samedi 10 janvier 2009

DE LA SOLITUDE UTILE A L'AME




Aujourd'hui, j'ai pleuré en songe...
Mon Seigneur, accorde-moi d'être seul, afin de trouver le salut dans la crainte de Dieu ! L'instinct grégaire m'entraîne, et je ne puis trouver la crainte. Nos lèvres sont avec nous, qui est notre maître ? (Ps.11,5). Nous sommes comme des fourmis tombées à l'eau qui s'accrochent l'une à l'autre et périssent. Il n'y a ni intelligence ni crainte de Dieu chez les êtres déchus, c'est pourquoi, pour commencer son salut, il faut comprendre qu'est bienheureux, l'homme qui ne s'en est pas allé au conseil des impies (Ps.1,1). Nous sommes tous déchus, nous ne vivons pas selon la loi du Seigneur, nous nous contentons uniquement de désirer être sauvés... Bienheureux celui qui se complaît dans la Loi du Seigneur et médite Sa loi jour et nuit (Ps.1,2) : comment ? En combattant l'instinct grégaire des êtres déchus, en s'isolant, autant extérieurement qu'au plus profond de son âme, en gardant en permanence la solitude intérieure. C'est ainsi qu'il faut vivre pour ne pas perdre la crainte de Dieu. Celle-ci naît dans la solitude lors de l'approche du Seigneur, du Saint qui s'avance comme du feu, consumant devant Lui tout ce qui est impur et insolent. Pris dans le vertige général, les êtres déchus ne perçoivent pas cela; ils se précipitent l'un l'autre dans le fossé, selon la vision de saint Pachôme.
Il y a l'amour au Nom du Christ, celui que l'on se doit d'accomplir par les oeuvres à cause du commandement. Il y a aussi l'amour qui permet de tendre vers le Christ et de Le connaître par la communion spirituelle avec des gens du même esprit en Christ. Il y a encore l'amour-affinité, qui aboutit à une union intérieure par amitié spirituelle, mais qui, chez des âmes qui n'ont pas encore atteint une vie spirituelle véritable, commence par le spirituel et passe ensuite à un état inférieur par défaut du spirituel et, à cause de l'affinité et de l'union intérieure qui s'est formée, attire les deux âmes dans le fossé.
La solitude est préférable. Elle dégage de l'ivresse des influences réciproques. Alors apparaît la pensée de Dieu chez celui qui cherche le salut, et avec elle la crainte de Dieu et ce labeur purificateur qu'apporte l'espérance dans la miséricorde divine. Alors s'amorce la marche en avant vers le salut. Je souhaite aussi tout cela pour mon ami, et je lui en laisse la possibilité en m'éloignant de lui pour notre manque de maturité. La solitude est utile, je la désire. Je m'éloigne des hommes, pour nous éviter de nous noyer ensemble comme ces fourmis, à cause de nos affinités. La solitude conduit au travail salutaire commandé par les pères pour le salut.
La solitude me permet de revenir à moi, de me retrouver devant le Seigneur, dans la crainte de Dieu. J'y entreprends avec vigilance l'oeuvre de purification de mon coeur. Puis-je parvenir à la solitude intérieure afin que l'oeuvre du solitaire s'accomplisse en moi !
La vie dans la solitude de l'hésychia a, sans nul doute possible, ses règles et sa pratique. Il est insensé de vouloir suivre scrupuleusement cette pratique tout en se tournant simultanément vers la vie communautaire. Sinon, à quoi bon avoir quitté la société des hommes ? Pour aller chercher quoi ? Est-ce que les pères n'ont pas vécu dans l'hésychia ? Et qu'y ont-ils fait ? L'oeuvre de la vie communautaire ? La foi t'a fait sortir pour oeuvrer à la purification à laquelle tu es appelé : va donc seul vers le Seigneur et dévoile-toi devant Lui ! Ne renie pas tout cela sous prétexte de raisonner les autres, au risque de mettre un terme à ta propre course et de t'endurcir ! Nous ne devrons pas rendre de comptes pour les autres. Nous ne devrons pas répondre du fait qu'ils aient tardé, mais de ce que nous-mêmes, après avoir perçu et compris l'appel, nous ayons tardé. Nous avons tous été appelés, nous avons tous eu la révélation. Chacun doit accomplir son oeuvre selon son état et sa mesure. Si quelqu'un n'accomplit pas son oeuvre, comment s'approchera-t-il ? Celui qui se préoccupe des autres ne fait que retarder l'accomplissement de son oeuvre.
Le Seigneur est venu pour nous hommes, et pour notre salut. Il veut que chacun vienne vers Lui individuellement. et non pas que chacun appelle son voisin et s'abstienne d'aller vers Lui. Une telle attitude est pour Lui d'une grande inutilité. Si tu désires véritablement attirer les autres vers Dieu, tu ne pourras pas le faire mieux que par ton exemple. Sauve-toi toi-même et des milliers seront sauvés autour de toi, en te voyant trouver concrètement le salut. N'est-ce pas ce genre d'exemple qu'ont toujours montré les pères ? Celui qui a déjà parcouru une partie du chemin est capable de l'indiquer aux autres, mais celui qui n'a pas encore avancé et appelle néanmoins les autres piétine sur place.
Seigneur, Seigneur, nous avons été avisé que c'est l'effort qui sauve l'homme déchu, nous savons aussi de quel effort il s'agit, et c'est justement l'effort qui nous fait défaut. Que faire? Allons-nous instaurer une autre loi pour notre salut ? Allons-nous chercher le salut en contournant l'effort que Dieu nous a indiqué par les pères ? Tout ce qui est nécessaire à notre salut nous a été donné, l'aide du Seigneur nous attend: il ne nous reste qu'à fournir l'effort requis. Tout tient dans la pratique. C'est pour cela qu'il est dit : Serviteur méchant et paresseux... et la suite. Le serviteur paresseux contourne l'effort et cherche à la place à beaucoup raisonner. Comme tout cela est vain.
Celui qui fait l'oeuvre de la foi est simple, il ne recherche pas tous ces raisonnements inutiles, car il acquiert la sagesse véritable, celle de l'effort. C'est pour cela qu'existe la solitude de l'hésychia. Si la vie communautaire ne permet pas l'effort salutaire, si même elle détourne l'homme de cet effort, alors c’est qu’il faut partir faire son devoir dans la solitude. Le chemin est long ! Chaque journée qui passe n'offre pas trop de temps pour réussir !

LE COMMENCEMENT DU SALUT, C'EST LA LIBERTE QUI RECHERCHE L'ATTENTION.

