mardi 12 janvier 2010

HOMELIE SUR LA NATIVITE


(De Saint Dimitri de Rostov)

En ce jour, le céleste Messager de la Bonne Nouvelle vient annoncer aux bergers de Bethléem le signe de l'arrivée du Sauveur dans le monde : « Aujourd'hui vous est né un Sauveur, qui est le Christ Seigneur, dans la ville de David. Et ceci vous servira de signe : vous trouverez un Nouveau‑Né enveloppé de langes et couché dans une crèche ». On pourrait penser que ce n'est pas là un bien grand signe que de voir un petit enfant emmailloté, situation plutôt banale quand on vient au monde... C'eût été un bien plus grand signe si l'Ange s'était appuyé sur un témoignage persuasif et incontestable de la naissance du Christ, s'il avait évoqué quelque chose d'inhabituel, comme l'étoile apparue aux Mages en Orient, ou comme cette vierge dans le soleil tenant en ses bras un petit enfant, que la Sibylle avait montrée à Auguste. Toutefois, si l'on accepte d'examiner avec une attention raisonnable les mystères qui s'accomplissent autour de ce petit Enfant emmailloté et couché dans une crèche, on verra à quel point le signe évoqué par l'Ange pour attester la naissance du Sauveur est grand...

Rien de banal ici, répétons‑le ! La naissance de ce petit Enfant fait resplendir dans le monde la lumière de la connaissance, lumière plus étincelante que celle des étoiles et du soleil, ces langes sont plus grands que les nuées, cette mangeoire, en qui repose le Christ, le Dieu que rien ne saurait contenir, est plus vaste que les Cieux. Tournons nos yeux spirituels vers cette petite enfance du Christ puisqu'apparaît sur la terre pour renouveler notre nature vétuste, Celui qui a créé les siècles et préparé pour nous le salut, de toute éternité !

Vous trouverez un Nouveau‑Né, dit l'Ange... Mais selon la prophétie de David sur la venue du Messie, on s'attendait plutôt à voir le Christ venir au monde comme un géant : Lui‑même est comme un époux qui sort de Sa chambre nuptiale ‑ le sein de la Toujours‑Vierge ‑, Il a bondi d'allégresse, tel un géant, pour parcourir Sa voie (Ps.18,6). Et pourtant, nous trouverons là une véritable cause d'émerveillement, car la naissance du Christ s'avère 'étrange et surnaturelle : sa petite enfance en effet ne ressemble en rien a ce que connaissent les autres petits enfants. Ceux‑là viennent au monde faibles, inconscients, sans force, ignorants, et c'est après un certain temps que la vigueur et la raison commencent à poindre puis croître en eux. Mais notre Seigneur Jésus Christ naît avec cette puissance et cette raison. C'est pourquoi l'Ange annonce un signe encore jamais vu en ce monde : un petit Enfant né avec une force invincible et une sagesse inconcevable. L'Eglise, avec le Prophète Isaïe, ne passe d'ailleurs pas cette force sous silence quand elle chante son Dieu puissant, Seigneur, et Prince du monde (Is.9,6).

Il est dit quelque part que le lion se fait connaître par ses griffes. Ainsi le Christ, le lion de la tribu de Juda, se fait aussi connaître par ses jeunes griffes, Lui le Seigneur fort et puissant, puissant dans le combat. Mais en quoi réside donc la grande puissance de ce Nouveau‑Né ? Ecoutez ! Dès que la nouvelle de la naissance commence à se propager, Hérode est troublé et Jérusalem avec lui ! L'enfant ne parle pas encore et Il effraie déjà ceux dont on trompette le nom sur toute la terre ! Il est encore dans les langes, et Il fait déjà peur aux bourreaux armés ! Il n'est que dans une mangeoire, et Il fait trembler celui qui siège sur un trône royal !

Certains médecins particulièrement expérimentés prétendent que les nourrissons appelés à devenir des personnages illustres et glorieux, comme des rois ou de vaillants généraux, manifestent déjà par leurs jeunes griffes le signe de leur puissance et de leurs futurs exploits. Périclès, dit‑on, n'était pas encore né qu'il effrayait déjà les Grecs dans des visions et des songes. Alexandre n'avait pas vu le jour que tous l'appelaient fils d'Ammon et prince du royaume. Les fourmis mettaient des grains de blé dans la bouche du jeune Midas endormi, prédisant les innombrables richesses du futur roi de Phrygie.

