait péché contre Lui, par ignorance, manque de foi, et inimitié fraternelle. Saint Jean fait ouvertement mention de ce manque de foi en disant : « Ses frères non plus ne croyaient pas en Lui ». Commentant ce passage, Saint Théophylacte de Bulgarie remarque : « Les fils de Joseph, Ses frères, L’outragèrent. D’où leur venait un tel manque de foi ? De l’envie, et tout à fait délibérément... Les membres d’une même famille n’ont-ils pas souvent la mauvaise habitude d’envier les leurs, davantage que les étrangers ? »
Mais Jude pécha aussi par inimitié fraternelle, comme le rapporte la vie de Jacques, frère du Seigneur. En effet, quand Joseph revint d’Egypte, il partagea ses terres entre les fils qu’il avait eus de sa première épouse. Mais il voulut également octroyer une part au Seigneur Jésus-Christ, enfanté sans corruption par la Vierge Toute-Pure, d’une manière qui dépasse la nature. Au moment du partage, l’Enfant était encore tout petit, et les fils de Joseph ne voulurent pas accepter le tirage au sort, prétextant que Jésus était né d’une autre mère. Seul Jacques accepta de partager son héritage avec Jésus, faisant de Lui une sorte de cohéritier. C’est pour cette raison qu’il reçut, de façon exclusive, le titre de frère du Seigneur. Saint Jude, qui connaissait son péché passé, n’osait donc pas se présenter sous ce titre, et c’est seulement comme frère de Jacques qu’il parle de lui-même dans son épître : « Jude, serviteur de Jésus-Christ et frère de Jacques ».
En outre, le Saint Apôtre Jude est connu par ses surnoms : l’Evangéliste Matthieu l’appelle Lévi et Thaddée. Ces noms ne sont pas sans révéler des mystères particuliers que nous dévoilerons partiellement ici.
Lévi signifie uni, du coeur, et également du lion. Saint Jude fut surnommé Lévi car, après avoir péché par méconnaissance, il reconnut que Jésus était véritablement le Messie, s’unit à Lui par un amour venant droit du coeur, et oeuvra pour Lui avec le courage du lion. Il mérite donc qu’on lui applique les paroles destinées jadis à l’antique Juda, fils de Jacob et ancêtre du Christ : « Juda, tu recevras les hommages de tes frères, ta main sera sur la nuque de tes ennemis, les fils de ton père se prosterneront devant toi. Juda est un jeune lion, il s’est accroupi et couché comme un lion » (Gen.49,8-9).
Thaddée signifie qui glorifie et qui confesse, ou encore, mamelles de lait. Saint Jude fut donc appelé Thaddée car, en louant et en confessant le Christ Dieu, il nourrit de ses enseignements apostoliques, comme à la mamelle, ceux qui étaient des petits enfants dans la foi, les membres de l’Église primitive.
Certains pensent que c’est Saint Jude que les Actes des Apôtres nomment Barsabas quand ils disent : « Alors les Apôtres et les anciens, d’accord avec l’Église tout entière, décidèrent de choisir quelques-uns d’entre eux et de les envoyer à Antioche avec Paul et Barnabé. Ce furent Jude, surnommé Barsabas et Silas, hommes considérés parmi les frères » (Act.15, 22). Barsabas signifie fils de la conversion. Jude reçut ce nom pour être retourné au Christ par le repentir, après avoir péché contre Lui. Il fit preuve d’un grand amendement, de foi et d’amour. Après avoir douté, il crut au Christ et devint Son Apôtre et Son prédicateur. Après avoir péché contre le Christ par inimitié, il L’aima tellement qu’il Lui offrit sa vie. Il montra pour Lui une grande ferveur et voulut que le monde entier Le reconnût comme le Vrai Dieu, crût en Lui, L’aimât et trouvât le salut. L’Evangile rapporte cette fougue dans l’entretien du Seigneur avec Ses disciples (Jn.14,21) : « Celui qui M’aime sera aimé de Mon Père, Je l’aimerai, et Je me manifesterai à lui. Jude, non pas l’Iscariote, lui dit : Seigneur, d’où vient que Tu doives Te manifester à nous et non pas au monde », pourquoi ne pas montrer Ton salut à tout le genre humain afin que tous Te connaissent, t’aiment ardemment, Te servent fidèlement et Te glorifient dans les siècles, Toi, le Créateur et le Sauveur ?
Citons à présent Nicéphore, l’historien de l’Église, afin de découvrir dans quels pays le Saint Apôtre Jude prêcha le Seigneur après l’Ascension : « Le divin Jude, non pas l’Iscariote mais celui qui était aussi appelé Thaddée et Lévi, le frère de Jacques, lança du pont de l’Église les filets de l’Évangile, dans lesquels il attrapa d’abord la Judée, la Galilée, la Samarie et l’Idumée, et ensuite des villes d’Arabie, de Syrie et de Mésopotamie. Il partit ensuite pour Edesse, ville du roi Abgar, où un autre Thaddée, membre des Soixante-Dix, avait prêché avant lui, et compléta ce qui manquait encore à la prédication ». On sait également que Saint Jude prêcha la Parole du salut en Perse.
Le Saint Apôtre Jude écrivit une épître catholique en grec. Cette épître, bien que brève, renferme une grande sagesse. Son enseignement très utile est en partie dogmatique, certains passages abordant les Mystères de la Sainte Trinité et de l’Incarnation du Christ, les différences entre les bons et les mauvais anges, et le Terrible Jugement à venir. D’autres passages, d’un caractère plus moral, exhortent à éviter l’inique impureté charnelle, les blasphèmes, la désobéissance, l’envie, la haine, la malignité et le mensonge. Ils nous incitent à demeurer constants dans la foi, la prière et l’amour, à se préoccuper de la conversion des égarés, à se garder des hérétiques. Les moeurs des hérétiques, nuisibles pour l’âme, doivent être clairement dénoncées. Leur perte doit être placée sur le même plan que celle de Sodome. L’épître de Saint Jude témoigne encore du fait que quitter l’incroyance païenne et prendre part à la sainte foi ne suffisent pas pour obtenir le salut : encore faut-il que chacun accomplisse les bonnes oeuvres qui conviennent à son état. L’Apôtre prend comme exemple les anges et les hommes châtiés jadis par Dieu. Il rappelle que le Seigneur a lié dans les chaînes des ténèbres éternelles les anges réprouvés, et qu’Il les garde désormais en vue du jugement, eux qui se sont rendus coupables de ne pas garder leur rang. Il a également fait périr au désert les hommes qu’Il avait arrachés à l’Egypte, parce qu’ils n’ont quitté la voie juste que pour se livrer à la débauche. Que de grandes choses dans cette brève épître de Saint Jude !
Par la suite, l’Apôtre supporta de grands maux en travaillant ardemment à prêcher le Christ à travers de nombreux pays, faisant naître la foi, baptisant les peuples, et les éduquant en vue du salut.
Au mont Ararat, il mena une multitude de gens au Christ après les avoir détournés du leurre du paganisme. Mais il fut capturé par des sacrificateurs païens qui le torturèrent longuement en le suspendant à une croix. C’est ainsi que, transpercé par les flèches des impies, il termina sa course et partit recevoir du Christ notre Dieu couronne et rétribution éternelle dans le ciel.
Par les prières de Ton saint Apôtre, Seigneur Jésus Christ, aie pitié de nous et sauve nous.

PRIÈRE DE SUPPLICATION
(Saint Éphrem le Syrien)

Jusques à quand perdrai-je la tête ? Quand donc reviendrai-je à moi-même et demanderai-je au Seigneur de m’accorder un repentir véritable, sans retour au péché ? Sur qui compterai-je si je continue à provoquer la colère de mon Créateur ? Combien de temps m’obstinerai-je encore dans la méchanceté, en reniant la grâce de mon Protecteur ?
Il est maintenant de mon devoir de fuir le diable et ses oeuvres mauvaises et répugnantes, car il déteste les hommes, il les tue depuis toujours, et n’a même pas de pitié pour ceux qui lui obéissent : au contraire, il les conduit vers la perdition. Il est de mon devoir de chercher refuge auprès du Dieu vivant et éternel, qui compatit pour les fils des hommes. Il est de mon devoir de suivre le chemin du salut, d’avoir confiance en Celui qui m’a créé, et de ne pas désespérer, car mon Créateur est plein de miséricorde, de compassion et de bonté.
Si d’aventure l’ennemi me blesse, ô Seigneur, guéris Toi-même mon infirmité par Ta mansuétude, et arrache-moi à ses mains, afin qu’il ne fasse pas de moi la pâture des oiseaux et le banquet des fauves ! Je me prosterne devant Ta droite, ô Roi de gloire, je confesse devant Toi mes péchés, mes iniquités et mes transgressions ! Ô, Toi qui sais tout et qui scrutes les reins et les coeurs, pardonne, dans Ta grande compassion, tous les péchés que j’ai commis contre Toi ! Rien ne peut m’empêcher de pénétrer en Ta présence, aucune porte ne peut m’interdire de me présenter devant Ta droite, pas un obstacle ne peut repousser ma venue près de Toi, car en tout temps, Tu reçois celui qui vient à Toi ! Tu es l’Ami des hommes et Tu veux que tous soient sauvés et arrivent à la connaissance de la Vérité. Tu es l’Ami des hommes et Tu ignores la rancune, bien que Tu saches ce que renferme la conscience de celui qui se repent devant Toi. Avant même qu’il n’ouvre la bouche, Tu lui dis : demande et tu recevras, cherche et tu trouveras, frappe et on t’ouvrira, quitte le péché et repens-toi avec franchise et tu seras reçu chez Moi comme les prophètes !