Pourquoi restons-nous de si longues années sans nous amender ? Nous n'aurions jamais cru celui qui nous aurait dit qu'en quarante ans, nous n'avancerions pas d'un pouce. Comment est-ce possible ? C'est que nous n'avons pas de vie intérieure ; nous continuons à mener une vie extérieure, toujours identique, non purifiée. Nous nous tenons éloignés de la vie intérieure, sans faire l'effort de nous purifier et de nous régénérer. Nous ne nous scrutons pas et nous n'utilisons pas les moyens qui nous conduiraient à la purification et à la régénération.
Dans notre âme, l'esprit vit séparé du coeur, chacun de son côté. Si l'esprit était attentif, il pourrait se purifier par le Nom du Seigneur ! Au lieu de cela, il erre dans le monde entier. Le coeur, comme un jardin négligé, produit épines et mauvaises herbes, pendant très longtemps. Souvent, de grands changements se produisent dans notre âme, mais nous ne les remarquons même pas, nous la croyons immuable, et nous fondons notre vie sur cette erreur. Si nous ne remarquons pas ces grands changements, alors que dire des petits changements dont cherche à se purifier par l'attention celui qui mène une vie intérieure ? Voilà comment nous restons infructueux pendant tant d'années.
L'esprit erre sans écouter le coeur, sans voir la vie intérieure. Il n'oeuvre pas dans cette vigne, dans ce potager perpétuellement abandonné. C'est toute une affaire de garder l'esprit attentif. L'esprit ne joue pas son rôle, il ne monte pas la garde, il ne fait pas son travail. Qui d'autre que lui accomplira cette tâche qui est la sienne ? Voilà comment on laisse passer quarante années sans donner de fruits. !
Comprends de quels changements je veux parler ! Ignorais-tu cela il y a quarante ans ? Ne remarquais-tu pas quand et comment tu perdais l'unique nécessaire ? Ne voyais-tu pas s'opérer les changements en toi ? Tu ne réalises pas de quoi tu te prives et tu restes étranger à toi-même ! Quelle pourrait bien être ta réussite ? Comment ne pas être un étranger pour toi-même quand tu ne vois pas ton état intérieur ? Oui, un étranger.
Qu'y a-t-il de plus élevé que le salut pour un croyant ? Le commencement du salut, c'est de donner l'accord de sa liberté au Seigneur quand il appelle secrètement. Ceci est vrai. La liberté doit s'unir à la grâce depuis le commencement du salut jusqu'à son aboutissement dans la vie éternelle. Comment voit-on en soi la possibilité du salut, qu’est-ce qui nous pousse intérieurement à aller vers ce salut? Ecoute ! La liberté doit diriger l'attention vers tout ce qui est salutaire, vers Dieu, vers Ses paroles, vers les offices divins, vers les sacrements et vers la pratique intérieure (les derniers seront les premiers). La liberté, c'est lorsque notre je fais ce que je veux veut chercher le salut. C'est à cela que Dieu nous appelle. Alors, notre je fais ce que je veux obéit à Dieu et à la conscience qu'Il nous a accordée, et il évite ainsi l'arbitraire pernicieux du diable. Le vase se trouve alors rempli de la volonté de Dieu, c'est-à-dire de l'oeuvre du salut.
Voilà donc comment le germe du salut se trouve entre les mains de l'homme lui-même. La liberté, instruite par Dieu (qui enseigne à l'homme la raison), doit diriger l'attention là où il convient. Ensuite, elle poussera les pensées, les désirs et les sentiments à s'abreuver du salutaire et de ce qui est agréable à Dieu, et à éviter les passions. Tout dépend donc de la direction que prend l'attention. Voilà le chemin du salut, la préparation de l'âme au départ, une route sûre pour l'éternité, comme l'a montré ce vieillard qui sourit trois fois avant sa mort.
Tu vois, homme, qu'il ne s'agit pas pour toi d'oeuvres, d'exploits ou d'objectifs que tu te serais fixés toi-même, car, quand l'essentiel est oublié, toutes ces choses tombent en poussière. Le fondement du salut dans le Seigneur n'est pas là, il est dans l'attention dirigée par la liberté que Dieu a instruite. Tu sais déjà de l'Eglise et des Pères, c'est-à-dire de Dieu, ce qui est salutaire. C'est dans cette direction que ta liberté doit orienter l'attention, afin qu'elle trouve d'elle-même les pâturages éternels et la source des eaux pures. C'est ainsi que l'âme peut croître vers l'éternité et devenir riche pour Dieu.
Lorsque tu te vois captif des ténèbres, dirige ton attention vers ce qui est salutaire (tu savais fort bien auparavant vers quoi te tourner), vers les paroles de Dieu, vers une vie pratique dans le Seigneur, et l'aube se lèvera sans tarder dans ton âme. Ceci est une règle générale qui s’applique à toutes les situations particulières : la chute, l'oubli, l'enténèbrement si fréquent sur la route du salut, les périodes sombres. La base de tout recommencement ( tu es tombé, relève-toi ! ), c'est de diriger ton attention vers le Seigneur. Par la suite, elle trouvera d'elle-même comment se relever. Le Seigneur a préparé là-bas, dans son trésor, tout ce qui est nécessaire à ton salut, et Lui -même est toujours tout proche, jusqu'à la fin des siècles.
Le salut est loin des pécheurs parce qu'ils n'ont pas recherché Tes jugements (Ps.118,155). Le Seigneur est proche et toutes Ses voies sont vérité (Ps.118,151). Voilà où la liberté doit diriger l’attention. Ce faisant, l'homme va vers le salut, appelé et instruit par Dieu. Dieu rend Lui-même visite aux âmes, Il guide secrètement ceux qui Lui ont fait confiance. Il accorde à l'homme Sa bienveillance, si sa liberté a choisi ce qui Lui est agréable et a dirigé vers Lui son attention. Le reste, c'est l'oeuvre de Dieu ! L'homme doit accomplir ce qui lui revient : se soumettre à Dieu avec confiance et amour, et diriger son attention vers Lui et ce qui vient de Lui.
Le fondement d'une telle orientation de la liberté est donc de diriger en permanence son attention vers ce qui est salutaire et agréable à Dieu. Quelle est la foi du Nouveau Testament révélée par Dieu ? Cette foi, c'est que notre Seigneur Jésus-Christ est Dieu. Il faut donc placer en Lui la confiance d'un amour soumis. Voilà d'où vient la libération : choisir ce qui vient de Lui, et diriger l'attention vers tout ce qui est salutaire.
Lumière de Lumière ! Vrai Dieu de Vrai Dieu, consubstantiel au Père ! Tel est le cri que Lui adresse le coeur joyeux ! Confions nous nous-mêmes les uns les autres et confions toute notre vie au Christ notre Dieu. !
La prière de Jésus, c'est cela. Elle concrétise dans l'intimité d'une âme ardente l'oeuvre du salut accomplie dans son sens véritable, celui qui répond à l'état et aux besoins de l'homme déchu. L'appel de Dieu uni à l'élan de l'âme vers Lui, c'est l'unique nécessaire. Quand la liberté oriente l'attention vers la prière de Jésus, le coeur trouve sa pratique.
Si l'on scrute dans le silence et l’impartialité l'essence même de la vie de l'homme sur la terre, si l'on s'inquiète de ce qui est véritablement nécessaire à sa vie intérieure, alors on voit qu'il n'y a rien de plus utile pour lui que d'adopter la pratique appropriée à son état, c'est-à-dire la prière de Jésus. Voilà l'oeuvre véritable de l'homme. Quant au don de Dieu nécessaire à l'homme déchu, c'est la Sainte Communion.

LA PRIÈRE DE JÉSUS

La prière de Jésus exprime avec concision et exactitude le besoin véritable de l'homme. Paradoxalement, tout en exprimant le besoin, elle contient la réponse. Si le fidèle pouvait la garder en permanence, elle suffirait à remplacer toutes les autres oeuvres salutaires. S'il se trouve que dans la pratique, l'homme a besoin d'autre chose, c'est à cause de sa maladie intérieure qui l'entraîne vers la distraction. Mais néanmoins, en dépit de cela, la prière de Jésus reste le moyen le plus sûr pour répondre au besoin de l'homme déchu, elle est le remède parfaitement approprié à sa maladie. Pendant la Sainte Cène, le Seigneur l'a accordée à ceux qui L'aimaient comme la couronne de Ses dons, comme le plus court et le plus nécessaire des chemins de l'âme vers Lui. Tout ce que vous demanderez en mon Nom, Je le ferai (Jn.14,13).
Ceux qui croient en Jésus et qui L'aiment sont justement ceux qui sont prêts à se limiter à l'unique nécessaire. Ceux-là ont assimilé par la pratique les nombreuses oeuvres préparatoires, écartant ainsi la distraction. La prière de Jésus a été donnée à ceux qui, pour leur foi et leur amour, sont capables de soutenir la présence du Seigneur. Ils limitent à elle seule leur pratique, et c'est justement ce qu'elle exige d'eux. Elle est le plus court chemin vers Dieu pour tous les êtres terrestres déchus.
Mais attention à ne pas tout embrouiller ! Une chose est le plus court chemin, autre chose est le plus abordable ! Le chemin le plus abordable s'offre à tous, mais le plus court est destiné à ceux qui, à cause de leur foi et de leur amour pour le Seigneur, ont assimilé les nombreux degrés préparatoires de la pratique pour s'asseoir à Ses pieds comme Marie. Les degrés sont nécessaires à ceux qui manquent de foi et d'amour pour se consacrer uniquement au don que le Seigneur leur a fait, car ces degrés comblent leurs insuffisances. Pourtant, même sur ces degrés, plus la foi et l'espérance dans le Seigneur sont grandes, plus il est facile de brûler les étapes pour se limiter à l'essentiel qu'est la prière de Jésus. Alors apparaissent les dons particuliers et la vie des héritiers de la justice, ceux qui touchent l'Intouchable dans un contact ineffable. Il n'y a pas ici de partialité : tout dépend de la qualité de l'élan qui répond à l'appel du Seigneur, de l'état et des capacités de chacun.
Pour celui qui s'est enflammé pour le Seigneur, il n'y a pas de meilleure pratique que la prière de Jésus, par laquelle l'esprit vit en Dieu. Mais il y a aussi une réponse pour ceux dont l'esprit s'enflamme seulement par intermittence. Cette réponse est la même : la seule prière de Jésus. On se souviendra ici de la vision de Saint Macaire le Grand concernant deux moines. Chez l'un, la prière montait par moments vers Dieu comme des cierges de feu, chez l'autre, c'était une corde de feu ininterrompue.
Mais encore une fois, je répète : réfléchis soigneusement et tu verras qu'aucune activité humaine n'est plus nécessaire que la prière de Jésus. Elle s'adresse précisément à l'homme déchu, appelé à monter au ciel en dépit de la chute. Si quelqu'un Me sert, qu'il Me suive ! (Jn.12,26). Vous n'êtes pas de ce monde comme Je ne suis pas de ce monde (Jn.17,14). Tel est l'appel ! Et quel est le don correspondant à cet appel ? C'est le Nom du Seigneur ! Dieu accorde à dessein cette force particulière pour purifier et protéger celui qui se dirige vers Lui avec foi et amour.
L'homme sans Dieu n'est que terre, poussière et perdition, un captif qui pourrit ! Voilà pourquoi il n'y a rien de plus sûr que la prière de Jésus. Voilà l'oeuvre glorieuse de notre Dieu ! Voilà un don à la mesure de Sa grandeur indicible, une force qui conduit du fond de la corruption à Son trône de gloire ! Qui est grand comme notre Dieu ? Alors, pauvre créature, fais donc preuve de magnanimité ! Le don est grand et la vertu est belle, Dieu ne donne pas l’Esprit avec mesure (Jn.3,34), réponds-Lui en enflammant ton esprit ! En premier lieu, par l'humilité, ensuite en te remettant avec confiance à Sa sainte et salutaire volonté. Tu ne peux rien faire d'autre, et d'ailleurs rien d'autre n'est exigé de toi ! Dieu te veut purifié, libéré de la captivité terrestre, sanctifié par la force de Son Nom. Reçois donc ce don, et agis. !