De la même façon, alors qu'Il n'est encore qu'un Enfant nouvelet, notre Roi et Maître manifeste par des signes Sa puissance et Ses hauts faits à venir. Il donne un avant‑goût des richesses préparées pour ceux qui L'aiment quand Il reçoit d'un pays lointain de l'or, de l'encens et de la myrrhe. Il manifeste Sa future victoire sur la mort et sur le diable et Son triomphe sur l'enfer quand il jette Hérode et tout Jérusalem dans le trouble et les tremblements. Ce pouvoir qui devait échoir à Son humanité, et dont en son temps Il dira lui‑même « Tout pouvoir M'a été donné dans le ciel et sur la terre » (Mt.28,18), Il le manifeste déjà par un signe en faisant des anges et des bergers Ses serviteurs, et des princes de l'Orient Ses adorateurs. Tous les rois de la terre L'adoreront (Ps.71,11), prophétisait David, et voici qu'Il apparaît déjà comme le Souverain de ces trois rois de la terre qui Lui offrent leurs présents. C'est avec lyrisme que le grand hiérarque de l'Eglise d'Hippone aborde ces événements : « Tels sont les signes de Ta Nativité, Seigneur JésusChrist ! Avant même que les vagues de la mer ne se couchent sous Tes pieds lorsque Tu marcheras sur les eaux, avant que les vents ne se calment par Ton ordre, avant que les morts ne se relèvent par Ta parole, que le soleil ne s'obscurcisse quand Tu mourras, que le terre ne tremble quand Tu te relèveras du sépulcre, que le ciel ne s’ouvre lorsque Tu y monteras, avant même toutes les choses merveilleuses que Tu accompliras, Tu es déjà reconnu comme le Seigneur du monde entier, dans les jeunes années de Ta chair, porté par les bras maternels ! » Quelle puissance chez ce Petit Enfant, quelle force chez notre Seigneur Jésus‑Christ qui dès l'enfance apparaît clairement comme le Dieu Puissant et le Maître !

En vérité, la puissance de Dieu s'accomplit dans la faiblesse. Nous voyons déjà dans les membres du petit Enfant la grande puissance de Jésus‑Christ ! L'Eglise compare d'ailleurs le Seigneur qui naît à un agneau, et elle Le chante ainsi dans l'Acathiste à la Mère de Dieu : « Les bergers entendirent les anges chanter la venue du Christ en la chair ; et, courant vers Lui comme vers leur pasteur, ils Le contemplaient tel un agneau immaculé paissant sur le sein de Sa Mère, et ils Lui chantèrent cette hymne : réjouis‑toi, Mère de l'Agneau et du Pasteur ! » Le Christ naît d'une Vierge tel un agneau, mais quelle force dans cet Agneau, quelle puissance ! Une puissance invincible en vérité !

