lundi 8 décembre 2008

BIENHEUREUX L'HOMME


Exégèse spirituelle du premier psaume de David.
par saint Ignace Briantchaninov

Il chante, le chanteur divinement inspiré. Il fait vibrer les cordes sonores.
Tant que les bruits du monde m'assourdissaient, je ne pouvais l'entendre. Mais reclus à présent dans le silence et la solitude, je lui suis davantage attentif, et je commence de mieux comprendre son chant. Voici que naît en moi une faculté nouvelle, celle de l'écouter et de le comprendre. Dans les sons qu'il produit, je discerne un sentiment tout neuf, et dans ses paroles, un sens nouveau, étonnant comme la Sagesse de Dieu.
Saül ! Apaise ta colère ! Que de toi s’éloigne l’esprit malin..., chante le saint roi David, faisant sonner son psaltérion.
Saül, c’est mon esprit tourmenté, ballotté par les pensées que lui souffle le prince de ce monde. Mon esprit a été établi par Dieu comme roi et maître de l’âme et du corps, lors de l’institution du royaume d’Israël, lors de la création puis de la rédemption de l’homme. En désobéissant à Dieu, en transgressant Ses commandements, en bravant l’union établie avec Lui, il s’est privé de la grâce et de la dignité. Les forces de l’âme et du corps ne lui sont plus soumises. Il est sous l’influence de l’esprit malin.
Le saint roi David chante, il annonce les paroles du ciel. Les notes de son psaltérion sont des notes célestes. Il chante la béatitude de l’homme.
Frères, écoutons l’enseignement de Dieu que nous révèle le chant divin. Écoutons les paroles et les sons avec lesquels le ciel nous parle et tonne vers nous.
Ô, vous qui cherchez le bonheur, vous qui convoitez le plaisir, altérés de jouissance, venez, écoutez donc le chant sacré, écoutez l’enseignement salutaire ! Jusques à quand vaguerez-vous, cheminant par les plaines et les montagnes, par les déserts et les forêts impénétrables ? Jusques à quand votre incessant et inutile labeur vous fera-t-il souffrir, sans jamais donner aucun fruit, ni conduire à aucune acquisition durable ? Prêtez une oreille docile, écoutez donc comment parle l’Esprit Saint, par la bouche de David, de la béatitude humaine que désirent tous les hommes !
Que tout se taise autour de moi ! Que toutes mes pensées s’apaisent ! Que mon cœur fasse silence ! Que seule agisse en moi une pieuse attention ! Puisse mon âme se pénétrer ainsi de saintes pensées !
David fut roi, mais il ne dit pas que le trône des rois est le siège de la béatitude humaine.
David fut un chef militaire et un héros. Tout au long de sa vie, il mena de sanglants combats contre toutes sortes d’adversaires. Combien nombreuses furent les batailles qu’il livra et les victoires qu’il remporta ! Il repoussa les limites de son royaume depuis le Jourdain jusqu’aux rives de l’Euphrate. Pourtant, il ne dit pas que la béatitude de l’homme réside dans la gloire du vainqueur ni dans celle du conquérant.
Par la force de l’épée, David acquit d’innombrables richesses. L’or s’amoncelait dans ses caves comme si c’eût été du cuivre, et l’on y jetait de l’argent comme s’il se fût agi de fonte. David, pourtant, ne dit pas que la béatitude de l’homme se trouve dans la richesse.
David jouissait de toutes les consolations terrestres ; il ne voyait pourtant dans aucune d’elle la béatitude de l’homme.
Adolescent, David menait en pâture le troupeau de son père Jessé. Un jour, sur l’ordre de Dieu, le prophète Samuel se rendit auprès de lui et l’oignit d’huile sainte ; d’un pauvre berger, il en fit le roi du peuple d’Israël. Pourtant, l’instant de son onction royale, David ne l’appelle point instant de béatitude.
David passa son enfance dans un désert sauvage. Son corps s’endurcit et se fortifia, en sorte qu’à mains nues, il était capable d’étrangler ours et lion. Et son âme se remplit peu à peu de l’inspiration céleste. Les mains qui savaient terrasser le lion et l’ours fabriquèrent un psaltérion. Lorsqu’elles effleuraient les boyaux tendus et accordés par l’action de l’Esprit, des sons harmonieux s’en échappaient, suaves et spirituels. Ses sons s’en furent au loin, ils se répandirent à travers les siècles, repris par des voix innombrables, glorifiant le nom de David dans toutes les parties de la terre, pour tout le temps que dure la vie chrétienne en ce monde. Cette vie dans le désert, si remplie d’admirables exploits, d’inspirations étonnantes, David ne l’appelle pas non plus béatitude de l’homme.
« Bienheureux l’homme », chante-t-il, où qu’il se trouve, quelle que soit sa condition, quel que soit son rang, pourvu qu’il « ne s’en soit pas allé au conseil des impies, qu’il ne se soit pas arrêté dans la voie des pécheurs et qu’il n’ait pas siégé parmi ceux qui propagent le mal » (Ps. 1, 1).