Ô Seigneur ! A peine parles-Tu que la chose est faite ! Sur Ton ordre, le paralytique s’est levé, a saisi son grabat et s’en est retourné chez lui. Tu as demandé au lépreux s’il voulait être purifié, il a répondu « oui, Maître, je le veux ! », et, aussitôt, Tu l’as purifié de sa lèpre. Tu as rappelé Lazare du tombeau, lui qui était mort depuis quatre jours, et il est sorti vivant. Tu as dit à la pécheresse « tes péchés te sont pardonnés ! », et elle est sortie pure d’entre Tes mains.
Ô Seigneur, Toi si tendre, miséricordieux, compatissant et tout-puissant, Toi qui pardonnes, j’ai péché contre le ciel, contre la terre et contre Toi, je ne suis pas digne de me tenir en Ta présence et d’être appelé Ton serviteur, mes lèvres pécheresses sont indignes de prononcer Ton Nom glorieux, puisqu’elles ont suscité Ta colère à plusieurs reprises ! Ô Seigneur ! Je T’implore de ne pas me repousser loin de Ta face, je Te supplie de ne pas T’éloigner de moi, de peur que je ne périsse, car Toi seul es mon aide et mon soutien ! Si Ta main ne m’avait retenu, j’aurais déjà péri depuis longtemps, je serais devenu comme la poussière qu’emporte le vent, comme celui qui n’a jamais connu ce monde dans lequel je n’ai pas vécu un seul moment paisible depuis que j’ai quitté Ton chemin ! J’implore désormais Ta miséricorde et Ton aide : assiste-moi dans ma quête du salut ! Prosterné devant Toi, tendu vers Ton soutien, moi le prodigue, j’ai dévié de la voie droite. Verse sur moi l’abondance de Ta compassion, comme sur les justes de jadis, car j’ai dissipé le trésor de Ta grâce par ma conduite pervertie ! Aie pitié de moi, ô Dieu, ne Te mets pas en colère contre moi à cause de mes mauvaises actions, puisque jadis Tu as daigné retenir Ta colère contre la prostituée et le publicain ! Aie pitié de moi comme jadis, Tu as eu pitié du larron qui désespérait de tout, mais que Tu as soutenu, purifié et placé dans le Paradis ! Pardonne au pauvre que je suis, qui a péché plus qu’eux tous ! Eux sont revenus à Toi pour toujours, sans regarder en arrière, et ont fait vraiment pénitence. Mais moi, stupide, j’ai agi comme le chien qui vomit et retourne à son vomissement.
Ô Seigneur, je demande maintenant Ton pardon. Puisque Tu reçois les pénitents, accorde-moi un véritable repentir, car j’ai presque succombé sous l’emprise du péché. Seigneur, Tu n’es pas venu appeler les justes mais les pécheurs au repentir ! Regarde-moi, Toi qui guides ceux qui sont perdus et illumines ceux qui sont dans les ténèbres, et accorde au perdu que je suis une vie irréprochable ! Relève-moi, ô Juste Juge, et assieds-moi à Ta droite le jour du Jugement, car à Toi convient la gloire dans les siècles des siècles. Amen.

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mercredi 18 mars 2009

LE CHRISTIANISME INTERIEUR


DU CHRISTIANISME INTÉRIEUR
LE MYSTÈRE DU ROYAUME DE DIEU, OU
LA VOIE OUBLIÉE DE LA CONNAISSANCE DE DIEU PAR EXPÉRIENCE.
(Archiprêtre Jean Jouravsky)

Des Saints Pères qui cherchaient leur âme
et la trouvaient sur la voie du labeur spirituel
Du labeur spirituel qui procure sur la terre
une existence angélique, et la vie éternelle
De la beauté spirituelle de Dieu

Ô, Saints Pères ! Hommes célestes et bénis, anges terrestres ! Vous avez cherché sans vous lasser la perle précieuse de Dieu, le trésor caché sous les épines des passions et des convoitises ! Comme vous avez aimé votre âme incorporelle, empreinte de la beauté divine, splendeur inaltérable, création ô combien admirable de Dieu, image de Sa gloire éternelle, nature spirituelle et immortelle ! Avec quelle ardeur vous êtes-vous lancés dans la quête de votre âme, depuis vos jeunes années jusqu’à votre ultime vieillesse ! Comme votre coeur s’y est enflammé !
Âme ! Beauté divine, incorporelle, intelligente, mais aussi pécheresse et charnelle, passionnée et insensée ! Lumineuse fiancée du Roi Céleste, et pitoyable esclave des convoitises ténébreuses, compagne des démons adultères ! Les anges et les archanges te servent ! Les chérubins et les séraphins te pleurent ! Les saints prient constamment pour toi ! Le Maître des Cieux Lui-même t’aime d’un amour éternel ! Le Fils de Dieu t’a cherchée d’un coeur transpercé, versant pour toi Ses larmes et Sa sueur comme des grumeaux de sang !
« Lui, qui est assis sur le trône de majesté dans les hauteurs, dans la cité céleste, est tout entier auprès de l’âme, dans son corps. Car Il a placé son image à elle en haut, dans la cité céleste des saints, Jérusalem, et Il a mis Sa propre image, l’image de la lumière ineffable de Sa divinité, dans son corps à elle. Il l’a déposée dans son corps. Lui-même la sert dans la cité de ce corps, tandis qu’elle Le sert dans la cité céleste. Il est son héritage au ciel, et elle, Son héritage sur la terre. Car le Seigneur devient l’héritage de l’âme, et l’âme l’héritage du Seigneur » (Saint Macaire le Grand 46,4).
Tel est le chant secret et divin que l’admirable Macaire, l’égal des anges, adresse à l’âme ! Oui, les saints comprenaient le mystère divin de l’âme humaine, qui les plongeait dans un trouble divin et salutaire... Recevant l’illumination céleste, ils voyaient, comprenaient, et concevaient de tout leur être ceci :
Dieu Lui-même a abandonné les Cieux et l’assemblée des anges pour venir sur cette terre des afflictions ténébreuses, ce lieu d’exil de la nature humaine intelligente mais déchue, ce repaire des sombres démons. Dans une affliction mortelle, Il a cherché Son image, Son aimée, celle qui était perdue, versant Sa sueur comme des grumeaux de sang. Le Maître et Créateur fut le premier à rechercher l’âme égarée, Lui qui a dit : « Je suis venu chercher ce qui était perdu » .
En comprenant ceci, comment les saints pouvaient-ils ne pas agir à leur tour, ne pas oeuvrer à cette recherche, eux qui, bien que terre et cendre, abritaient en eux-mêmes l’âme perdue, l’image cachée du Créateur ?
Percevant dans la sensibilité maladive de leur coeur le Mystère de cette recherche et l’inquiétude de Dieu, entendant les pleurs des anges, comprenant à quel point Dieu s’afflige pour l’âme, ils ont abandonné tous les désirs de cette vie charnelle, ils ont secoué la boue de leurs yeux spirituels, et se sont lancés dans la recherche, travaillant de concert avec Dieu et les anges en larmes. Ils se sont précipités dans les forêts, dans les montagnes, dans les rochers, rencontrant la faim et la soif, la nudité et le froid, l’inconfort et les larmes, le renoncement et les souffrances, la prière et l’affliction. S’appuyant sur la prière vigilante, ils se sont adonnés au labeur spirituel de la recherche de l’âme.
Avec Saint Jean Climaque ils se sont lamentés devant Dieu : « Je ne puis plus supporter la violence de l’amour ; je désire avidement cette beauté immortelle que Tu m’avais donnée à la place de cette argile ! » (Echelle, 29,10)
Ô, chercheurs infatigables de la vie spirituelle, vous que la flèche céleste a blessés, vous que les pleurs des anges ont réveillés, quels combats n’avez-vous connus, et quels labeurs, quels torrents de larmes, quelles interminables supplications !
Les porteurs de la croix spirituelle sont partis sur la voie étroite, à la file, dans les larmes de la prière incessante, dans les cris et les gémissements du combat invisible, clouant sur leur croix par la prière du coeur leur vie charnelle et leur esprit.
Ils ont obtenu ce trésor que Dieu Lui-même cherchait à leur offrir, sur lequel les anges et les puissances célestes pleuraient. Ils ont obtenu la beauté divine et spirituelle, ils ont recouvré leur âme perdue, ils ont trouvé la joie, la lumière, la réjouissance éternelle et l’allégresse, ils ont obtenu leur Résurrection, leur Pâque lumineuse, leur vie éternelle, ils ont découvert Dieu, digne de toute admiration, au Nom salutaire et merveilleux pour les âmes pécheresses perdues.
Oui, telle est l’immuable loi spirituelle : celui qui perd son âme perd Dieu, et celui qui trouve son âme trouve Dieu.
On peut perdre son âme, et alors on perd tout. Très peu nombreux sont ceux qui la trouvent. Beaucoup la perdent, qui par des rêveries séduisantes de l’intellect, qui par de sensuelles convoitises du coeur. Celui qui vit sans être attentif à ses pensées la perd. Celui qui vagabonde en esprit la perd. Il est si rare de retrouver son âme perdue... La trouvent uniquement ceux qui renoncent aux richesses psychiques, aux rêveries, aux convoitises sensuelles, ceux qui renient satan et ses oeuvres psychiques, et achètent au prix des larmes le champ du repentir dans lequel est enterrée l’âme pécheresse, la perle de Dieu, la drachme perdue, qu’ils dégagent des gravats à la sueur de leur front.
La fête du recouvrement de l’âme est toujours un événement. Elle passe inaperçue sur la terre, mais elle suscite au ciel une grande allégresse ! Les anges se réjouissent avec leur Maître. Réjouissez-vous avec Moi, J’ai trouvé la drachme perdue ! Ainsi, Je vous le dis, il y a de la joie chez les anges au ciel pour un seul pécheur qui se repent !
Le recouvrement de l’âme pécheresse est la fête des anges, la fête divine. Pour obtenir, au prix de beaucoup de larmes, cette perle céleste et immatérielle qu’est notre âme, et avec elle la beauté spirituelle de Dieu et Dieu Lui-même, il faut passer par les portes étroites d’une vie spirituelle resserrée, où nous nous débarrassons du matériel, du terrestre, et du psychique. Après seulement commencent la fête et les réjouissances.