Dans sa vision de l'Apocalypse, saint Jean le Théologien contemple divers monstres ‑ dragons surgis de la mer, de l'abîme, du désert ; êtres à l'aspect effroyable, aux multiples et terribles têtes ouvrant des gueules pleines de venin mortel. Toutes, est‑il écrit, se soulèvent contre l'Agneau (Ceux‑là menèrent un combat contre l'Agneau). L'issue semble inéluctable : la plus insignifiante de ces bêtes ravira l'Agneau pour Le dévorer, sans même laisser aux plus monstrueuses l'opportunité de lutter. Et pourtant, telle est la force de l’Agneau qu'Il résiste à leur ardeur animale, qui bientôt s'effondre et se disloque (l'Agneau les vaincra car le Seigneur est le Seigneur des seigneurs et le Roi des rois). Grande en vérité est la puissance de l'Agneau ! Et l'Agneau, on L'aura reconnu, est le Fils de Dieu ; les dragons et autres monstres, quant à eux, sont les démons et leurs serviteurs. Mais la chose mérite réflexion... Pourquoi l'Ange, qui décrit le combat du Fils de Dieu contre Ses ennemis, ne L'appelle‑t‑il pas par Son vrai nom, Nom qui fut apporté des cieux à la Vierge toute‑pure lors de l'Annonciation, et donné au Seigneur à l'occasion de Sa circoncision ? Pourquoi ne dit‑il pas que les bêtes combattent avec Jésus‑Christ plutôt qu'avec l'Agneau ? Parce que le Christ défait Ses ennemis dès Sa Nativité, sans attendre de recevoir Son Nom ‑ comme un agneau, il repose sur le foin, mais Il brise sans attendre la tête des dragons spirituels, comme un roseau ou un vase de terre. Il est d'ailleurs écrit dans la prophétie : « Donne‑Lui pour nom Prompt Butin‑Proche Pillage, car avant que l'Enfant ne puisse appeler Son père ou Sa mère, Il recevra la puissance de Damas et le butin de Samarie ! » (Is.8,3‑4) Ainsi cet Agneau nouveau‑né n'est‑Il pas encore un lion qu'on dit déjà de Lui : Le Lion de la tribu de Juda a vaincu ! Il n'attend pas d'avoir la force du géant ou la puissance de Samson. Avant même de téter le sein, Il vainc Ses ennemis. Avant d'entendre Son Nom de la bouche de Sa Mère toute‑pure, Il efface du livre de vie le nom des indignes. Avant d'atteindre la stature de l'homme fait, Il renverse les puissants de leur trône. L'Agneau les vainc car Il est Seigneur des seigneurs et Roi des rois. Voici la force de l'Agneau, voici l'invincible puissance de l'Enfant divin qui naît !

Mais l'Agneau naît aussi avec l'intelligence, pas seulement avec la force et la puissance. Il est grand notre Seigneur, grande est Sa puissance et il n'y a pas de mesure à Son intelligence Ps 146,5). A quel autre enfant qu'à Celui‑ci peut‑on appliquer les paroles (Ps.118,100) : J'ai eu plus d'intelligence que les vieillards ? D'habitude, les nouveau‑nés ne comprennent rien ! Et quand ils ont grandi, une éducation s'impose pour qu'ils puissent comprendre quelque chose. Mais l’Enfant‑Dieu était déjà la Sagesse en personne avant Sa Nativité, aussi conserve‑t‑Il pleinement après celle‑ci la profonde sagesse de Dieu. Âgé de peu d'années, Il est, par la sagesse, l'Eternel et l’Ancien des Jours (Dan.7,9). Jeune Enfant, Il naît, mais, comme dit le Prophète Isaïe, Il est aussi le Père éternel (Is.9,5) épithète qui ne convient pas aux jeunes enfants mais aux hommes. Personne n'a jamais appelé père un nourrisson à la mamelle. Toutefois c'est bien ainsi, sans hésiter, que le Prophète qualifie le Christ, afin de montrer que ce petit Enfant détient la même intelligence et la même sagesse que le Père, l'Ancien des Jours. Comme un père très sage à l'égard de ses enfants, voilà comment agit à notre égard cet Enfant céleste né de la toute‑pure Mère de Dieu. Ainsi, aujourd'hui naît vraiment pour nous le Sauveur, et nous nous en laisserons convaincre par ce signe : dès Sa petite enfance, il se montre comme notre Père...

Ecoutons encore comment ce Nouveau‑né est notre Père. A peine dans ce monde, le Sauveur nous fait revenir de la mort à la vie, comme le père de l'Evangile ranime le fils prodigue qui était mort, en se jetant à son cou et en l'embrassant. Pour le fils, le baiser paternel est le signe du pardon des péchés qui causèrent la mort de son âme (la mort en effet pénètre dans l'âme par le péché). Comme le jour succède à la nuit, la lumière vivifiante de la grâce de Dieu se lève sur l'âme après la sombre nuit du péché. Et voici ce qui advient aujourd'hui en vérité : le Christ notre Sauveur nous embrasse par Sa Nativité, Il fait poindre la vie de la grâce sur ceux qui étaient occis par le péché.