LA COMPATIBILITÉ DE LA PRATIQUE EXTÉRIEURE AVEC LE SOUVENIR DE DIEU

L'homme peut vivre avec Dieu, il peut aussi vivre sans Lui, et c'est ainsi pour la plupart des gens. Pour vivre avec Dieu, il faut le bon vouloir de Dieu Lui-même, en plus de celui de l'homme. Dans la pratique, les circonstances et les conditions de vie semblent être ou bien propices, ou bien défavorables à cette vie avec Dieu. Mais en réalité, ceci n'est pas important; ce qui est important, c'est la disposition intérieure de l'homme, son désir et la direction qu’il donne à sa vie.
Pour pouvoir vivre avec Dieu, il faut Lui ménager une place dans sa vie, oui, Lui trouver une place. Chaque homme a des occupations, sa vie en est même remplie. Mais si, en dépit de cela, il souhaite vivre avec Dieu, il doit commencer par unir le souvenir de Dieu à ses actes. Celui qui veut faire ainsi le peut. Mais il en est qui n’y pensent pas ou ne le veulent pas. C'est ainsi que deux personnes peuvent vivre l'une à côté de l'autre, accomplir les mêmes tâches, évoluer dans les mêmes conditions, et pourtant emprunter des voies opposées, l'une sans Dieu et l'autre avec.
Il faut donc en premier lieu désirer ! Mais on va rétorquer que l'homme est submergé par ses occupations extérieures, qu'elles le tiennent en captivité, qu'elles sont importantes et urgentes, que ses aînés et ses chefs exigent sans tarder une perfection infaillible, qu’il y a les besoins personnels, les parents. Tout ceci résiste au souvenir de Dieu. Comment donc vivre avec Dieu dans ces conditions ?
Il faut avant tout se fixer comme but de conquérir cette liberté qui permet de garder en soi le souvenir de Dieu à tout prix. C’est le devoir de l'homme, juste devant Dieu et réalisable en toutes circonstances. Approfondis cette question et tu verras ! Les obstacles sont illusoires. Si les débuts sont difficiles par manque d'habitude, le souvenir de Dieu n’est nullement une perturbation. Rien de tel !
Celui qui désire vraiment se souvenir de Dieu réfléchira à la question et trouvera par lui-même le moyen d'accomplir la chose. Il verra avec étonnement que le souvenir de Dieu l’aide beaucoup en toute circonstance, qu’il le rend plus paisible et même plus efficace. La vie devient alors plus joyeuse ! Et comme dit le psaume : Je mets le Seigneur constamment sous mes yeux...aussi mon coeur est dans la joie (Ps.15,8-9).
Avec le souvenir de Dieu, les préoccupations extérieures commencent à quitter l’âme, et il devient possible de trouver une place pour Dieu dans ses actes, et ainsi de vivre avec Lui malgré les soucis.
Comment réaliser cela pratiquement ? Commence par te souvenir de Dieu, ensuite viendront les sentiments du coeur correspondants; sans sentiments l'homme ne peut pas vivre. Sois attentif à toi-même ! Tout au long de ta vie, tu vois des sentiments traverser ton coeur; ils bougent en toi, vivent, changent, accompagnent tes occupations et participent à ta vie. Ces sentiments peuvent être agréables ou désagréables, ils traduisent l'irritation, la joie, la tristesse, l'envie, l'attirance ou la répulsion. Tout ceci est bien réel, ce n'est pas de l’imagination. Or, il se trouve que parmi ces sentiments, certains sont liés au souvenir de Dieu : ce sont la crainte de Dieu, la foi, la piété, la gratitude envers Dieu (Comme Il supporte les grands pécheurs que nous sommes ! ), la confiance en Dieu, la disposition à nous confier à Lui (Il est bon et miséricordieux plus que la tendresse maternelle : même si une femme oublie le fruit de ses entrailles, Je ne t'oublierai pas !), l'amour pour Dieu, l'espérance, et d'autres encore qui leur sont apparentés. Il faut trouver ces sentiments dans nos coeurs, les dissocier des autres, les cultiver : avec eux viendra le désir de vivre avec Dieu.
Il faudra unir ces sentiments du coeur et le souvenir de Dieu aux oeuvres extérieures. Ce ne sont que des gouttelettes, mais elles parviendront à remplir des vases. En te souvenant de Dieu dans tes actes, aie soin d'avoir aussi les sentiments du coeur appropriés, ce sont eux qui accompliront tes oeuvres terrestres, ils te suivront dans toutes tes occupations et tu commenceras ainsi à vivre avec Dieu.
Le Seigneur veut être avec l'homme, Lui qui a dit: Mon bonheur est parmi les fils des hommes (Prov.8,31), et ailleurs, Je serai leur Dieu et ils seront Mon peuple (Jer.31,33) , et encore, Comme la fiancée fait la joie de son fiancé, ainsi tu feras la joie de ton Dieu (Is.62,5). Le fondement de l'espérance réside justement dans la vie avec Dieu ! L'homme doit coopérer avec Dieu qui veut vivre avec lui, quel que soit son état de chute, quand bien même serait-il faible et désorganisé (Le Seigneur sait tout cela et en tient compte, pour parler de Lui avec un langage humain). Le principal, c'est le désir et l'effort, selon la foi. Le Seigneur se charge de combler les lacunes et d'affermir le reste. Alors, mets-toi au travail et ne perds pas l’espoir !
Tu dois résister à l'invasion des influences extérieures. Il le faut ! Quand tu vaques à tes occupations, ton coeur est asservi ? Libère-le. Le coeur libre est celui qui peut garder constamment le souvenir de Dieu et l'attention aux choses d'en-haut, et ainsi vivre avec Dieu. Ce sont là les premiers pas, quand l'attention et le désir d'être avec Dieu commencent à prendre de la force, puis, petit à petit, à l'emporter sur les séductions et l'asservissement de l'âme aux occupations extérieures. Ces occupations restent présentes mais leur emprise sur l'âme s'affaiblit considérablement, et la vie intérieure finit par l'emporter. Les occupations extérieures cessent de mobiliser toute l’attention et d’étouffer la vie intérieure. Comment cette vie intérieure s'écoulait-elle auparavant ? On l'ignore. Elle grandissait comme un enfant abandonné par ses parents et livré à lui-même. Mais à présent, l'influence de l'extérieur s'étant affaiblie, la vie intérieure occupe la première place. L'homme découvre ainsi concrètement la possibilité de vivre avec Dieu, puisque ses pensées et les sentiments de son coeur sont tournés vers Lui.
Dans cet état, il n'est plus nécessaire de se hâter dans ses occupations, ce qui serait nuisible. Auparavant, les occupations prenaient toute la place ! La vie intérieure n'était qu'un brouillard auquel on ne prêtait nulle attention. Maintenant, les occupations sont comme un rideau derrière lequel se joue l'activité essentielle, la vie avec Dieu, qui apporte joie, allégresse et lumière ! On peut dire alors, comme dans le tropaire de la Nativité de Notre Seigneur: Ta naissance a fait resplendir dans le monde la lumière de la Connaissance.
Pour aller plus loin, on découvre même qu'il est plus difficile de vivre avec Dieu sans les activités extérieures, car l'attention ne trouve plus où se fixer. Chez le débutant, les sentiments pour Dieu et l’attention sont faibles. Ils s'évaporent facilement. L'homme sans activité extérieure se retrouve vite comme une plante déterrée, sans nourriture pour ses racines, il s'affaiblit dans sa vie intérieure et perd la possibilité de vivre avec Dieu. Mais heureusement, Dieu veille: Il donne aux hommes les vanités afin qu'ils ne s'adonnent pas au pire. Par vanités, il faut entendre les activités terrestres accomplies sans Dieu, qui sont préférables aux passions et aux péchés insensés et pernicieux auxquels l'homme déchu est si vite enclin. Cependant, quand les activités terrestres sont accomplies avec la pensée de Dieu dans le but de trouver le salut, elles constituent l'échelle de l'ascension spirituelle.