Bien peu trouvent le seuil de l’étroitesse et du renoncement, rares sont ceux qui le franchissent pour entrer dans une vie vraiment spirituelle et céleste. Bien peu conçoivent ce que sont les réjouissances angéliques sur la terre et ce que les Saints Pères appellent l’attention à soi-même. C’est ainsi qu’il y a beaucoup d’appelés et peu d’élus. Peu nombreux sont ceux qui trouvent le salut, à cause de l’inattention et d’une existence tournée vers le matériel. Rares sont ceux qui communient à la vie éternelle par l’attention. Rares sont ceux qui cherchent leur âme, et encore plus rares ceux qui la trouvent. C’est un grand exploit que de renoncer au matériel et au psychique. Quel grand labeur faut-il déployer pour trouver la perle immatérielle qu’est l’âme ! Pourtant, l’abandon du matériel et du psychique conduisent à l’immatériel et au spirituel.
Eclairés par la grâce divine, les Pères ont expérimenté et compris tout cela en oeuvrant toute leur vie pour trouver la perle spirituelle. Ils ont montré beaucoup d’humilité et de patience, dans les tribulations et l’effort sur soi-même. Ils ont atteint leur but, non pas en partant dans des grottes ou des forêts, non pas par la faim ou la soif, mais par l’angoisse spirituelle de l’attention, par la pratique spirituelle. Ils ont expérimenté le mystère de la prière de l’esprit, mystère perpétuellement caché, au fil des siècles et des générations. Par la prière, les larmes, et le repentir, ils ont trouvé leur âme, et avec elle, l’admirable don de la grâce accordé à notre nature en Jésus-Christ. Ce don est riche, sa puissance grande et bénie. C’est le don de la nouvelle existence, l’existence théophore. Il introduit dans une vie nouvelle qui illumine la nature spirituelle et montre clairement au coeur qu’il porte en lui le Dieu Saint et Vivant. C’est ainsi que les Pères sont devenus théophores et saints. Sur terre et dans la chair, ils vivaient au ciel par l’esprit. Ici-bas, entourés du péché et de la corruption, ils portaient la beauté spirituelle immortelle, l’image de Dieu resplendissait en eux d’une gloire sans déclin. Leur brillante lumière couvrait de honte les méchants démons qui foulent aux pieds l’image de Dieu, affermissait la foi affaiblie d’une multitude, éclairait la recherche des hommes.
Nous pourrons nous aussi, avec le concours de la grâce, recouvrer notre âme, notre beauté spirituelle perdue, si nous nous engageons sur la voie de la tribulation spirituelle. C’est seulement sur cette voie que nous y parviendrons. Dans l’angoisse spirituelle de la prière attentive, l’homme réalise l’ampleur de sa chute. Sur la voie de l’attention, il connaît la beauté immortelle de l’âme et, simultanément, l’abîme de la miséricorde et de l’amour de Dieu pour cette pécheresse spirituelle. Seule la voie étroite du renoncement spirituel montre à l’homme la grandeur céleste de l’âme. En découvrant pour la première fois cette digne image de Dieu, il comprend toute la folie du péché qui l’a déformée. Par le repentir, il fait alors le serment d’aimer l’âme jusqu’à la mort, et de haïr la pernicieuse laideur du péché d’inattention. En pleine conscience, il renonce à satan, le corrupteur des âmes, et au tourbillon des pensées perverties. Oui, ce n’est que sur la voie de la tribulation spirituelle qu’on découvre toute la laideur et l’horreur du péché installé dans les pensées, et toute la beauté immortelle de l’image spirituelle qui resplendissait dans l’homme avant la boue (Cf. Jn. 9 ; 6,11,15).
Seuls les Pères ont percé le Mystère de l’âme, et, ce faisant, ils ont chanté : « Je suis l’image de Ta gloire ineffable, même si je porte les marques du péché ».
L’inimitable chantre de l’âme pécheresse et déchue, Saint André de Crète, a entonné sur elle des hymnes immortelles arrosées de larmes divines. On y perçoit les sanglots des anges qui s’apitoient sur cette beauté spirituelle perdue que le Fils de Dieu aime d’un amour éternel. La Sainte Eglise a adopté ces hymnes. Elle les chante en pleurant pendant les journées de repentir du Grand Carême. D’innombrables générations d’humbles chrétiens arrosent de leurs larmes les hymnes de Saint André depuis des siècles, pleurant leur âme pécheresse et disant : « Aie pitié de moi, Ô Dieu, aie pitié de moi ! » Les Saints Anges aussi se lamentent sur la pécheresse, et avec eux toute l’Église du ciel et de la terre. La beauté de l’âme devant Dieu est telle, que sa perte est une catastrophe.
Quiconque vient un jour à contempler la pécheresse de ses yeux intérieurs ne verra plus jamais ses larmes se tarir. Quiconque vient un jour à contempler sa beauté immortelle entachée de péché, verra toutes les beautés terrestres s’affadir et jamais plus il ne les vénérera.
Ceux qui n’ont pas vu la beauté intérieure et éternelle vénèrent la beauté terrestre. Pourtant, celle-ci n’est que l’ombre fragile et passagère de la première. La beauté terrestre n’est pas un but en soi, elle n’est qu’un petit sentier à peine visible, rarement emprunté par ceux qui aspirent au véritable but. Seuls quelques rares solitaires particulièrement doués y trouvent la voie de la beauté immortelle. Mais les autres cheminent sur la voie large de l’art et de la technique, de la tradition formelle, du cérémonial, de la piété extérieure. C’est la voie des nombreux appelés. Peu y trouvent le salut. Le rite et l’art font oublier la beauté intérieure. Seuls quelques élus passent du cérémonial au service intérieur et à l’attention. Sur la voie de l’étroitesse spirituelle, ils clouent les convoitises à la croix du renoncement et proclament : « Je cherche Ta beauté immortelle, celle dont Tu m’avais revêtu avant cette boue ! »
Seul celui qui s’est arraché à la convoitise pour rechercher son âme et sa beauté immortelle peut véritablement la trouver, même profondément enfouie dans le gouffre des passions (Cf. Saint Macaire le Grand). Dans les larmes de repentir, il découvre la digne image de Dieu. Avec la grâce de Dieu, il prend conscience de sa terrible chute. Quiconque n’a pas encore contemplé son âme pécheresse, incorporelle et déchue, se lamentant sous le choc d’une telle vision, est encore aveugle, pauvre et misérable. Il ne sait pas encore ce qu’est la beauté immortelle.
La beauté immortelle est dévoilée par les larmes de contrition et un profond repentir. Mais rares sont ceux qui trouvent ce repentir. Rares sont ceux qui se connaissent et connaissent leur âme. Rares sont ceux qui trouvent le chemin de Sainte Marie l’Egyptienne ou de Sainte Taïs. La plupart des gens, affaiblis par les convoitises lubriques, sont incapables d’abandonner leur couche pécheresse pour se plonger dans le bassin des larmes, que garde l’ange du repentir. Le péché affaiblit l’âme, la paralyse, la flétrit, la rend impuissante et infirme. Il l’affaiblit tellement qu’elle n’a même plus la force de se repentir. L’âme de Marie l’Egyptienne n’était pas épuisée. Quelle majesté dans cette âme, quel repentir ! Quelle divine inquiétude que celle de Marie pour son âme ! Quel courage et quelle audace dans son combat contre le terrible serpent, qui serrait déjà dans sa gueule la condamnée ! Comme elle désirait sauver la beauté spirituelle outragée ! Quelle personnalité courageuse, magnifique et forte, dans un corps de femme frêle et épuisé ! Quarante années d’intense combat dans le désert, quarante années de luttes contre les sangsues des passions ! Ce n’est pas à tort que Saint Macaire le Grand a pu proclamer que l’âme et le démon sont de force égale. La grâce du Seigneur a aidé Sainte Marie l’Egyptienne à vaincre le démon des passions. Cette grâce vient à l’aide de toute âme qui s’arme avec courage et détermination contre le péché, si elle rejette toute hypocrisie.
Rares sont ceux qui engagent à temps le combat contre les passions. La plupart des gens passent leur vie entière avec elles, sans remarquer que les petites passions épuisent l’énergie spirituelle. L’âme épuisée est incapable d’exploit. Elle n’a pas la force de cheminer sur la voie difficile du repentir. Elle s’affale sur le lit des petites convoitises qui la gardent captive, et ne peut plus avancer vers Dieu. Elle attend couchée que Dieu Lui-même vienne à elle. Elle est tellement paralysée que même une aide matérielle ne parvient pas à la relever.
Zachée, en son temps, vit le Seigneur passer devant lui et le chercher du regard. Dieu est attiré par le regard spirituel de l’âme. Il voit quel regard secret Le cherche et s’empresse à Sa rencontre. Derrière le regard spirituel de l’âme se cache un mystère divin, profond et inconcevable. Seuls les saints ont pu quelque peu le dévoiler. L’âme est grande et mystérieuse, et sa puissance ne l’est pas moins. Le regard spirituel de l’âme attire à lui ce sur quoi il se pose. Quelle puissance mystérieuse, terrible, et salutaire !
Le saint roi David a regardé la femme d’un autre et l’a attirée. Hélas ! Hélas ! Il a également attiré les pleurs et les lamentations de toute une vie ! Mais Zachée a regardé Dieu, L’a attiré, et a fait entrer le salut dans toute sa maison. Le Saint Apôtre parle du mystère du regard spirituel : « Nous tous, qui, le visage découvert, contemplons comme dans un miroir la gloire du Seigneur, nous sommes transformés par cette image ! » (2Cor.3,18). Dans ces mots se cache le mystère des Saints Pères sur la prière de l’esprit. Ce que l’esprit regarde avec attention, il le reçoit. C’est pourquoi il est dit à ceux qui cherchent Dieu spirituellement : « Priez sans cesse ! Regardez constamment la gloire du Seigneur, le glorieux Nom du Seigneur, et vous attirerez Dieu vers vous ». Mais l’âme affaiblie et épuisée par les passions n’a pas la force de rechercher Dieu d’un regard spirituel. Peu de gens comprennent la pratique spirituelle, et encore moins ceux qui cherchent avec leur intelligence.