Notre Sauveur nous embrasse donc par Sa Nativité, comme il apparaît dans le Cantique des Cantiques, où il est question d'un être épris d'un impétueux désir de Dieu : « Qu'Il me baise des baisers de Sa bouche ! » (Cant. 1, 1) Et si nous souhaitons savoir quelle est cette personne qui désire le baiser de Dieu, écoutons saint Ambroise : « C'est notre nature, notre chair, qui désire que ceci advienne par l'Incarnation du Fils de Dieu. Elle désire un tel amour, une telle amitié. Elle veut Le voir face à face, comme un ami voit son ami , pour déposer sur Sa bouche un saint baiser. » Et le saint d'ajouter : « Comme nous comprenons bien cette chair, imprégnée depuis Adam du venin mortel du serpent et pourrissant dans la puanteur de la transgression ! Ayant su de la bouche des Prophètes que Dieu viendrait pour secouer le mensonge du serpent et déverser la grâce du Saint Esprit, elle supplie : qu'Il me baise des baisers de Sa bouche ! » Et saint Chrysostome d'implorer : « Moi, l'Eglise des païens, je ne veux pas qu'Il me parle par Moïse, Isaïe, Jérémie ou les autres Prophètes. Je veux que Lui‑même me parle Qu'Il vienne en personne et me baise des baisers de Sa bouche J'entends Jérémie dire : le choeur de l'homme est rusé plus que tout, et pervers, qui peut le pénétrer ? Jer. 17,9) Je veux qu'Il vienne en personne et me baise des baisers de Sa bouche ! J'entends Amos prophétiser : le Seigneur se tenait près d'un mur, un fil à plomb dans la main (Am.7,7). C'est Lui‑même que je cherche afin qu'Il vienne me baiser des baisers de Sa bouche ! » Ces paroles des saints Docteurs montrent bien que le baiser donné par Dieu à notre nature n'est rien d'autre que l'Incarnation du Fils. Dans un baiser, la bouche s'appuie sur la bouche ; par l'Incarnation du Sauveur, la nature de Dieu s'appuie sur la nature des hommes et s’unit à elle. Par Sa Nativité, le Christ notre Sauveur nous transmet le baiser paternel, accomplissant la prophétie de David : la justice et la paix se sont embrassées (Ps.84,11). Selon le commentaire d'Euthyme, la justice désigne la nature divine du Sauveur, car Dieu seul est un juste juge. Quant à la paix, elle désigne la nature humaine, car le Seigneur est sincèrement doux. Les deux natures se sont embrassées dans le Christ ; en Lui elles se sont unies dans un parfait accord.

Par le baiser de Sa nativité, notre Sauveur nous redonne vie, Il nous arrache à la mort du péché et nous mène vers la vie dans la grâce divine. On lit dans le Livre des Rois (2Rois4) que la femme sunamite demanda au Prophète Elisée qui se trouvait sur le Mont Carmel de venir chez elle ressusciter son fils défunt. Le Prophète ne se déplaça pas tout de suite. Il envoya d'abord son serviteur Géhazi poser son bâton sur le visage de l'enfant : mais il n'y eut ni voix ni réaction. Alors le Prophète vint en personne voir le mort, il posa ses lèvres sur la bouche du défunt, souffla, et le jeune enfant ouvrit les yeux... Voyez comme la vie fut rendue par le contact d'une bouche sur une autre bouche, comme par un baiser ! En vérité, c'était bien un baiser que le prophète déposa sur la bouche de l'enfant, et le mort en fut ressuscité. Cet événement préfigure l'Incarnation du Christ. La mort, qui était entrée dans le monde par le péché, avait ravi Adam, qui, tel un jeune enfant, commençait à vivre. Et la nature humaine, comme la femme sunamite importuna Dieu ; Seigneur, incline Tes cieux et descends ! (Ps. 143,5) Fais resplendir Ta Face et nous serons sauvés ! (Ps.79,4) Mais le Seigneur Dieu ne vint pas en personne ‑ Il envoya d'abord Ses serviteurs les Prophètes avec le bâton de la Loi, afin de le déposer sur l'enfant, la race d'Adam. Mais l'enfant ne se releva pas, les hommes restèrent assis dans les ténèbres et l'ombre de la mort. Mais le Seigneur vint en personne par Son Incarnation, comme il est dit plus haut, Il appliqua la bouche de Sa divinité sur la bouche de notre humanité, et nous donna vraiment les baisers de Sa bouche. Et l'enfant se redressa, le mort se releva, Adam fut rappelé, Eve libérée, la mort mise à mort, et nous‑mêmes fûmes rappelés de la mort à la vie par la Nativité du Christ.