DE CE QU'IL FAUT SE FORCER A SERVIR DIEU

Bien qu'ils aient reçu du Seigneur beaucoup de moyens, il arrive que les moines ne parviennent pas au salut. S'ils périssent, c'est pour deux raisons :
La première, c’est l'attirance pour le monde, qui relègue l'oeuvre du salut au second plan, et remet à plus tard la vie intérieure, au point qu'elle se cache bien loin et n’est plus du tout le centre de l'attention.
La deuxième, c’est la paresse et la négligence qui rendent les moines indignes du don du salut. L’attirance pour le monde extérieur se change en tiédeur ou en assoupissement spirituel. Un certain brouillard, semblable à l'hypnose, fait son apparition après un bon début, endormant la fraîcheur de l'âme, l'acuité des sens et la force du salut. Ainsi leurrée, l'âme perd la raison et oublie le salut qui s’évanouit devant ses yeux, jusqu'à être masqué par le retour en force des choses du monde.
Dans les deux cas, c’est en fait un seul et même piège. L'âme, sa force, son élan, et sa décision de chercher le salut sont enveloppés par un brouillard qui les entortille de plus en plus. Petit à petit, le salut perd son importance, l'âme se refroidit, et, sans refuser vraiment, elle remet, tombant dans les choses du monde ou dans la paresse
En lisant les pères, en scrutant leur façon d'accomplir leur salut, on constatera que leur démarche est immuable. L'exploit ! Le service de Dieu ininterrompu et sans cesse relancé ! Notre âme est d'accord : oui, cela doit être ainsi ! C'est ce qui convient à des êtres déchus qui aspirent à passer du pire au meilleur.
Pour le croyant, le seul exploit fondamental, c'est de renouveler la fraîcheur de son âme, de comprendre le sens et la puissance du salut. C’est ainsi que l'âme ne s'assoupira pas, qu’elle ne sera pas tentée par le temporel.
Tout le mal vient de ce que l'âme s'engourdit, s'endort, se pétrifie dans le formalisme, le service extérieur, l'assoupissement de l'esprit.
Dès le début, comme le disait saint Jean de Cronstadt, prends-toi en main, prends possession de ton coeur et agis ! Le monde, ce lieu éloigné de Dieu, c’est la révolte des vanités ou bien, pour celui qui s'en est arraché, le lieu de l'assoupissement. Les deux situations sont pernicieuses face à l'éternité où l’âme vivra avec notre Dieu Saint.
Que tu décides ou non de renouveler à chaque instant ton attention et la fraîcheur de ton âme, ceci ne changera en rien le mode de vie des pères, immuable à travers les siècles ( car ils ont toujours voulu garder sous les yeux l'Être immuable par nature ). Toi, fais comme tu l'entends ! Mais sache que l'Eternel ne changera pas parce que tu te seras fané en te laissant cerner par le brouillard, au lieu d'apprécier et de comprendre l'attitude des pères. Eux ont accepté de renouveler sans cesse la fraîcheur de leur âme. Ils ont atteint ce but qui n'est pas un fantôme mais l'Esprit Vivant. Les autres ont dormi de leur sommeil, et ils n'ont rien trouvé dans leurs mains, tous les hommes avides de richesses (Ps.75,6).
L'âme qui a foi dans le Seigneur fonde sa maison sur Lui et sur l'oeuvre qu'Il a créée pour elle. Il lui a ouvert la voie, elle Le sait et s’y engage. C'est l'oeuvre de sa vie. On constate cela chez tous les pères sans exception. Agis ainsi et tu ne t'endormiras pas, tu ne seras pas attiré par les choses du monde. Il n'y a jamais eu d'autre voie de salut. Le don immense du salut se trouve dans l'éternité, et non dans la vie terrestre, cette terre lointaine et éloignée de Dieu, où tout est pesant et étranger pour l'âme. Le labeur et l’effort sont nécessaires, il faut se réveiller et oeuvrer. Il faut se régénérer par le labeur et faire avancer l'oeuvre du salut en traversant le champ de cette vallée des larmes qu'est la vie terrestre.
O mon âme, garde avant tout ta liberté, conserve ta fraîcheur dans ce monde de pesanteur, d'hypnose, d'injustice, dans cette terre lointaine qui ne cherche pas de salut. Vous n'êtes pas de ce monde, comme Moi Je ne suis pas de ce monde ! Le service de Dieu requiert un esprit particulier. L’âme doit rechercher la fraîcheur de l'éternité; elle doit mener constamment une vie qui ne soit pas de ce monde.
L'homme qui comprend le sens de l'oeuvre du salut, qui voit comment Dieu a organisé la nature humaine et répondu aux besoins de l'humanité déchue, qui perçoit ce qui attend l'âme dans l'éternité, celui-là offre à Dieu, en plus de ses oeuvres, une oraison qui n'est rien d’autre qu'une louange emprunte de gratitude. Il remercie Dieu d'avoir organisé son salut, c’est-à-dire le chemin par lequel il s'approche de Lui en se libérant de la captivité du monde. Comment l'âme s’entraîne-t-elle à la vie éternelle ? Comment acquiert-elle la croissance spirituelle ? Justement grâce à cette oraison dont le Seigneur a fait don aux hommes. Celui qui croit, qui comprend, et qui met en pratique sera sauvé !
Mais toi ! Regarde ce que tu fais de ton service ! Comment te comportes-tu ? Tu crois mais tu ne pratiques pas ! Comment peux-tu te laisser distraire ? Ne te dirais-tu pas par hasard à toi-même : « Mon service est dépassé ! Il ne me donne plus satisfaction ! Il faut que j'en comprenne le sens ! ». Au lieu d’en comprendre le sens, si tu cherchais plutôt comment faire pour ne pas l’abandonner ? Ô, le service éternel du Père, ce service angélique, dans lequel coule la source de Vie. Ce service, c’est l'oeuvre personnelle du Seigneur, qu'il soit donc protégé ! Mais quoi ? Ma faiblesse est telle que la honte empourpre mon visage : je crois et pourtant je néglige.
C’est dans la nature des choses de ce monde que chacun accomplisse son oeuvre dans la peine. Mais tous remettent leur service dès que se présente un effort, une croix. Pourtant, tu ne rechignes pas devant l’effort, quand il s’agit de manger ou de boire ! Tu voudrais nager dans la mer de la grâce. Grâce à l'oisiveté et à la facilité ? Le labeur au Nom du Christ est le seul que tu refuses d'accomplir, mais pour ce qui est du reste, tu acceptes les efforts !
Tu parles constamment de ton Seigneur bien-aimé et Tout-Pur ; tu ferais bien de faire preuve d'humilité et de patience, de Lui offrir un amour reconnaissant et un service personnel, à Lui qui t'a sauvé personnellement et t'a accordé des aides salutaires : la prière, les sacrements, la foi orthodoxe, l'expérience des pères, une merveilleuse perspective d’avenir, des choses que l'oeil n'a point vues, que l'oreille n'a point entendues et qui ne sont pas montées au coeur de l'homme, des choses que Dieu a préparées pour ceux qui L'aiment (1Cor.2,9). Ceux qui aiment Dieu Le servent avec reconnaissance et amour, et Lui manifestent leur foi et leur ferveur. L'amour grandit en eux de plus en plus jusqu'à atteindre la plénitude de sa stature, les rendant dignes de la vie future. L’amour est grand et puissant. Cependant, l'âme affaiblie par l'oisiveté et les passions est inapte à l'accueillir, à recevoir et à porter la béatitude future, elle est déchirée comme une outre ancienne par le vin nouveau. Sers donc avec ardeur ; engage-toi sur le terrain qui t'attend dans l'éternité ! Si c'est le service du Seigneur qui t'attend, alors sers-Le ici-bas ! Si c'est quelque chose de fort qui t'attend, sois fort toi-même ! Si la foule de ceux qui Le louent et magnifient Son immense bonté offre un spectacle poignant, alors sois toi-même comme un feu. !
Rien dans la vie des pères ou dans l’Evangile ne permet de dire qu'on puisse atteindre Dieu sans un service personnel ! Imaginons une branche qui ne fasse pas partie d’un arbre puissant et fécond, nous ne pourrons pas dire qu'elle participe à la vie de cet arbre. Chaque créature de Dieu participe par son service à la vie commune, en particulier les anges et les saints qui sont appelés dans leur service personnel à prendre part à la vie du Créateur. Cette participation commence par la bonne volonté de l'âme qu'on a invitée en lui disant: si tu veux ! Alors, bienheureux ceux qui sont irréprochables dans la voie, qui marchent dans la loi du Seigneur...Bienheureux les pauvres en esprit... Bienheureux ceux qui pleurent... Bienheureux les doux... Bienheureux ceux qui ont foi dans le seigneur, qui Le suivent de bon coeur, qui acceptent de Le servir.
L'âme doit vivre du don de Dieu. Qu'est-ce que la vie divine de l'âme? C'est le service du Seigneur ! Le Seigneur est l'essentiel de sa vie, la source de sa force, sa lumière, Il lui enseigne avec exactitude ce qu'elle doit faire pour participer à la vie divine et éternelle. Ce qu’elle doit faire, c’est Le servir. Voilà en quoi consiste la vie de l'âme croyante, ici-bas comme dans l'éternité.