Oui, le péché et les petites passions sont effrayants ! Comme d’indestructibles parasites, ils agrippent l’âme, sucent ses forces spirituelles, l’épuisent, et la rendent inapte à la vie spirituelle. C’est pourquoi la majorité des chrétiens mène une vie terrestre, matérielle et intempérante. La vie spirituelle, intérieure, celle qui renonce au matériel, leur est inaccessible. La vie angélique et la contemplation spirituelle de la beauté immortelle leur sont incompréhensibles. Ils ne peuvent concevoir combien leur âme est pécheresse (bien qu’elle soit aussi le siège d’une digne et divine beauté spirituelle). Ils ne sentent pas la tunique des passions, les haillons infects de la convoitise et du péché.
Seul celui qui a vu son âme de ses yeux intérieurs et connu sa dignité peut, avec l’aide puissante de Dieu, voir et connaître aussi sa terrible chute. Quelle mystérieuse vision que celle de l’âme incorporelle couverte de la tunique des passions, puante de la convoitise et du péché ! Quelle vision poignante, ineffable et divine ! Elle incite à crier sans relâche « Aie pitié de moi, Ô Dieu, aie pitié de moi ! ». Elle pousse l’âme pécheresse vers les montagnes et les forêts, vers les pleurs et la prière, vers le renoncement et les souffrances.
Saint André de Crète a composé son oeuvre divine à l’occasion d’une grande chute. Le mystérieux chantre de l’âme, Saint Macaire le Grand, l’égal des anges, le grand luminaire des pères égyptiens, a composé pour elle des chants secrets montrant sa grandeur, sa gloire, sa beauté spirituelle et divine. L’Église les a conservé avec amour dans son florilège d’écrits inspirés.
Voici quelques uns des chants célestes sur la beauté divine de l’âme, cet être spirituel, que l’Esprit Saint a placés sur les lèvres du théophore et lumineux Macaire :
« Le Seigneur a créé le corps et l’âme de l’homme afin d’en faire Sa propre demeure, d’habiter et de reposer dans le corps, comme dans Sa maison, avec l’âme bien-aimée pour épouse, pleine de beauté et modelée à Son image »
« L’âme est en vérité une grande et merveilleuse création de Dieu. En la façonnant, Il fit en sorte que fût inscrite dans sa nature la loi des vertus. Il lui octroya le discernement, la connaissance, la sagesse, la foi, l’amour, et la volonté. Il la créa légère, infatigable et douée d’une grande mobilité. Il lui accorda la capacité d’aller et de venir en un clin d’oeil et de Le servir en pensée à la moindre sollicitation de l’Esprit. En un mot, Il la créa pour quelle fût Sa fiancée complice, à qui Il allait s’unir pour qu’elle devînt avec Lui un seul esprit, comme il est dit : Celui qui s’attache au Seigneur est avec Lui un seul esprit (1Cor.6,17). Aucune créature n’est aussi proche, aucune n’a autant de réciprocité avec Dieu que l’âme »
« L’âme est la plus précieuse de toutes les créatures »
« Alors que les anges veillaient déjà sur ton salut, le Fils du Roi et Roi lui-même tint conseil avec Son Père, et le Verbe descendit sauver le semblable par le Semblable, revêtant la chair derrière laquelle Il cacha Sa Divinité, allant jusqu’à déposer Son âme sur la Croix. Comme est grand l’amour de Dieu pour l’homme ! L’immortel condescend à être crucifié pour toi ! Comprends donc l’importance de l’âme et à quel point Dieu s’en préoccupe ! Dieu et Ses anges la cherchent pour communier avec elle dans le Royaume ! Mais satan et ses forces la cherchent aussi et l’attirent vers eux ! »
« Homme ! réfléchis donc à ta dignité ! Vois comme tu es précieux ! Dieu t’a placé au-dessus des anges en venant en personne sur la terre intercéder en ta faveur et être ton Rédempteur ! »
Ainsi, les Pères Saints ont médité sur leur dignité, ont compris leur nature spirituelle, et se sont lancés à la recherche de leur âme, cette image incorruptible de la beauté immortelle de Dieu. Ils se sont hâtés vers le monde spirituel qui leur devint familier, quittant la vie charnelle pour la vie de l’esprit, le chemin vaste et large des tourbillons psychiques pour l’étroitesse spirituelle de l’attention et de la prière. Avec le concours de Dieu, ils ont trouvé ce qu’ils cherchaient, c’est-à-dire leur âme, belle, spirituelle et divine, et avec elle, le don de l’existence divine reçu en Jésus-Christ, notre Seigneur. Ils ont obtenu leur âme et la grâce de l’existence angélique en portant constamment Dieu dans leur coeur, dans leur esprit, et sur leurs lèvres. Ils ont porté en permanence et avec grande attention le très Saint Nom de Dieu, si efficace pour tous ceux qui L’invoquent avec foi et amour. Les Saints Pères nous invitent nous aussi à rechercher notre âme et la vie angélique, par le labeur et l’affliction spirituels, l’attention et la prière incessantes.

De la possibilité de pratiquer la prière de l’esprit au milieu du monde
Un exemple réconfortant et béni
La condition sine qua non pour pratiquer cette prière
« Garde ton esprit ! »
Nos maîtres dans cette pratique : les Pères et les tribulations

Celui qui lit ces lignes sera peut-être plongé dans des pensées dubitatives : quelle pourrait être la pratique spirituelle d’un homme qui vit dans l’effervescence du monde ? Cette pratique ne convient-elle pas davantage à celui qui vit dans un monastère ?
A cela, il y a lieu de répondre par les paroles du Seigneur : ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu (Luc 18,27). Saint Syméon le Nouveau Théologien ajoute d’ailleurs que ni le monde, ni les occupations de la vie n’empêchent d’accomplir les commandements de Dieu, pourvu qu’il y ait du zèle et de l’attention.
Le bien fondé de ces paroles divines a été amplement confirmé sur la terre russe par la vie spirituelle du père Jean de Cronstadt, que le Seigneur a voulu montrer à tout un peuple chrétien qui s’éloigne de Dieu et perd la foi. Le bienheureux Père Jean a en effet cherché le salut par la pratique spirituelle au beau milieu du monde, au coeur d’une foule immense, alourdie par les péchés et toutes sortes de tentations. Cette figure bienheureuse est pour nous un signe prophétique. Elle indique la voie à tous ceux qui, au milieu des vagues terribles et furieuses d’un monde agité par les passions, cherchent vraiment le salut.
Le salut, c’est-à-dire l’ascension des degrés de la perfection chrétienne, est possible en tout lieu et en toutes circonstances, à condition d’adopter la pratique spirituelle que le Père Jean a résumée dans ce conseil : Sois prudent, garde ton esprit !
Comme ceci est étonnant ! Ces quelques mots si lumineux traduisent l’essence même de l’enseignement des Saints Pères sur l’attention, la vigilance et la pratique spirituelle. Ces paroles brèves et divines sont la quintessence de l’ascèse orthodoxe et de ses exploits spirituels.
Cette pensée n’est pas le fruit d’une recherche académique. Elle vient du coeur, de l’expérience intérieure animée par la Grâce. En elle se cache le mystère du Christianisme et du monachisme.
Les « théoriciens » du Christianisme, du monachisme, et de l’ascèse orthodoxe ont écrit beaucoup de bons livres, qui sont les fruits d’une intelligence savante. Pourtant, ces livres ne montrent pas que la Grâce a donné à leurs auteurs la compréhension des vérités dont ils parlent. Ils sont morts, ils ne renferment pas la Parole de Vie. Oui, ces livres sont morts... La compréhension offerte par la Grâce leur fait défaut. Il aurait fallu que leurs auteurs connussent eux-mêmes la vie et l’expérience spirituelle intérieure qu’illumine la Grâce. Seule une telle expérience peut donner le jour à des écrits porteurs de grâces. Sans elle, les vérités du Christianisme sont totalement inaccessibles. L’intelligence livresque ne les voit pas; écoutant, elle n’entend pas et ne comprend pas...
L’homme de prière de Cronstadt, quant à lui, avait cette expérience. C’est pourquoi il a pu exprimer dans cette parole brève et porteuse de grâces l’essence même de l’ascétisme chrétien oriental, c’est-à-dire l’essence même du monachisme et de tout le Christianisme.
Garde ton esprit !
Tout est dit. Voilà le secret de l’exploit spirituel. Voilà le secret du salut et de la perfection chrétienne. Voilà la pratique spirituelle des Pères, l’élévation de leur esprit vers Dieu dans la prière. Tout est dans la mémoire de Dieu, dans la prière incessante, qui conduit intérieurement à Dieu par une communion vivante avec Lui dans le silence mental. C’est la voie des Pères, c’est l’essence de l’ascèse orthodoxe !
L’expérience pratique de la Grâce chez le père Jean de Cronstadt confirme avec une clarté extraordinaire la vérité de ses paroles, et des paroles de l’antique Prophète : Dieu a accompli notre salut au milieu de la terre (Ps.73,12). « Au milieu de la terre », c’est-à-dire au milieu du monde, de la chair, du péché, et des tentations. C’est précisément là que le salut est accompli par Dieu Lui-même, et non par l’homme, quoiqu’avec le bon zèle de l’homme. C’est Dieu et non l’homme qui détient la clef le salut.