Ceci n'est pas sans rappeler un ancien récit : un homme bon, voyant son ami percé par l'épée empoisonnée d'un ennemi, s'empresse de lui prodiguer des soins pour guérir la blessure mortelle. Mais voilà que les médecins lui expliquent que le mal est incurable. Non seulement le passage de l'épée a laissé une plaie béante, mais le poison dans lequel l'arme avait été préalablement trempée détruira la chair, contaminant le corps entier. La mort est inévitable, sauf si quelqu'un rachète la vie du mourant par sa propre santé en apposant sa bouche sur la plaie pour sucer le poison. Une telle pratique permettrait au malade d'obtenir promptement la guérison, mais en provoquant le trépas de celui qui aurait extirpé le poison. Mais l'homme aime son ami plus que lui‑même, bien que sa propre vie ne soit en aucune façon amère. Il préfère voir son ami si cher recouvrer la santé plutôt que de conserver la sienne. Aussi aspirera-t-il le poison en apposant sa bouche, guérissant son ami par sa mort.

C'est ainsi que le Seigneur notre Dieu agit aujourd'hui en nous voyant blessés par le glaive du péché que brandit toujours le soldat de l'enfer. Personne ne pouvait guérir notre plaie et nous libérer de la mort sans avoir préalablement extirpé le venin mortel. Il ne s'était pas trouvé de médecin assez parfàit, jusqu'à ce que Lui-même, le Très‑Haut qui siège sur les Chérubins, le Créateur, le parfàit Médecin des âmes et des corps, le Seigneur Dieu, appose Sa Bouche sur la plaie de notre nature par amour pour le genre humain ; Sa Bouche ou plutôt Son Fils. De même en effet qu'il est dit dans l'Ecriture Sainte que l'Esprit Saint est le Doigt du Père (Par le Doigt de Dieu, J'expulse les démons, dit le Seigneur , Luc 11,20), il est aussi écrit que le Fils de Dieu est la Bouche du Père (Par le Verbe du Seigneur les cieux ont été affermis, et par l'Esprit de Sa Bouche, toute leur puissance ; Ps.32,6). Dieu a tant aimé le monde qu'Il a donné Son Fils Unique (Jn.3,16).

Cette Bouche, Dieu le Fils, s'unissant à notre nature blessée, extirpe aujourd'hui le poison du péché en le prenant sur Elle. Celui qui extirpe les péchés du monde porte sur Lui nos péchés et nous guérit en offrant Sa santé. Par ce baiser de l’Incarnation, notre Sauveur, en père sage, en médecin habile, en ami, nous fait naître, dès Sa petite enfance, à une vie dans la grâce.

Regardons de nouveau la petite enfance du Christ ! Dès Sa naissance, le Sauveur détient une puissance invincible et une sagesse inconcevable. Oui, c'est à bon droit que l'ange a parlé aux bergers de la présence d'un petit Enfant comme du signe de la venue dans le monde du Sauveur ! Il ne s'agit pas là d'un nourrisson ordinaire, mais d'un enfant fort, intelligent, puissant et sage. « Et ceci vous servira de signe : vous trouverez un Nouveau-Né enveloppé de langes et couché dans une crèche ».