DU LEURRE

Pour éviter le leurre dans la vie spirituelle, il faut vivre simplement, Il faut regarder les choses comme elles sont, et tenir compte dans tous nos actes de la mesure véritable de la situation. Saint Séraphin dit d’ailleurs: la vertu n'est pas une poire, on ne peut pas la manger d'un coup. La réussite spirituelle ne peut être atteinte autrement qu’en respectant les règles. Il faut connaître son état personnel, sa stature, et en tenir compte avant d'entreprendre quoi que ce soit. Agir autrement est la racine de tous les leurres.
Quand l'homme ne se connaît pas lui-même, quand il ne tient pas compte de son état spirituel, de sa situation, de sa stature, il emprunte la voie fausse du leurre. Il ne se tient pas dans la vérité, comme dit le Seigneur à propos du diable, et pénètre dans le monde de la fantaisie et de la rêverie, c’est-à-dire dans l'antichambre du leurre. L'évêque Ignace Briantchaninov définit le leurre comme la perte de la vérité. Le leurre commence par une mauvaise appréhension de son état intérieur : l'homme se trompe dans ses comptes, il ne dessine pas bien le plan de sa vie spirituelle, il se fixe des objectifs sans aucun rapport avec son état et ses besoins, il entreprend ce qu'il veut et lui semble nécessaire. Un arbre nouvellement planté ne peut pas donner de fruit : il doit d'abord grandir, puis fleurir, et ensuite seulement, donner du fruit en son temps.
Si certains se sont détournés du bon chemin et ont vu leur esprit s'aliéner (ce qui est justement le leurre, c'est-à-dire la perte de la vérité), sache qu'ils ont souffert ainsi à cause de l'insubordination et de la présomption (Saint Grégoire le Sinaïte). De quoi s’agit-il ? Il s'agit d'incitations qui poussent l'homme vers une activité spirituelle sans aucun rapport avec ce qui lui faut pour croître de façon juste. En raison de son insubordination et de sa présomption, l'homme agit à l'encontre de son état intérieur; il aurait besoin de faire certaines choses et il en entreprend d'autres.
Quand l'homme est ainsi aveuglé, quand il ignore ce qui se passe en lui, quand il ne voit pas sa stature spirituelle, quand il vit dans le noir, quand il ne veut rien savoir, quand il s'imagine que tout va pour le mieux dans sa vie spirituelle, alors il se met à regarder uniquement l'aspect extérieur des oeuvres accomplies par les saints pour leur salut. Mais les saints, eux, voyaient ce qui se passait en eux, ils savaient ce qui leur était nécessaire, et c'est ainsi qu'ils choisissaient les oeuvres correspondant à leur état intérieur, afin de pouvoir s'amender et de combler les manquements qui les séparaient de la perfection. Celui qui ne se voit pas se fixe un but sans rapport avec son état intérieur. L'insubordination et la présomption viennent donc de la méconnaissance de soi.
L'homme qui ne se connaît pas pense pouvoir entreprendre n'importe quelle pratique spirituelle: il choisit bien entendu ce qui est le mieux !!! Il dépense toutes ses forces pour atteindre un but qui n'est d'aucune utilité pour sa croissance spirituelle. En général, non seulement sa pratique est inutile, mais elle est nuisible.
Si la maison brûle, est-il raisonnable de bêcher le jardin, même si cette activité est utile en soi ? Tel est l'homme enténébré qui ne se connaît pas lui-même, qui ignore ce dont il a besoin. Il se lance dans des oeuvres qu'il se prescrit lui-même, sous prétexte que des saints les ont faites avant lui. Mais ces derniers se connaissaient eux-mêmes et agissaient en conséquence, voilà toute la différence. Dans son état de chute, l'homme a généralement une trop bonne opinion de lui-même, il pense que tout va pour le mieux car il ignore ce qui se passe en lui. Il agit selon ses propres critères qui seraient fiables s'il était intérieurement en bonne santé, ce qui n'est justement pas le cas.
Mais alors, comment se soigner quand on ne voit pas sa maladie ? Comment trouver le remède approprié ? La maladie de l'homme déchu, c'est d'agir en tout par amour de lui-même. Ses actes sont partiaux, aussi bien dans le domaine terrestre que dans le domaine spirituel. Ne se connaissant pas lui-même, il s'imagine être bon et en règle. C’est pourquoi il concentre toutes ses forces sur l'objectif agréable qu'il s'est fixé. Il est confiant dans sa ténacité. A cause de cette vision erronée de lui-même, que les pères appellent opinion (partiale), l'homme se fait plaisir et agit avec insubordination et présomption. Ici commence le leurre.
Il importe donc que celui qui veut mener une vie spirituelle juste commence par se connaître lui-même. Mais comment se voir si on n'a pas encore atteint une certaine stature, qui ne vient pas toute seule ? Il faut sans cesse écouter les pères, qui parlent de la chute ! Prenez garde à vous-mêmes, dit le Seigneur dans l'Evangile, scrutez vos actions injustes, vos paroles et vos pensées, et voyez la chute à l’intérieur de vous-mêmes ! Tant que vous ne verrez pas tout ceci clairement et en détails, ne cessez pas de penser que votre état est malheureux, qu’un grand mal se cache en vous, et que ce mal guide négativement votre vie ! Il faut le croire, s'en souvenir et être prudent en parole et en actes. Si on a la conviction que le mal est caché en nous et agit avec force, si l'on tient toujours compte de cela, si l'on s'efforce de le constater en soi dans sa vie même, alors on se tient dans la vérité. Dès lors, on s'humilie, on se fait des reproches, soit parce qu'on voit ses oeuvres et ses pensées injustes, soit parce qu'on est convaincu qu'elles sont ainsi, tout en étant encore incapable de le voir.
Dans ce nouvel état d’esprit, l'homme n'a plus, ni opinion sur lui-même, ni insubordination, ni présomption, il ne court plus le danger du leurre. Connaissant ses défauts, il leur résiste et s'efforce de les vaincre. Alors commence une vie spirituelle juste, dans l'humilité, la tribulation, et le combat contre le mal. De cette vie jaillira la véritable réussite spirituelle, qui rend l'homme agréable à Dieu. Dieu dans Sa miséricorde, cherche à le sauver. Et de quoi ? Du mal et du péché, de la souffrance et de la mort qu'ils engendrent. Le Seigneur ne manquera pas d’envoyer à l’humble la grâce, de l’éclairer, et de guérir la maladie qui provient de la chute.
Dieu résiste aux orgueilleux, mais Il fait grâce aux humbles. L'homme qui reconnaît sa maladie commence une vie spirituelle juste, il se soigne et s’approche de la guérison. Ce qui est juste, c’est de s'approcher de Dieu en combattant le mal. Dans ces conditions, Dieu bénit les oeuvres et éloigne le leurre. Tout ce qu'il fait réussira, car il se complaît dans la loi du Seigneur et médite Sa loi jour et nuit. S'il voit en lui-même qu'il transgresse cette loi, il lutte. C'est pour cela que Dieu, dans Sa bienveillance, lui apporte Son aide.
Le péché n'est donc pas tant dans le fait que l'homme soit dans les ténèbres de la chute, mais plutôt dans ce qu'il n'y prête aucune attention, qu'il n'y croit pas, qu'il ne scrute pas le mal caché en lui pour lui résister, et demeure incurable. Les pères confirment ceci dans leurs écrits : la cause du mal et du péché est la méconnaissance de soi. Connais-toi toi-même, disait Saint Séraphin. Il disait cela à ceux qui entreprenaient des oeuvres sans rapport avec leur état intérieur. Avant tout, nous avons besoin d'humilité, comme ont dit tous les pères. Il n'y a pas d'autre voie que de se faire des reproches à soi-même, et ceci n'est possible qu'avec la connaissance de soi, l'humilité, et le repentir.