Si la prière incessante à laquelle le Père Jean fait allusion en disant « garde ton esprit » était absolument impossible dans le monde, l’Esprit Saint n’aurait pas appelé les chrétiens à ce labeur par la bouche de l’Apôtre qui dit : Priez sans cesse ! (1Thes.5,17) Le Seigneur Dieu ne demande pas l’impossible. Suggérée par l’Esprit Saint, la prière incessante est indispensable : sans la prière incessante, il est impossible de se rapprocher de Dieu (Saint Isaac le Syrien).
Il nous faut seulement vouloir le salut et fournir un bon zèle. Si nous offrons une prière incessante zélée, Dieu Lui-même nous aidera en toutes circonstances, au milieu de la mer déchaînée des passions, dans la prison de l’Egypte, ou dans la fournaise des tribulations de Babylone qui mettent à l’épreuve la fermeté de la foi et de l’espérance. Dieu est véritablement l’Aide et le Protecteur de toute âme qui fuit l’Egypte des passions et le pouvoir du pharaon mental pour s’élancer vers la terre spirituelle de la promesse. Une telle âme obtient effectivement Son aide, dès que l’élan spirituel l’anime.
La vie spirituelle de l’homme de prière de Cronstadt a amplement confirmé cette vérité. Le Seigneur Dieu, qu’il invoquait en esprit, a toujours été son Aide et son Protecteur au milieu des foule immenses.
S’il était impossible de trouver le salut par une telle pratique spirituelle au milieu du monde, les Pères n’auraient pas incité les laïcs eux-mêmes à l’adopter. Saint Ignace Briantchaninov dit que la prière de Jésus doit être pratiquée non seulement par les moines qui vivent au monastère dans les obédiences, mais aussi par les laïcs. Il dit aussi que tous les chrétiens peuvent et doivent pratiquer cette prière avec un esprit de repentir, dans le but d’appeler le Seigneur à l’aide, avec foi, crainte de Dieu, grande attention au sens et aux paroles de la prière, et grande contrition.
C’est Saint Basile le Grand qui suggéra aux analphabètes de son temps de remplacer toutes les prières par la prière de Jésus, et ceci devint une règle pour toute l’Église d’Orient. Saint Syméon, archevêque de Thessalonique, conseille aux évêques et aux prêtres, aux moines et aux laïcs, de prononcer en tout temps et à toute heure cette sainte prière, de la garder sur les lèvres comme une respiration : que toute personne pieuse prononce cet appel et s’y force toujours ! Notre Père lumineux, le saint et bienheureux moine Séraphim, donnait les mêmes recommandations à toux ceux qui venaient à lui, moines ou laïcs, et disait :
« Que tout chrétien vaque à ses occupations et, pendant son travail à la maison ou à l’extérieur, qu’il dise doucement : Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi le pécheur ! Qu’il s’exerce à mettre dans ces mots toute son attention !
Dans l’invocation du Nom de Dieu, tu trouveras le repos, tu parviendras à la pureté spirituelle et corporelle, et l’Esprit Saint établira Sa demeure en toi. Source de tout bien, Il te dirigera dans la sainteté, en toute piété et pureté »
De nombreux Saints Pères donnaient aussi cette instruction à ceux qu’ils rencontraient, moines ou laïcs. Le commandement de vigilance, c’est-à-dire de prière incessante, fut donné par notre Seigneur et Sauveur non seulement à Ses proches disciples, mais aussi à tous ceux qui croyaient en Lui. Pourtant, nombreux sont ceux qui par fausse humilité se considèrent indignes de cette prière et prétextent qu’elle convient davantage aux hommes saints. Ceci est injuste et faux. Le schémamoine Basile Polianomerilsky de bienheureuse mémoire, qui était très expérimenté dans la prière incessante, disait : « Nombreux sont ceux qui par inexpérience spirituelle jugent faussement que cette pratique convient seulement aux hommes saints et sans passions »
D’autres craignent d’entreprendre ce labeur en pensant qu’il pourrait les conduire au leurre. Cette crainte provient de leur ignorance spirituelle. Examinons la chose sereinement : n’est-ce pas un leurre et une illusion que de penser que l’invocation du Nom saint et salutaire de notre Dieu pourrait être dangereux ? Ce leurre-là n’est-il pas pernicieux ? Oui, ce leurre-là est le plus subtil et le plus pernicieux des leurres de l’âme ! Jamais qui que ce soit n’a eu l’esprit dérangé par cette prière, ni n’est tombé dans l’illusion !
Mais au fait, qui tombe dans l’illusion ? Qui voit son âme se détériorer ? C’est celui qui, suivant l’élan déraisonnable, insensé et orgueilleux de son esprit, s’élance vers des degrés élevés qui ne conviennent pas à son état passionné.
Il s’est déjà trouvé des confesseurs inexpérimentés et déraisonnables pour interdire la pratique de la prière de Jésus. Sous leur influence, de nombreuses personnes sont parvenues à un total enténèbrement de l’âme, comme le raconte le starets Païssy Voldavsky. Eprouvant une grande crainte pour cette sainte prière, elles ont sombré dans une folie extrême, allant jusqu’à jeter à la rivière avec des briques les livres des Pères qui en parlent ! Quoi de plus insensé qu’un tel comportement ?
Il se trouve malheureusement que la prière de Jésus effraie non seulement les ignorants, mais aussi certaines personnes instruites, et même de savants théologiens. Ceux-ci lui opposent un comportement pour le moins bizarre, et souvent hostile. Le Saint évêque Ignace Briantchaninov, expérimenté dans la pratique de cette prière, fait à leur propos les réflexions suivantes : « Il n’est pas étonnant que nos (théologiens) scientifiques, qui n’ont aucune connaissance de la prière de l’esprit selon la Tradition de l’Eglise Orthodoxe, se mettent à répéter les blasphèmes et les inepties qu’ils ont lus chez les auteurs occidentaux à son sujet ». « L’intelligence charnelle et psychique, aussi savante soit-elle dans la sagesse du monde, regarde toujours de façon bizarre et hostile la prière de l’esprit. Cette prière est le moyen pour l’esprit humain de s’unir à l’Esprit de Dieu, aussi est-elle particulièrement effrayante et haïssable pour ceux qui voient avec bienveillance leur esprit s’installer dans l’assemblée des esprits déchus et hostiles à Dieu, esprits qui n’ont aucune conscience de leur chute, et qui s’en enorgueillissent comme d’une grande réussite ».
Lors de la prise d’habit monastique, le nouveau tonsuré reçoit le chapelet et s’entend dire : « Reçois, frère, l’épée spirituelle de la parole de Dieu, et sème-la dans ta bouche ! En esprit et dans ton coeur, dis constamment : Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi, pécheur ! » Cette prière est donnée à chaque moine comme un commandement. Pourtant, rares sont les moines qui comprennent pourquoi. Il leur faudrait un guide expérimenté...
Celui qui s’attache en toute pureté à cette prière se détourne de l’intempérance et cherche le repentir d’un coeur ardent. La prière agit sur lui comme un guide du repentir. Dans le cas des laïcs, elle s’attache seulement à celui qui a soif de renoncer à la vie charnelle pour entreprendre une vie spirituelle et sauver son âme. La prière ne saurait en aucun cas perdurer chez le mondain qui mène une vie charnelle. Toutefois, s’il s’y accroche quand même, elle finira par l’entraîner vers la vie spirituelle et le repentir.
La prière de Jésus est aussi la prière de la résurrection de l’âme et de la vie divine. Celui qui s’y attache véritablement se détache toujours de la vie matérielle et charnelle, meurt pour le monde et se réveille à la vie de l’esprit. Cette courte prière ressuscite l’esprit, elle est esprit, elle est la spiritualisation de celui qui l’aime.
L’homme de prière de Cronstadt, qui aimait cette prière, en confirma la force par sa vie inspirée au milieu du monde. Il est vrai que son expérience parait exceptionnellement éclatante. Pourtant, elle n’est pas le fruit du hasard. Il n’y a pas de place pour le hasard dans la sage providence de Dieu. L’homme de prière de Cronstadt est un exemple prophétique pour tous ceux qui cherchent véritablement le salut au milieu des tentations de ce monde des derniers temps. C’est pour nous un signe réjouissant et réconfortant.
Pourtant, certains pensent encore et toujours que seuls ceux qui vivent dans un environnement monastique ou dans le désert peuvent entreprendre ce labeur spirituel. Mais notre époque n’offre ni l’un ni l’autre. Le Seigneur a rendu le désert inaccessible et fermé les monastères. Il ne nous a laissé que le monde pécheur. Que devons-nous donc faire, nous qui désirons le salut ? Il ne nous reste qu’une seule voie : la voie intérieure de l’attention aux pensées et de la prière incessante. Nous devons chercher notre salut au milieu du monde par la pratique spirituelle. Garde ton esprit, occupe-le par l’incessante prière du repentir ! N’y cherche pas des états spirituels élevés, mais uniquement la vision de tes péchés et la purification de tes passions ! Cherche tout cela dans les pleurs de la prière ! On ne s’égare pas dans cette voie-là, elle est sans danger, c’est la voie des Pères. C’est la seule voie qui s’ouvre devant nous. Toutes les autres sont obstruées.
Des pensées de doute et d’hésitation s’élèvent-elles encore ? Elles proviennent du corrupteur mental qui, dans son grand art, utilise le doute, l’hésitation, l’indécision, pour ébranler définitivement notre foi (déjà bien faible) dans la toute-puissance de Dieu, et nous perdre par manque de confiance. Le Seigneur Dieu est pourtant le même hier, aujourd’hui et éternellement (Heb.13,8). Il sauve toujours par Sa grâce puissante celui qui recherche et désire le salut. (à suivre)%\%\%

samedi 14 mars 2009

HOMELIE SUR L'ANNONCIATION DE LA MERE DE DIEU


Texte rédigé par Saint Dimitri de Rostov,
d’après les Saintes Ecritures, les écrits des Pères,
et d’autres récits authentiques.