Les langes du petit Enfant sont eux aussi porteurs de mystère. Saint Ambroise dit que le Christ est emmailloté dans des langes afin de nous débarrasser des cilices de la mort. Voici donc le mystère caché dans les langes du Christ : ils nous font déposer ces cilices lourds de corruption dont la mort nous avait affublés. Mais scrutons avec une sainte curiosité les paroles de saint Ambroise, et cherchons pourquoi il ne mentionne pas une, mais plusieurs enveloppes. C'est qu'il pensait probablement aux deux épaisseurs qui recouvrirent Adam : d'abord les feuilles du Paradis qu'il assembla lui‑même, puis l'enveloppe de peau que Dieu fit pour lui et pour sa femme. Ils cousurent des feuilles de figuier et s'en ceignirent (Gen. 3,7) ; Dieu fit à l'homme et à sa femme des enveloppes de peau et les en revêtit (Gen.3,21). Ces deux vêtements représentent la mort. Le figuier était, selon certains Docteurs, l'arbre dont Adam ne devait pas goûter le fruit ; quant à la peau, elle évoque le cuir d'une bête abattue. Les feuilles de figuier sont donc le signe de la désobéissance d'Adam, l'instrument par lequel il se détacha de Dieu, comme une feuille se détache d'un arbre. La peau, quant à elle, est le signe de l'amour de la chair, de la convoitise animale. Et voici que le Christ, nouvel Adam, est emmailloté dans des langes pour débarrasser l'homme de ces deux cilices, le cilice de la désobéissance, et le cilice de la convoitise animale. Les saints langes figurent donc mystérieusement l'obéissance et la pureté.

Que les saints langes figurent l'obéissance, ceci apparaît clairement dans le discours d'Ambroise, le saint Docteur : « Contemplez le mystère ! Du sein de la Vierge sort Celui qui est à la fois esclave et Seigneur. Esclave par Ses actes, car celui qui se ceint de langes se ceint pour servir ; et Seigneur pour présider. Et ce bon Serviteur s'est acquis un Nom supérieur à tout nom. Ce qui pour certains est cause de déshonneur fut pour le Christ une source de gloire ». Soyons attentifs à ces paroles : Celui qui se ceint de langes se ceint pour servir. Voici donc l'obéissance du Christ qui se manifeste par Ses langes. Celui qui agit et sert se montre par là obéissant. Il convient en effet à l'obéissant de se ceindre, comme le Seigneur l'a Lui‑même ordonné dans l’Evangile : « Prépare‑moi à dîner, et ceins‑toi pour me servir ! » (Lucl7,8) Notre Seigneur prend donc sur Lui le rang de l'obéissance, Lui qui dit : « Je suis venu, non pour être servi, mais pour servir ». Ainsi Il se ceint de langes pour nous servir, : « En vérité Je vous le dis, il se ceindra, les fera mettre à table, et passant de l'un à l'autre, il les servira » (Luc7,37) Par ce service d'obéissance, le Seigneur guérit la désobéissance d'Adam. L'ancien Adam fut désobéissant, mais le nouvel Adam sera obéissant jusqu'à la mort. Ainsi, par les langes de l'obéissance du Christ est ôté le cilice de la désobéissance d'Adam.

Que les langes du Seigneur figurent mystérieusement la pureté, nous le comprendrons si nous examinons pourquoi l'antique Adam fut revêtu d'un vêtement de peau, alors que le nouvel Adam est emmailloté dans des langes de lin que la Vierge toute‑pure a confectionnés d'avance, comme l'atteste la Tradition de l'Eglise.

Il arrive souvent chez les hommes que le vêtement soit conforme à l'état spirituel de celui qui le porte. L'accoutrement manifeste ainsi les dispositions intérieures du coeur (Cf IPi.3,4). Au jour fixé, l'orgueilleux Hérode était vêtu de ses habits royaux (Act. 12,2 1). Ce vêtement correspondait‑il à sa présomption ? Bien sûr que oui, puisqu'ainsi vêtu, il prit place sur la tribune et parla au peuple avec orgueil. L'orgueil des habits manifestait extérieurement l'orgueil intérieur. Jadis en revanche, l'humble reine Esther qui craignait Dieu ne revêtit ses habits royaux, les ornements de sa gloire, que pour se conformer en temps voulu aux usages de son peuple, et ceci sans orgueil, mais après avoir prié trois jours durant en habit de deuil. Les vêtements royaux n'étaient‑ils pas dans ce cas en harmonie avec son âme lumineuse, ses intentions bonnes et pures ? En vérité, c'était ainsi. Comme disent les Ecritures, elle était belle et invoquait Dieu qui voit tout. La beauté du corps correspondait ici à celle de l'âme (Esther 5).