DE CE QUE LE COEUR DOIT S'AFFRANCHIR DES VANITÉS DU MONDE

En quoi consiste l'exploit du salut, qui nous élève de la terre vers le ciel ? Cet exploit a lieu quand le coeur abandonne les choses terrestres qui lui sont coutumières et agréables, pour tendre vers Dieu et la vie future. Ceci naît de la foi en la vie éternelle, qui exige du coeur l’abandon du monde à son profit.
Pourquoi est-ce ainsi ? Parce que l'homme vit par le coeur, aime par le coeur, et s'attache par le coeur à ce qui lui est agréable et coutumier. Là où est le coeur, là est l'homme entier. Là où est votre trésor, là aussi sera votre coeur (Mt.6,21). Et le coeur périt dans le péché en s'attachant à la terre, ou plus exactement à ce qui n'est pas agréable à Dieu. Celui qui est attaché à la terre n'est pas attaché à Dieu car on ne peut servir deux maîtres (Luc16,13). Le coeur ne souffre pas le partage : s'il regarde vers la terre, il n'avance plus vers le ciel.
Scrute-toi, et tu verras que dans ce monde, l'homme vit dans la sphère des impressions, des perceptions, des états d'âme, quittant les unes pour aller vers les autres, et ceci, par le coeur. Ainsi, si le coeur aime véritablement le céleste, s'il s'attache à lui de toute sa sympathie et de tout son désir, ce qui est d'ailleurs sa vocation, alors il commence à avancer véritablement vers le ciel. Il se détourne des sensations terrestres qui le maintenaient prisonnier et cesse de vivre pour elles.
Vivre du céleste, c'est quitter ce monde pour le ciel, pour le monde angélique, et devenir un homme céleste ou un ange terrestre. Le coeur de celui qui vit du céleste abandonne la terre. Le propre du coeur est d'avoir du goût pour quelque chose. Le coeur de celui qui cherche le salut a du goût pour le spirituel, comme dit l'évêque Théophane. Fais donc attention à ce que tes agréables habitudes terrestres ne te détournent pas du chemin vers l'éternel, vers le céleste. Quel est l'exploit des saints ? Il réside dans ce que leur coeur abandonne les plaisirs de la vie terrestre pour se tourner vers la vie du siècle à venir, vie dont ils connaissent l'existence par la foi. Ils accablent leurs sens par une vie cruelle.
Le coeur recherche ses habitudes : l'homme doit lui imposer d’aller vers le ciel, par la volonté, la raison et la foi. Cependant, avec le temps, la nouvelle habitude devient agréable, comme dit l'évêque Ignace, et c'est la fin de l'exploit. Le coeur prend l'habitude du spirituel et en vit sans qu'il soit nécessaire de l'y contraindre. Ayant acquis le goût du spirituel, il y trouve sa satisfaction.
C'est ainsi qu’on s’achemine petit à petit, jour après jour, sur la route du ciel, pourvu que le coeur abandonne ses anciennes habitudes. Chacun fait sa propre expérience, mais tous vivent cette transformation, car sur la terre, tous sont sensibles aux mouvements du coeur. La nature humaine est une. Tous naissent sur la terre et tous doivent la quitter pour aller vers l'Eternel.
Sois donc attentif à ton coeur ! De quoi vit-il encore ? De ce qui chez lui doit être refroidi ! Mais pas de façon insensée ! Il lui faut remplacer ses désirs terrestres par le ciel, par ce qui est agréable à Dieu, par ce qui le rapproche de Lui. Le mouvement vers la vie éternelle consiste à refroidir l’ardeur pour la terre, puis à aller vers le meilleur, l’éternité.
Être attentif à son coeur, voilà une pratique salutaire, et voilà la prière de Jésus ! Elle nous garde d’abord dans un souvenir permanent de Dieu, puis dans l'amour pour Dieu. Voilà ce que signifie, vivre avec Dieu. Lorsque l'intérêt pour notre Seigneur se renforce, le coeur quitte la terre : c'est ce qu’on appelle la pratique. Tu dois savoir cela, tu dois t'en souvenir et le mettre en oeuvre. Alors tu te trouveras sur le chemin du ciel.
Les hommes deviennent héritiers des vanités car la chute les a détachés du ciel. Leur coeur lui-même se met à vivre pour la terre. Il n'y a pourtant que deux possibilités, on ne peut y échapper : ou bien on ferme les yeux afin de ne vivre que pour la terre, ou bien on accepte de voir comment se terminera notre vie en ce monde et on apprend à vivre pour le ciel, pour l'éternel.
Comment vivre pour le ciel quand le coeur, transformé par la chute, s'est attaché à la terre ? Il faut guérir le coeur, le refroidir pour les choses de ce monde et allumer en lui le feu céleste. Il ne faut pas laisser ce coeur malade sans attention, il faut le purifier de tous ses attachements terrestres. La vanité de ce monde vit dans l'homme aussi longtemps que cette purification n'est pas accomplie. Cependant, les vanités terrestres sont utiles car elles révèlent la captivité du cœur : sans elles, cette captivité resterait cachée et le coeur ne pourrait aucunement être libéré. La captivité ne peut pas s’en aller d'elle-même, c'est pourquoi il est bon que sa présence soit liée à celle des vanités terrestres jusqu'à ce que le coeur soit définitivement purifié. Tant que tu vis du terrestre, tu ne vis pas de l'éternel. Mais si tu cesses de jouir du premier, tu connaîtras la béatitude.
L'homme s'imagine être tombé par hasard dans le filet des vanités terrestres. Dans sa déraison, il croit pouvoir s'en libérer sans avoir purifié son coeur. D'accord, tu parviendras à te libérer des oeuvres de ce monde, et après ? Ton coeur sera toujours captif, car tu gardes l'attachement aux choses d'ici-bas. Pourtant, la terre avec les oeuvres qu'elle renferme sera consumée (2Pi.3,10). Qu'adviendra-t-il de ceux qui y demeurent attachés ?
A quoi conduit un affranchissement prématuré des vanités terrestres? A l'incurabilité et à la perdition. Les oeuvres de ce monde sont appelées vanités uniquement si elles sont accomplies sans le souvenir de Dieu, sans penser au salut. Si l'homme est attiré par elles et délaisse la pratique libératrice mentionnée plus haut, alors elles ne sont vraiment que vanités. Au contraire, les oeuvres de ce monde accomplies avec la pratique intérieure ne sont plus vaines, car elles permettent de s’affranchir de la captivité. Si ton coeur reste attaché à la terre, tu ne pourras pas le remodeler pour le ciel; les chaînes subsisteront qui interdiront ta libération.
La vanité abat tous ceux qui commettent l'iniquité; ils périront dans les siècles des siècles (Ps.91,8), leur attachement deviendra manifeste et impossible à déraciner.
Ainsi, quand tu recherches l'hésychia, sache que ce ne sont pas les conditions extérieures qui te retiennent, mais l'attachement caché de ton coeur aux choses de la terre. Quel profit pourrais-tu tirer de l'hésychia dans ces conditions ? Quel intérêt à te priver de telle ou telle activité terrestre? Tu demeureras captif, tu ne seras pas guéri, et tu verras s'évanouir toute possibilité de purification. Tu n'es pas encore attiré par le céleste, les choses du ciel ne l'emportent pas chez toi sur celles de la terre, et néanmoins tu évites la purification du coeur qui te conduirait sur la bonne voie. Le désert en lui-même ne purifie pas des passions, il les endort. Le sommeil ne signifie pas la disparition des passions: qu'adviendra-t-il quand la tentation les réveillera ?
C'est pour cela que tu ne dois pas méconnaître l'utilité des oeuvres terrestres liées à la pratique. Si l'hésychia ne t'est pas donnée, ne cesse pas pour autant de t'y préparer en te purifiant. Se purifier consiste à voir ses attachements puis à les extirper du coeur par les oeuvres. Les attachements vivent et agissent en elles et s’y montrent clairement. Bien sûr, l'abandon des oeuvres terrestres pour Dieu a aussi pour effet d'affaiblir les attachements et de les détruire, ce qui est nécessaire. Cependant, puisque les passions existent, il est bon de les laisser se manifester afin de refuser de les satisfaire, et ainsi de purifier le coeur.
Dieu règne sur le coeur. Tant que les passions agissent, il est facile de les déraciner. En revanche, des passions cachées restent tapies dans le coeur et ne peuvent être arrachées. C'est pourquoi les oeuvres sont nécessaires.
Comment agir avec sagesse ? Quand une passion est encore puissante, il ne faut pas pénétrer sur son terrain au risque d'être englouti, il faut la laisser se manifester juste assez pour avoir la force de la contenir et de la rejeter du coeur. Les passions grandissent quand le coeur les accepte, et elles croissent en proportion du consentement. Si le coeur les rejette, elles disparaissent, car elles n'ont pas d'existence propre. Etant l'expression de la volonté dépravée, elles finiront par être détruites. Le coeur leur donne vie ou bien les annihile. Voilà ce qu’est pratique des oeuvres.
L'enseignement de Saint Jean Chrysostome dans son prologue au 15 novembre aborde ce sujet. Il nous rappelle que Dieu accorde aux hommes ce qu'ils désirent parce qu'ils n'ont pas voulu de la nourriture éternelle et se sont attachés à cette vie temporelle. Cet attachement, c’est l'inclination du coeur vers le terrestre, ses habitudes et sa jouissance, de sorte qu’il reste froid devant le céleste. Comment pourrait-il atteindre le ciel dans ces conditions ?