Lorsque le temps fut accompli, la libération de l’humanité qui devait être réalisée par l’Incarnation de Dieu, s’approcha. Il fallait trouver une Vierge pure, sainte, et immaculée, qui fût digne de servir le Mystère de notre Salut, en cachant dans son sein l’Incarnation de l’Incorporel. Et voici qu’une telle Vierge fut trouvée !
Plus pure que toute pureté, plus sainte que toute sainteté, c’était la plus immaculée de toutes les créatures douées d’intelligence : la Toute-Bénie et Toute-Pure Vierge Marie, le Rameau d’une racine infructueuse, l’Enfant des saints et justes ancêtres de Dieu Joachim et Anne, le Fruit de la prière et du jeûne !
Fille de roi et de sacrificateur, Celle qui allait devenir le Temple vivant de Dieu fut trouvée dans un lieu saint, le temple de Salomon. Celle qui allait engendrer le Verbe plus Saint que tous les saints demeurait dans le secret du temple, dans un lieu dénommé le Saint des Saints. C’est là que le Seigneur, depuis les cimes de gloire de Son Royaume, jeta les yeux sur l’humilité de Sa Servante. C’est là qu’Il élut Celle qu’Il avait déjà choisie avant toutes les générations pour être la Mère de Son Verbe Eternel. Bien avant l’Annonciation, Il lui révéla mystérieusement cette Incarnation par l’intermédiaire de l’Archange, comme nous l’apprennent les récits dignes de foi des Pères.
La Vierge Toute-Pure vécut au temple jusqu’à l’âge de douze ans, s’adonnant à la prière incessante, au travail manuel, et à la lecture des livres sacrés, dans lesquels elle s’instruisait jour et nuit dans la Loi du Seigneur. Saint Epiphane et Saint Ambroise rapportent qu’Elle avait l’esprit très vif. Elle aimait l’étude et lisait avec grande application l’Ecriture Sainte. L’historien de l’Eglise Georges Kedrine précise qu’Elle étudiait déjà en profondeur les livres des juifs du vivant de ses parents.
Relisant fréquemment la prophétie d’Isaïe (7-14), Voici que la Vierge sera enceinte et enfantera un Fils auquel Elle donnera le Nom d’Emmanuel (ce qui signifie « Dieu est avec nous »), elle s’enflammait d’un amour zélé pour ce Messie attendu, mais aussi pour cette « Vierge » qui allait Le concevoir et L’enfanter. Elle méditait sur la grandeur d’une telle dignité : être la Mère de l’Emmanuel, du Fils de Dieu ! Une Vierge-Mère ! Quel mystère ineffable ! Elle avait compris à la lecture des prophéties que la venue du Messie était proche, puisque le sceptre avait été repris à Judas (Gen.49, 10), et que les semaines de Daniel étaient écoulées (Dan.9). Elle sentait que la Vierge sur laquelle Isaïe prophétisait était déjà là, et son coeur poussait de grands soupirs : si seulement Dieu pouvait la rendre digne de voir cette Vierge, et, peut-être même, d’être la dernière de ses servantes...
Il advint qu’une nuit, derrière le second voile du temple, alors qu’Elle se tenait dans une prière ardente pour le traditionnel office de minuit, une grande lumière descendit des hauteurs pour l’inonder de sa présence. Et voici qu’une voix jaillit du milieu de cette lumière : « Tu engendreras Mon Fils ! »
Comment exprimer la joie qui s’empara de la Vierge Toute-Pure ! Quelle ne fut pas sa gratitude envers Dieu son Créateur ! Elle se prosterna jusqu’à terre devant Lui ! Ainsi, le Seigneur avait jeté les yeux sur l’humilité de Sa Servante... Celle qui, par amour pour Dieu, voulait servir la Toute-Pure Mère du Messie, fut jugée digne de devenir cette Mère, et la Souveraine de toute la création !
Ce Mystère lui fut révélé à la fin de son séjour au temple, quelques mois avant ses fiançailles. Elle le garda secret jusqu’à l’Ascension du Christ. Désormais informée que la conception ineffable aurait lieu dans ses entrailles de vierge, elle attendait le moment de sa réalisation.
Sa vie au temple de Salomon touchant à son terme, les sacrificateurs et les prêtres lui ordonnèrent, ainsi qu’à toutes les vierges de son âge, de bien vouloir quitter le lieu saint pour trouver un époux, selon la coutume. Elle objecta que dès sa naissance, ses parents l’avaient consacrée à Dieu seul, et qu’Elle avait offert sa virginité au Seigneur pour toujours. En conséquence, il lui était impossible de s’unir à un homme mortel. Rien ne pourrait contraindre au mariage la Vierge du Dieu Immortel.
Les prêtres furent surpris de la nouveauté d’un tel discours : jamais encore aucune jeune fille n’avait promis d’offrir sa virginité à Dieu pour toujours ! Celle-ci était la première au monde à agir ainsi. Perplexes, les sacrificateurs se consultèrent sur la décision à prendre en pareil cas : d’un côté, ils ne pouvaient pas l’autoriser à demeurer dans le temple du Seigneur et pénétrer derrière le voile intérieur, de l’autre, ils ne voyaient pas comment fiancer une vierge consacrée à Dieu. Comment organiser sa vie de façon agréable à Dieu sans lui donner de mari ? C’était un grand péché que de contraindre au mariage celle qui avait promis à Dieu sa virginité éternelle, et c’était un péché tout aussi grand que de garder dans le Saint des Saints une jeune fille ayant atteint l’âge nubile...
Saint Grégoire de Nysse remarque que « tant que l’enfant était petite, les prêtres la gardaient dans le temple à l’instar de Samuel. Mais quand elle eut atteint l’âge critique, ils durent se consulter sur la conduite à tenir pour ne pas irriter Dieu en quoi que ce soit ».
Saint Nicéphore Calliste, le grand historien de l’Eglise, fait la même constatation : « Lorsque la Vierge eut grandit, les prêtres tinrent conseil pour décider de ce qu’il convenait de faire avec Elle, sans profaner son corps sacré. Ils avaient conscience d’accomplir un sacrilège en unissant à un homme par la loi du mariage Celle qui s’était offerte à Dieu une fois pour toutes. Mais la Loi n’autorisait pas une vierge de cet âge à demeurer dans le Saint des Saints... »
Saint Jérôme raconte qu’en conséquence, « ils s’approchèrent de l’Arche d’Alliance (Plutôt le lieu où fut déposée l’Arche de l’alliance avant sa disparition, c.à.d. dans le Saint des Saints ; or cette Arche sera bientôt remplacée par le corps très pur de la Toute Sainte Mère de Dieu), prièrent avec zèle, et le Seigneur répondit : « Recherchez un homme honorable à qui la Vierge pourra être confiée après le rite du mariage, afin que sous le couvert de l’institution, il soit le gardien de son incorruptible virginité ! Quant à savoir où trouver un tel homme, la volonté du Seigneur fut la suivante : qu’on choisisse dans la maison de David des hommes célibataires de sa lignée, qu’ils déposent leur bâton à l’autel, et qu’on attende qu’un des bâtons fleurisse! » On verrait ainsi clairement à qui confier la Vierge... Ces événements eurent lieu pendant la fête de la dédicace du temple, solennité instaurée par les Maccabées, qui couvrait la période du 25 novembre au 3 décembre. Une multitude de gens affluait au temple en ces jours-là depuis les villes environnantes, et parmi eux, des hommes de la famille de David, parents de la Vierge Marie ».
Le grand sacrificateur Zacharie, père du Précurseur, rassembla (comme le rapporte Georges Kedrine) douze hommes célibataires de la lignée de David, dont le juste Joseph déjà âgé. Il prit leurs bâtons, les déposa à l’autel pour la nuit, et pria ainsi : « Manifeste, Seigneur, l’homme digne auquel il convient de fiancer cette jeune Vierge ! » Au matin, les sacrificateurs entrèrent dans le temple en compagnie des douze hommes et constatèrent que le bâton de Joseph avait fleuri. Selon Saint Jérôme, une colombe se posa même sur le bâton. Dans Sa bienveillance, Dieu voulait donc que la Vierge fût confiée à Joseph.
Certains auteurs rapportent que la Toute-Pure refusa ces fiançailles afin qu’aucune offense ne fût faite à sa virginité. Comme elle s’attristait beaucoup, Dieu lui donna, dans une révélation particulière, l’assurance qu’il convenait bien qu’elle acceptât d’aller vers Joseph, son parent et fiancé. Cet homme, en vérité juste, pieux, et saint, allait être le protecteur et le gardien de sa virginité, sans qu’il fût question d’union charnelle.
Après les fiançailles, Elle quitta le temple, le sacrificateur Zacharie et les autres prêtres. C’est ainsi que Saint Joseph conduisit la Vierge Toute-Pure vers une cohabitation pure et sans tâche, qui n’allait en aucune façon flétrir la fleur de sa virginité. En apparence, il fut un mari, mais dans la réalité, il était le serviteur et chaste gardien d’une vie virginale et pleinement sainte.
Dans la maison de Joseph, la Vierge Toute-Pure ne modifia en rien le genre de vie qui était le sien dans le Saint des Saints. Elle continua à se consacrer à la prière, à la méditation, à la lecture des livres divins, et à un travail manuel approprié. La demeure de Joseph devint pour Elle un nouveau temple de prière qu’elle ne quittait jamais, y vivant dans le jeûne et le silence. Elle ne parlait à personne, si ce n’est aux filles de son fiancé.
Georges Kédrine décrit Marie jeûnant dans la maison de son mari, aux côtés des deux filles de Joseph, auxquelles Elle adressait la parole quand l’occasion l’imposait, et toujours brièvement. Selon le témoignage de Saint Evode, Elle attendit ainsi quatre mois avant que ne sonne l’heure désirée depuis des siècles, l’heure attendue par le monde entier, le début de notre Salut, l’Incarnation de Dieu le Verbe.