Mais revenons à Adam. Après avoir péché dans le Paradis, il devint comme une bête sauvage, d'homme qu'il était ; cette bête ravit le fruit défendu, et, sauvage, elle prit aussitôt la fuite pour se cacher, comme un animal du désert. Le vêtement de peau convenait donc parfaitement à ce caractère bestial. Saint Grégoire de Nysse dit à ce propos : « Ceux qui ont défiguré leur âme par des moeurs bestiales se vêtent habituellement de peaux de bêtes. Voilà pourquoi l'Ancien Adam était vêtu de peau, et le nouvel Adam emmailloté de langes de lin ». Selon l'avis de Grégoire et d'Isidore, le lin est toujours signe de pureté dans les Saintes Ecritures. Dans l'Ancien Testament, les vêtements des prêtres étaient en lin, à l'image de leur service pur et sans tache. A cela, le bienheureux Jérôme ajoute : « Lorsqu'en nous préparant à revêtir le Christ, nous déposons nos vêtements de peau, nous nous revêtons de lin, matière qui ne présente aucune marque d'impureté. Le lin est donc l'icône de la pureté, à l'instar du Christ notre Sauveur, innocent en actes et pur de cœur sans péché ni fourberie sur les lèvres (IPi.2,22), si pur que les plus pures et les plus lumineuses des étoiles palissent devant Sa pureté, ainsi qu'il est écrit : les étoiles ne seront pas pures à Ses yeux (Job25,5). Ainsi, il convenait d'emmailloter ce petit Enfant si pur, né de la Vierge toute‑pure, non pas dans un vêtement de peau de bête, mais dans des langes blancs de lin pur, pour mettre en évidence l'harmonie entre la pureté extérieure et la pureté intérieure.

Adam était charnel. Il convoitait tant la chair de sa chair qu’il ne voulut pas l'abandonner ; il courut pour cela le risque d'irriter Dieu de la façon la plus terrible. Ainsi, comme la peau solidaire de la chair, Adam et la chair de sa chair courroucèrent ensemble leur Créateur. Leur raison était devenue charnelle, ils revêtirent les cilices de peau.

Le Christ apparut Lui aussi revêtu de la chair, bien que cette chair fût supérieure à toute chair, mais Il fut la source de toute pureté. C'est pourquoi Il fut emmailloté dans des langes de lin, qui n'ont rien de commun avec la chair. Ainsi vêtu, Il détruisit le cilice de peau de l'amour de la chair et de la convoitise animale. Contemplons le mystère des langes du Christ : ils sont des emplâtres sur les plaies de nos péchés, ils essuient les larmes de nos yeux, ils nous lient à Dieu dans une étroite et indissoluble union d'amour.

Mais la mangeoire dans laquelle est couché le petit enfant n'est pas non plus sans mystère. Ecoutons ce que dit Théodoret à ce propos : « Regardez la demeure misérable de Celui qui enrichit le ciel ! Voyez la mangeoire de Celui qui trône sur les chérubins, voyez Sa pauvreté ici‑bas et Sa richesse là‑haut ! Le Dieu riche en miséricorde s'est appauvri pour que nous nous enrichissions de Sa pauvreté. C'est à cet effet que le Roi Céleste s'est couché dans une mangeoire : pour que nous apprenions la pauvreté volontaire et l'humilité ».

A cela saint Cyprien ajoute : « Le Seigneur est allongé dans la mangeoire afin que nous quittions notre vie animale, que nous abandonnions le foin du plaisir pour le Pain Céleste ». Ou, comme dit aussi Thédoret : « Le Verbe de Dieu repose dans la mangeoire afin que les créatures raisonnables et déraisonnables ‑ les saints et les pécheurs ‑ se nourrissent librement et sans contrainte de la nourriture du salut ».

Voici le mystère de la mangeoire du Christ, et voici dévoilé le signe de la venue du Sauveur dans le monde, que l'Ange annonce aux bergers. Un petit Enfant emmailloté et couché dans une mangeoire, mais un grand signe en vérité, un signe plein de mystères, comme nous l'avons entendu.

Que toute la création rende à ce petit Enfant divin né pour nous, honneur, grâce et adoration, et que la Vierge Marie, toute‑pure et toute‑bénie, reçoive gloire et louange de toutes les générations dans les siècles des siècles. Amen .

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