DE LA PRIÈRE DE JÉSUS

Cette prière a de nombreux degrés, depuis le plus modeste jusqu'à l’infinie perfection. Il importe de s'assurer que l'âme s'approprie cette prière en faisant un retour sur elle-même dans l'attention, en tendant vers le coeur.
L'homme a deux centres:
- L'intellect, avec l'attention, la réflexion, le discernement, la mémoire, la représentation des objets et concepts. L'intellect est situé dans la tête.
- Le coeur, avec la connaissance spirituelle de soi-même et des différents états de l'âme.
L'homme est fendu en deux par le péché. Ce qui auparavant était uni en une seule vie commune ne l’est plus. L'homme est dédoublé, tout se passe comme s'il s'était perdu lui-même. La chute a plongé sa vie intérieure dans une maladie anormale.
Quand l'homme se rétablit de la chute, les deux centres de sa vie intérieure s'unissent: lorsque l'esprit s'unit avec l'âme, il se remplit d'une joie ineffable, comme dit Saint Nicéphore. La prière de Jésus rétablit la santé de l'âme, elle purifie les parties séparées, elle réunit à nouveau l'esprit et le coeur.
Cette ré-union s'accomplit à tous les stades de la prière de Jésus, depuis les débuts jusqu'à la perfection. Il faut le savoir quand on la pratique, et pour cela il faut rentrer en soi-même en prononçant la prière (en esprit ou oralement), de façon à attirer l'attention vers le coeur.
Si au début on ne voit pas exactement où se situe le cœur (spirituel), il suffit de savoir qu'il bat là quelque part, et de diriger l'attention vers lui. L'essentiel est de ne pas laisser l'attention vagabonder, comme cela arrive quand l'esprit est distrait. Il s'agit de circonscrire l'incorporel dans une demeure corporelle, comme dit Saint Jean Climaque.
L’attention peut perdre toute retenue, partir n'importe où, dans diverses directions, se fixer sur tel ou tel souvenir, s'attarder sur une situation récente ou éloignée, voyager dans des pays lointains, s'élever dans les étoiles pour examiner les corps célestes, revenir à elle-même l’espace d’un instant, se fixer sur une partie quelconque du corps puis sur une autre, bref, errer. Il faut le savoir et apprendre à la surveiller, la rappeler quand elle s'est éloignée, la faire revenir dans le coeur, lieu qu'elle doit occuper pendant la prière de Jésus, afin de rendre cette prière efficace.
L'attention doit donc descendre dans le coeur afin de pouvoir pratiquer la prière sans distraction. Le coeur est le refuge légitime de l'esprit, le lieu où il doit demeurer pour échapper aux influences extérieures. Nous n'avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les dominations, les autorités et contre les princes de ce monde (Eph.6,12). Si les ténèbres envahissent le monde, fuyons-le, car nous n'avons rien de commun avec les ennemis de Dieu. N'aimez pas le monde...Tout ce qui vient du monde, la convoitise...ne vient point du Père (1Jn.2,15-16). Imitant nos pères, recherchons le trésor enfoui dans nos coeurs. Il ne peut y avoir de réconciliation avec Dieu si nous ne revenons pas d'abord à nous-mêmes : la prière recherche la réconciliation avec Dieu, elle élève vers Lui l'esprit et le coeur. C'est pourquoi il est nécessaire de commencer par revenir en soi-même pour réunir l’esprit et le coeur.
Pendant la prière, l’attention doit quitter le monde, puis écouter le coeur et s'y arrêter. Elle doit aller de l’extérieur vers le corps, puis se poster en un lieu précis situé au-dessus du coeur, et enfin regarder dans la profondeur du coeur. Elle doit rester immobile, sans vagabonder en divers endroits, notamment vers le bas. C'est ainsi qu’elle pourra s’élever vers le Seigneur.
La prière se greffe alors sur le coeur, elle devient prière du coeur, propriété de l'âme, habitude salutaire et bienheureuse qui ne tarde pas à devenir une nécessité permanente. Elle unit en esprit l'homme qui prie au Seigneur. Mon âme s'est attachée à Toi et Ta droite m'a saisi (Ps.62,9).
Celui qui n'écoute pas le coeur pendant la prière ne peut pas arrêter ses pensées, et celles-ci s'attacheront à l'âme pour distraire la prière. Reste donc à la maison ! Sois attentif quand tu pries, enferme ta conscience dans ton coeur, n'oublie pas que le Royaume est à l'intérieur ! Le Royaume de Dieu est au milieu de vous (Luc17,21). Le coeur est le refuge légitime de l'esprit, c'est un don du Seigneur, que pourrais-tu trouver de mieux ?

QU'EST-CE QUE L'OEUVRE DE L'ESPRIT ?

Lors de notre baptême, l'Esprit agit mystérieusement en nous de deux façons. Son oeuvre est l'action de la grâce dans celui qui prie, et elle est conjointement la puissance du feu spirituel. L'oeuvre de l'Esprit s'accomplit pendant la prière du coeur, lorsqu’interviennent simultanément le labeur de l'homme et la grâce. Alors s’accomplit l’union de la liberté de l'homme avec la volonté de Dieu, l’union de l'esprit avec le coeur. L'homme, dont le champ d'activité libre et raisonnable est l'esprit, écoute alors le Seigneur, et la grâce du baptême qui demeure dans l'âme agit sur l’esprit du fidèle à travers la prière. Il y a donc action simultanée de l'homme et de la grâce, chacun dans son domaine. C'est la prière du coeur. C'est à ce moment-là que s'embrase le feu de l'Esprit. L’homme fait l’effort de chasser les pensées pour écouter l’Esprit, il dirige son propre esprit vers Dieu l’Indescriptible, approche de la grâce qui vit dans son coeur, et perçoit son action en lui. C'est l'union dont parle Saint Grégoire le Sinaïte.