Pour cette occasion unique, Dieu dépêcha l’un des esprits qui se tiennent le plus près de Son trône, l’Archange Gabriel, afin qu’il servît le Mystère caché de toute éternité, que les anges mêmes ignoraient. A l’Archange Gabriel fut confiée la mission d’annoncer à la Vierge Toute-Pure l’étonnante conception du Fils de Dieu, Mystère qui surpasse la nature humaine et toute intelligence. Au sixième mois, l’Ange Gabriel fut envoyé par Dieu (Luc1,26). Six mois après la conception de Saint Jean le Précurseur, l’Ange, qui avait annoncé à Zacharie la bonne nouvelle de la naissance de Jean, fut envoyé à la Vierge Toute-Pure pour lui annoncer une autre bonne nouvelle : la conception du Christ. Six mois qui s’écoulèrent afin que le Précurseur pût tressaillir d’allégresse dans le sein de sa mère en entendant arriver la Mère de son Seigneur.
L’ange fut envoyé dans une ville de Galilée appelée Nazareth (Luc 1,26). A cette époque, les habitants de la Galilée était païens, à l’exception de quelques rares israélites. C’est pourquoi les Ecritures ont surnommé la Galilée le pays des gentils. Les israélites méprisaient ce pays, et le considéraient comme le dernier de tous, car son peuple était impie et parlait une autre langue. « Est-ce de la Galilée que le Christ doit venir ? » « Examine et tu verras que de la Galilée il ne sort point de prophète ! » (Jn.7,41&52) D’autre part, Nazareth ne faisait même pas partie des villes de Galilée de quelque importance : « Peut-il sortir de Nazareth quelque chose de bon ? » (Jn.1,47)
Et pourtant, voyez la volonté de Dieu ! Où voulut-Il se trouver une Mère Toute-Pure ? En Judée ? Dans l’illustre ville de Jérusalem ? Non ! Dans la Galilée pécheresse, dans la petite bourgade de Nazareth ! Car Dieu est venu sur terre non pour appeler les justes, mais les pécheurs (Mc.2,17), et pour se réserver une Eglise fidèle au sein des infidèles. Manifestement, Dieu jette Son regard miséricordieux sur les humbles, les rejetés, les humiliés, et non sur les orgueilleux et les glorieux.
Quand Dieu décida d’incliner les cieux pour descendre vers les pécheurs, Il scruta du sommet de Sa gloire les endroits où se tenaient ces derniers. Il observa que les habitants de Jérusalem et de la Judée se croyaient justes et se justifiaient devant les hommes, alors que les galiléens, que tous méprisaient, se considéraient comme les pires des pécheurs. C’est pourquoi Il se détourna de cette Judée faussement sainte pour se rendre dans cette Galilée faussement pécheresse. Il dépassa la grande, l’honorable, la glorieuse Jérusalem, et poursuivit Son chemin jusqu’à Nazareth, la petite, l’inconnue. Il S’y choisit la dernière place et S’humilia, prenant l’aspect d’un serviteur et d’un pécheur.
Nazareth était petite, mais de quelle grande grâce ne fut-elle pas jugée digne : (grâce dont furent indignes les villes d’Israël qui s’élevaient jusqu’aux cieux) celle d’abriter la Vierge plus élevée que les Saints Anges, dont le sein est plus vaste que les cieux ! C’est là que Gabriel fut envoyé, c’est là que le Saint Esprit couvrit la Vierge de Son ombre, c’est là que le Dieu-Verbe s’incarna ! Là où se trouve l’humilité, là resplendit la gloire de Dieu. Les villes orgueilleuses sont hostiles au Christ, mais les humbles Lui sont agréables. La petite Nazareth conçut le Christ, mais la fière Jérusalem Le crucifia. La petite Bethléem L’enfanta, et l’imposante Jérusalem chercha Sa mort. Dieu séjourne chez les humbles et s’éloigne des orgueilleux. Il envoya Son ange à Nazareth la méprisée, la misérable, pour y rencontrer l’humble Vierge.
Citons Saint André de Crète : « C’est à l’un des anges les plus éminents que Dieu ordonna d’annoncer le Mystère. Il lui déclara majestueusement :
- Ecoute, Gabriel ! Rends-toi à Nazareth, en Galilée ! Là-bas réside une jeune Vierge dénommée Marie. C’est la fiancée d’un homme du nom de Joseph. Va ! Pars pour Nazareth !
- Qu’y ferai-je ?
- Le Tout-Puissant veut y cueillir la beauté de la virginité, agréable entre toutes, la rose parfumée du pays des épines ! Va à Nazareth, et accomplis la prophétie qui dit : Il sera appelé Nazaréen !
- Qui donc ?
- Celui que Nathanël nommera par la suite Fils de Dieu et Roi d’Israël !
Et voici Gabriel, le serviteur des divins Mystères, de nouveau en mission ! C’était pour lui une longue habitude, comme l’a clairement montré le prophète Daniel.
- Pars pour Nazareth en Galilée, et en arrivant là-bas, offre tout de suite à la Vierge la joie de l’Annonciation, cette joie qu’Eve a perdue jadis ! Sois attentif à ne pas la troubler ! Que ton arrivée soit un signe de joie, non de tristesse ! Offre-lui la consolation d’un compliment, non le trouble !
Quelle plus grande joie pour le genre humain que de voir sa nature n’en faire plus qu’une avec Celle de Dieu, par l’union des deux en une seule Personne ? Quoi de plus étonnant que de voir Dieu s’humilier au point d’être porté dans le sein d’une femme ? Ô ! Quelle stupeur pour chacun ! Dieu, qui a le ciel pour trône et la terre pour marchepied, que les cieux ne peuvent contenir, qui partage seul avec Son Père le trône d’éternité, contenu dans le sein d’une Vierge ! Rien ne peut susciter davantage l’étonnement que de voir Dieu devenir homme, sans se séparer de Sa divinité ! La nature humaine s’unit à son Créateur et Dieu devient homme parfait !
Après avoir entendu cela, après avoir reçu de Dieu ce commandement qui dépassait ses forces, après avoir éprouvé tour à tour perplexité, joie, et crainte, Gabriel se crut incapable d’une telle mission. Pourtant, il ne sut pas désobéir à Celui qui ordonnait. Aussi s’envola-t-il vers la Vierge. Parvenant à Nazareth, il s’arrêta près de la maison et, perplexe, s’interrogea :
- Comment entreprendre ce que Dieu m’a ordonné ? Entrerai-je promptement ? Je troublerai les pensées de la Vierge ! Irai-je plus lentement ? Elle percevra ma présence et voudra se cacher ! Frapperai-je à la porte ? A quoi bon : ce n’est pas le propre des anges que rien ne peut empêcher d’entrer ! Ouvrirai-je la porte ? Mais il m’est facile d’entrer même si la porte est fermée ! Appellerai-je la Vierge par son nom ? Je lui ferai peur... J’agirai donc selon la volonté de Celui qui m’a envoyé, en douceur !
Par quels mots commencerai-je mon discours ? Lui annoncerai-je la bonne nouvelle dès le début ? Lui dirai-je que le Seigneur, l’Esprit Saint viendra sur elle ? Que la puissance du Très-Haut la couvrira de Son ombre ? Non ! D’abord je lui dirai la joie. Et seulement ensuite je lui dévoilerai le merveilleux Mystère.
M’approchant, je la saluerai, et je chanterai ces paroles : réjouis-toi, sois dans l’allégresse, reçois la consolation ! Voilà le début qui convient à une telle audace ! Cette salutation joyeuse et ces paroles seront pour moi un bon moyen de m’approcher et de m’entretenir avec Elle sans l’effrayer, en apaisant ses pensées ! C’est donc ainsi que je vais commencer : d’abord, la nouvelle de la joie, de l’allégresse ! C’est ainsi qu’il convient de saluer une reine ! Toute cette affaire est joyeuse, c’est un temps de réjouissance, le règne de la paix, le conseil du salut, les prémices de la consolation.
C’est ainsi que l’ange pensait... »
Voyez avec quelle révérence l’archange s’approche de la Vierge divine, avec quelle crainte et quel respect il entreprend d’aborder la Souveraine du monde entier ! Voyez comme il s’exerce à lui dire les paroles de joie ! Mais il y a encore bien d’autres sujets d’émerveillement : remarquons qu’il ne l’a pas trouvée en dehors de sa maison ou de sa chambre, sur une place de la ville, au milieu du peuple et des conversations séculières, qu’il ne l’a pas trouvée non plus à réfléchir dans sa chambre à une cause mondaine ! Il l’a trouvée dans le silence, la prière et la lecture. Les icônes de l’Annonciation ne la représentent-elles pas parfois devant un livre ouvert, à l’étude, les pensées tournées vers Dieu ?
Une pieuse tradition répandue chez ceux qui méditent toujours les choses divines rapporte qu’au moment où le messager céleste s’approcha d’elle, la Toute-Sainte avait à l’esprit les paroles du prophète Isaïe citées plus haut : Voici que la Vierge sera enceinte... Elle y réfléchissait, se demandant quand et comment auraient lieu cette conception et cette naissance, inhabituelles pour la nature virginale. Informée par une révélation divine, comme il a été dit plus haut, que ce n’était pas une autre vierge mais elle-même qui serait la servante du Mystère et la Mère du Messie attendu, elle brûlait pour Dieu son Créateur de l’amour des séraphins, implorait Sa bonté d’accomplir promptement Sa promesse, et répétait sans se lasser :
- Quand donc viendra le moment tant désiré ? Quand mon Créateur inclinera-t-Il les cieux pour descendre faire Sa demeure en moi ? Quand acceptera-t-Il de prendre chair de mon sein ? Quand connaîtrai-je la béatitude d’être la Mère de mon Dieu ? Dans l’attente, mes larmes sont mon pain jour et nuit !
Comme un bref délai peut sembler long à celle dont le désir atteint une telle ferveur ! La Toute-Pure méditait et priait dans le secret de son coeur le Seigneur Sabaoth. Ses pensées s’envolaient vers Dieu, et son amour ardent montait comme une flamme...
C’est alors que le messager céleste, l’archange Gabriel, s’approcha d’elle doucement, comme le décrit Saint André : « Il entra dans la maison, s’avança vers la chambre intérieure où demeurait la Vierge, s’approcha petit à petit des portes, et, une fois à l’intérieur, s’adressa à la Vierge d’une voix douce :
- Réjouis-toi, pleine de grâces, le Seigneur est avec toi ! Celui qui était avant toi est à présent avec toi, et bientôt, sortira de toi !
Avant, c’était avant le temps, à présent, c’est dans le temps ! Ô, amour sans mesure de Dieu pour l’homme ! Ô, miséricorde ineffable ! Il ne suffisait pas que l’ange manifestât une simple joie, il fallait encore qu’il exprimât la joie du Créateur qui s’apprête à descendre dans le sein de la Vierge. Le Seigneur est avec toi ! Voilà la présence royale ouvertement manifestée ! Tout en prenant de la Vierge un corps d’homme, Dieu ne s’est en rien éloigné de Sa gloire naturelle ! Réjouis-toi, pleine de grâce, le Seigneur est avec toi ! Réjouis-toi, instrument de joie, digne de tous les honneurs ! Par toi le coup porté par la triste malédiction se change en un joyeux édit d’allégresse ! Réjouis-toi, car en vérité, Tu es bénie ! Réjouis-toi, Vierge exquise ! Réjouis-toi, temple merveilleux de la gloire céleste ! Réjouis-toi, palais sanctifié du Roi ! Réjouis-toi, chambre nuptiale dans laquelle le Christ se fiance, et épouse l’humanité ! Tu es bénie entre toutes les femmes, toi qu’Isaïe a vue de ses yeux de Prophète, toi qu’il a nommée prophétesse, vierge, livre mystérieusement scellé ! Tu es bénie, en vérité, toi qu’Ezéchiel a appelée étoile du matin et porte fermée par laquelle Dieu seul est passé ! Tu es bénie, en vérité, toi que l’homme des désirs et le merveilleux Habacuc ont nommée montagne ombragée, toi que le roi David ton ancêtre a chantée comme la montagne de Dieu, la montagne fertile, la montagne féconde sur laquelle Dieu a bien voulu habiter ! Tu es bénie entre toutes les femmes, toi que Zacharie, qui contempla jadis les mystères divins, vit comme un chandelier d’or surmonté d’un vase à sept lampes : les sept dons du Saint Esprit ! Tu es bénie en vérité, car à l’instar du Paradis, tu loges en toi le Christ, nouveau jardin d’Eden, qui, dans sa puissance ineffable, jaillit de ton sein comme une rivière d’eau vive, pour abreuver la face de la terre de ses quatre sources évangéliques ! »
Entendant la salutation de l’ange, la Vierge Toute-Pure se troubla. Que pouvaient bien signifier de telles paroles ? Elle se troubla sans s’effrayer, car cette déclaration soudaine n’avait rien de vraiment nouveau. Pourquoi s’effrayer de la présence d’un ange, quand on a connu son amitié dans le Saint des Saints, quand on a reçu de ses mains sa nourriture quotidienne, comme le rapporte Saint Germain. Elle se troubla, et fut quelque peu surprise, car jamais elle ne l’avait vu avec un visage si radieux. Jamais il n’avait parlé en suscitant une telle joie, jamais il ne l’avait saluée en la plaçant dans le choeur des femmes, elle la Vierge. Elle se troubla dans sa chasteté, mais elle se montra courageuse, raisonnable et sensée.
- Que signifie une telle salutation ? Par quels mots l’ange va-t-il poursuivre son discours ? Me conduira-t-il encore dans le temple du Seigneur, m’apportera-t-il quelque nourriture céleste ? M’annoncera-t-il du nouveau de la part de Dieu ? M’enseignera-t-il comment la Vierge concevra et enfantera un Fils, à moi qui reste toujours perplexe à ce sujet ? Où va cette salutation ?
- Ne crains pas Marie ! Ne mets pas en doute la prophétie d’Isaïe ! Tu es bien la Vierge qui a obtenu la grâce de concevoir sans semence l’Emmanuel, et qui l’enfantera ineffablement, comme Il le sait Lui-même ! Tu as trouvé grâce auprès de Dieu pour tes nombreuses vertus, et surtout par les trois plus exquises : ta grande humilité, car Dieu donne sa grâce aux humbles, Lui qui a dit : « Sur qui porterai-je mon regard, si ce n’est sur le doux et sur l’humble ? »; ta pureté virginale, car Dieu qui par nature est Pureté cherche à naître d’une Vierge Toute-Pure et incorrompue; ton amour ardent pour le Seigneur qui a dit « J’aime ceux qui M’aiment et ceux qui Me cherchent me trouvent ». Tu L’as aimé, tu L’as cherché de tout ton coeur, et tu as trouvé grâce auprès de Lui. Tu enfanteras un Fils, non un simple fils, mais le Fils du Très-Haut, Dieu de Dieu engendré sans mère par le Père avant les siècles, et enfanté sans père à la fin des siècles par toi, Vierge-Mère. Le Nom de Celui que tu enfanteras est merveilleux et ineffable : tu l’appelleras Jésus c’est-à-dire Sauveur, car Il sauvera le monde entier. Son règne sera bien plus glorieux que celui de Son ancêtre David, et que tous ceux des rois de la maison de Jacob. Son Royaume ne sera pas temporel mais éternel, il ne connaîtra pas de fin dans les siècles des siècles.
- Comment cela se fera-t-il, puisque je ne connais point d’homme ?
N’allons pas penser que la Toute-Pure Vierge ait douté de ce que l’ange lui disait ! Sur Elle reposait la grâce de Dieu, Qui l’avait déjà prévenue de cet enfantement dans le temple. Ce qu’elle ignorait, c’était le comment... De quelle façon une vierge allait-elle enfanter sans avoir connu d’homme ? Contemplant cet entretien, Saint Grégoire de Nysse mit sur ses lèvres ces mots : « Ô ange ! Dis-moi comment se fera cette naissance ! Tu trouveras ensuite mon coeur prêt à accomplir la volonté de Dieu ! Je désire porter ce Fruit, mais sans que ma virginité n’en prenne ombrage ! »
Saint Ambroise aussi comprit qu’Elle interrogeait l’ange sur le comment de cet événement indicible, Elle qui connaissait pour les avoir lues les paroles prophétiques d’Isaïe.
Alors l’ange répondit et expliqua comment ce ferait la conception : non selon la loi de la nature, non selon la manière habituelle chez les hommes, mais d’une façon surnaturelle, car quand Dieu le veut, l’ordre naturel est vaincu. Ce serait une conception effectuée par l’Esprit Saint ! L’Esprit Saint viendra sur toi, et la puissance du Très-Haut te couvrira de son ombre, Il accomplira en toi l’inconcevable ! Lui qui a pu créer Adam-le-vivant de la terre sans vie, comment ne pourrait-Il pas tirer un Enfant vivant d’une Vierge vivante ? S’il était facile à Dieu de faire apparaître une femme de la côte d’Adam, ne Lui sera-t-il pas plus facile encore de faire apparaître un homme dans le sein d’une Vierge ? L’Esprit Saint agira en toi, ô Vierge Toute-Sainte, et dans la chair de tes chastes entrailles se formera sans semence la chair du Verbe Incorporel de Dieu. Le Seigneur passera par toi, porte scellée par la pureté et gardée par la virginité, comme un rayon de soleil franchit le verre ou le cristal. Il te sanctifiera et t’éclairera de Sa gloire divine, afin que tu sois véritablement la Mère de Dieu, celle qui enfantera le Dieu parfait et l’homme parfait, qui demeurera vierge et incorrompue avant, pendant et après la naissance. Voilà ce que la puissance du Très-Haut accomplira en toi par la venue de l’Esprit Saint !
Dieu a déjà montré un signe authentique : ta parente Elisabeth, stérile depuis son plus jeune âge et chargée d’années, a conçu un fils, car Dieu l’a voulu ainsi, Lui qui rend l’impossible possible ! Il est inconcevable chez les hommes qu’une vierge incorrompue et sans mari conçoive, et qu’une vieille femme stérile puisse enfanter, mais pour le Créateur Tout-Puissant, tout est possible ! Qu’y a-t-il de trop merveilleux pour Dieu ? Une vieille femme stérile a conçu, et toi, bien que vierge, tu concevras aussi !
Ayant entendu la bonne nouvelle de l’ange, la Toute-Pure accepta la volonté du Seigneur avec profonde humilité. Le coeur plein d’amour pour Dieu, elle répondit : Je suis la servante du Seigneur, qu’il m’advienne selon ta parole !
Et aussitôt, l’Esprit Saint opéra dans les saintes entrailles la conception ineffable ! Le plaisir charnel n’eut aucune part dans cet événement indicible, mais le plaisir spirituel surgit en force. Le coeur virginal fondit sous le désir divin. L’esprit de la Toute-Pure brûla de l’amour enflammé des séraphins, comme s’il quittait sa personne pour s’absorber en Dieu par amour de Lui, et se réjouir indiciblement ! C’est dans l’amour spirituel de Dieu, dans la jouissance occasionnée par la vision spirituelle du Créateur, que fut conçu le Fils de Dieu, que le Verbe assuma la chair, et prit place parmi nous par l’Incarnation !
Après avoir annoncé la bonne nouvelle, selon le commandement de Dieu, et salué avec crainte et révérence, tant le Dieu qui s’incarnait, que le sein virginal de celle qui L’incarnait, l’ange retourna près du trône du Seigneur Sabaoth pour louer le Mystère de l’Incarnation avec toutes les puissances célestes dans une joie ineffable, pour les siècles des siècles. Amen.

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