GARDER LA PURETÉ INTÉRIEURE

Le lieu de la pureté, c'est le comportement extérieur. C’est pourtant clair ! Tu veux la pureté ? Rencontre-la là où elle est. Si l’impureté se présente et te tente de façon perceptible, ton comportement résolument désapprobateur à son égard sauvegardera la pureté de ton coeur. En présence de l'impur, la désapprobation du coeur place l’homme au-dessus de la souillure, dans le lieu de la pureté. Paradoxalement, c’est quand l'impureté assiège l'âme que la véritable pureté s’installe dans le coeur. Comment voir autrement si tu la désires vraiment ?
C'est ainsi. C'est admirable. C'est justement ce qui convient aux êtres terrestres qui, à cause de leurs conditions de vie, ne peuvent éviter de rencontrer l'impureté. Celle-ci ne peut pas leur nuire tant qu'ils la repoussent de toute leur volonté.
Il n'y a qu'un pas jusqu'à la pureté : la conscience doit seulement savoir à quoi s'en tenir quand l'impureté se présente. Agis comme il faut et tu ne subiras pas de dommage !

LE PÉLERINAGE TERRESTRE

Qu'il est pénible de vivre dans les soucis ! Cette vie semble manquer de sens ! C'est ce qui arrive quand on mise tout sur elle. Mais si, selon les paroles de l’Apôtre, on use de ce monde comme ceux qui n'en usent pas (1Cor7,31), si on ne se considère que comme un pèlerin sur cette terre, si les choses ne pénètrent qu'à moitié dans notre coeur, alors tout devient facile ! Agis en cette vie comme si tu étais mort depuis longtemps ! Alors ton coeur sera libre de vivre pour son espérance, pour cette réalité dont il se persuade davantage chaque jour. Pour celui qui pense à l’éternité, cette vie ne mérite pas davantage que d’être traversée. C'est pour cela qu'elle existe, pour être un lieu de passage pour ceux qui courent vers l'éternité dans la foi en leur Créateur, qui les appelle par la promesse des biens futurs. Cette apparente légèreté est en fait la juste compréhension des choses, établie par l'expérience. L'homme qui ignore cette vérité trouve la vie pesante à chaque pas, il est constamment déçu.
Celui qui cherche le salut doit s’opposer au monde tout en y vivant, afin de se préparer à la mort, au départ. Le pèlerin doit s’affranchir de tout ce qui entrave sa course vers la patrie céleste. Cherchez les choses d'en-haut où se trouve le Christ, songez aux choses d'en-haut(Col.3,12). Le Christianisme, c'est l’éloignement du monde, c’est une autre vie, éternelle. N’oublie pas l'essentiel, le sens de l'oeuvre du Christ, la vie éternelle !
User de ce monde sans en user ! Vivre dans ce monde tout en s'éloignant de lui, voilà la volonté de Dieu pour nous ! Le Christianisme conduit au ciel : vous n'êtes pas de ce monde. Celui qui Me sert, qu'il Me suive...Mon Royaume n'est pas de ce monde !
Ne perds pas de vue le sens de ce monde temporel. Il convient de profiter des oeuvres terrestres pour en tirer la force de quitter l'extérieur pour gagner l'intérieur, l'éternité où siège le Christ.

DEVENIR COMME DES ENFANTS

En quittant le monde pour la vie intérieure, l'esprit fréquente d'abord un lieu situé à la surface du cœur : là se cachent les esprits du mal qui agissent avec méchanceté et violence. L'esprit a besoin alors d'une aide particulière qui lui sera toujours accordée. Cette aide, les pères nous la révèlent : c'est la prière de Jésus (Par mon Nom, les démons seront chassés). Saint Théophane le Reclus rappelle que la vie spirituelle est une vie intérieure, à laquelle le Seigneur Lui-même apporte Son aide. Et contre les démons, une grande aide est nécessaire.
L’homme, de son côté, doit parvenir à l’état d'enfance, afin de recevoir cette aide plus complètement et plus sûrement. Il doit adopter une attitude vraie, il doit pouvoir dire: « je ne sais pas, je ne peux pas, c'est nouveau pour moi ! ». En effet, la façon spirituelle d'agir est vraiment différente.
Quand on rentre en soi-même pour emprunter le chemin de la patrie céleste, une aide particulière est indispensable, car là vivent les reptiles sans nombre (Ps.103,25). Cette aide permet d'approcher le Seigneur, qui déclare : vous n’êtes pas de ce monde; Si quelqu'un Me sert, qu'il Me suive (Mt.18,4). Ceci est tout à fait nouveau, c'est pourquoi il faut se tenir devant Dieu comme une fourmi, comme un enfant qui balbutie. Il faut adopter un mode de vie particulier, proche de Dieu, une sorte de nouvelle enfance, même chez l'homme âgé.
Un nouveau mystère se révèle ici : l'homme est appelé à recevoir, et à son insu. Celui qui rejette le don de Dieu sera dénoncé au grand jour ! L'humilité, c'est attribuer à Dieu tout ce qui est bon : voilà la vérité ! Pourquoi te glorifies-tu comme si tu n'avais pas reçu ? Tout ce qui est bon pour l'homme, tout ce qui le vivifie, lui est donné ! Mais le remarque-t-il seulement ? Ne pense-t-il pas, dans son ignorance, qu'il l'a gagné lui-même par son labeur ? L'humilité est la juste attitude, alors que l'orgueil n'est que folie, puisque l’orgueilleux ne comprend pas la réalité des choses.
Si vous ne vous convertissez pas et si vous ne devenez pas comme des enfants, vous n'entrerez pas dans le Royaume des Cieux !
Tant que l'homme ne s'est pas converti, il vit selon l'intelligence commune : Je fais, et Je produis tout dans ma vie ! Mais regarde de plus près : ton intelligence, ton métier, ton nécessaire, ton adaptation aux circonstances, tout ceci est venu vers toi sans le secours de tes capacités, selon d'autres lois que les tiennes ! Qu'as-tu fait pour recevoir ? Tu as seulement désiré et tendu la main, et Celui qui veille constamment sur toi t'a tout donné ! Et c'est justement Lui que tu ne remarques pas, quand tu penses avoir tout acquis de toi-même. pourtant tout existe indépendamment de toi, rien ne t'est soumis !
Comme tout cela change radicalement les choses ! Demandez et il vous sera donné. Les enfants aussi demandent, ils tendent la main avec confiance, ils aiment et pleurent, car ils ont compris la vérité. Voilà comment l’orgueil de la vie doit se tourner vers le salut, vers le sentiment d'une nouvelle enfance, vers les larmes. Il faut vivre une autre vie que celle dans laquelle on a été éduqué. Cette vie commence par la simplicité primitive de l'enfance. Dès qu’on a compris cela, on se convertit pour devenir véritablement un enfant. Celui qui refuse ceci n'entrera pas dans le Royaume des Cieux. Le Royaume requiert une autre compréhension, une autre disposition, une autre adaptation. L'approche de l'orgueilleux est tout autre: « je veux, je peux, je prendrai ! ». C’est l’attitude courante dans ce monde. Mais c'est l'attitude opposée qu'il faut viser. Tout émane du Donateur de Vie : Il accorde l'existence et des possibilités illimitées à celui qui fait Sa volonté.
La frontière entre ce monde et le Royaume des Cieux est dans cette seconde enfance, qui ouvre la porte d’un ailleurs, d’un autre mode de vie. Il faut passer du prendre au recevoir, de sa volonté propre à la volonté vivifiante, de la vie où je suis l'acteur principal à celle où Dieu est l'acteur principal. Voilà des conditions très nouvelles, un recommencement par l'enfance, par la reconstruction de l'âme conformément à un autre mode d'existence dans lequel s'accomplit le salut.
Prier deviendra facile. Il suffira de laisser de côté son moi, sans essayer d'en conserver la moindre parcelle, car il ne convient pas de résister. Ceci n'empêchera pas de vivre pleinement cette nouvelle existence. Mais pour recevoir ce qui est proposé par le Seigneur, il ne faudra pas ajuster une pièce de drap neuf à un vieil habit, mais au contraire abandonner librement la totalité, se convertir comme un enfant.
(Hieroschemamoine Séraphim est un moine russe qui a vécu en ermite entre le 19ème et le 20ème siècle au Mont Athos.)

2 commentaires:

Henri Barthas a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
B. a dit…

Bonjour,

L'image est vraiment une image de paix. Je me permets de l'emprunter pour illustrer le Cantique d'Ezékias, que j'ai mis sur mon blog.
Je mets un lien vers votre site (sur l'image) de façon à ce que les sources soient connues.

Votre site est beau, et plus belles encore les voix qui mettent la paix dans mon âme. (la vidéo)

Je ne suis pas orthodoxe, mais je voulais savoir... connaissez-vous Abbesse Thaisia ? J'ai lu de ses écrits, et je l'admire beaucoup.