Bienheureux l’homme qui se garde du péché, qui le repousse loin de lui sous quelque forme qu’il lui apparaisse : que ce soit par un acte inique, par une pensée suggérant l’iniquité, par des sentiments conduisant aux plaisirs, à l’enivrement inique.
Qu’une femme faible écarte avec courage le péché, elle est aussi l’homme bienheureux que chante David.
Ceux qui participent à cette béatitude ont atteint l’âge viril selon le Christ, ce sont ceux qui résistent au péché, fussent-ils seulement des adolescents ou des enfants. Le jugement de Dieu est impartial.
« Bienheureux l’homme qui se complaît dans la loi du Seigneur » (Ps. 1, 2), bienheureux le cœur qui a mûri dans la connaissance de Sa volonté, qui a vu combien le Seigneur est doux (Ps. 33, 9), qui a acquis cette connaissance en goûtant aux commandements du Seigneur, qui a uni sa volonté à celle du Seigneur. Bienheureux le cœur embrasé par la ferveur divine ! Bienheureux le cœur qui brûle du désir inassouvi d’accomplir la volonté de Dieu ! Bienheureux le cœur qui souffre à l’extrême pour l’amour de Dieu ! Un tel cœur, c’est le lieu, la demeure, la salle de noces, le trône de la béatitude !
Depuis l’aube, l’aigle est perché au sommet d’un grand rocher, ses yeux perçants sont à l’affût. Puis il s’essore dans le ciel bleu, plane au-dessus des mondes, ses larges ailes tout éployées, guettant sa proie. Lorsqu’il l’aperçoit, il fond sur elle avec la vitesse de l’éclair, l’emporte entre ses serres et disparaît. Il nourrit sa portée, et guette de nouveau, perché sur son rocher ou planant dans l’azur. Ainsi se comporte un cœur blessé par l’amour pour les commandements de Dieu ! C’est dans cet amour que réside la béatitude. Les commandements ne sont pas seulement sources d’effort, ils révèlent aussi l’intelligence spirituelle. « Grâce à Tes commandements, j’ai eu l’intelligence », dit le Prophète. « De tout mon cœur, je T’ai cherché... J’ai couru dans la voie de Tes commandements, quand Tu as dilaté mon cœur... Je méditais Tes commandements que j’ai grandement aimés... Mieux vaut pour moi la loi de Ta bouche, que des monceaux d’or et d’argent... J’ai aimé Tes commandements plus que l’or et la topaze... Dans mon cœur, j’ai caché Tes paroles, pour ne pas pécher contre Toi... J’exulterai à cause de Tes paroles, comme celui qui a trouvé de riches dépouilles... Incline mon cœur vers Tes témoignages, et non vers la convoitise...Conduis-moi sur le chemin de Tes commandements, car je veux le suivre... » (Ps. 118, 104, 127 et 162).
Le soleil se lève, chacun se presse vers ses occupations, suivant son but, ses intentions. Comme l’âme réside dans le corps, il y a une intention et un but en chaque occupation humaine. L’un travaille, tout occupé à trouver des trésors bien périssables ; l’autre cherche à se procurer d’abondantes jouissances ; l’un convoite la vaine gloire terrestre ; un autre encore croit que ses actions doivent servir le bien de l’État et de la société. Mais le favori du Seigneur n’a d’autre but que de plaire à Dieu, quelles que soient ses occupations, quelles que soient ses œuvres. Le monde devient pour lui le livre des commandements du Seigneur. Il lit ce livre en actes, par sa conduite, par sa vie. Plus son cœur lit ce livre, plus l’intelligence spirituelle pénètre en lui, et plus il montre de ferveur pour suivre les chemins de la piété et de la vertu. Il acquiert les ailes flamboyantes de la foi, il commence à juguler toute crainte de l’ennemi, il se permet de franchir tous les abîmes, il trouve l’audace nécessaire pour accomplir de bonnes entreprises. Bienheureux un tel cœur ! Il est en vérité cet homme bienheureux que chante le psaume.
La nuit tombe avec ses ombres, sa lumière diffuse dispensée par les astres nocturnes. Elle rassemble les hommes qui vivent à la surface de la terre, sous leurs tentes, dans leurs abris. Là se trouve l’ennui et le vide de l’âme : on essaie alors d’étouffer sa souffrance par de folles distractions, par l’oisiveté, ou par la bruyante dépravation des mœurs. Alors, l’intellect, le cœur et le corps, ces vases du temple de Dieu, sont utilisés par Balthasar à des fins criminelles. L’esclave des soucis terrestres, des soucis passagers de cette vie, à peine délivré de ses préoccupations journalières, se prépare dans le calme de la nuit de nouveaux soucis pour la journée suivante. Toutes ses journées, toutes ses nuits, sa vie tout entière, sont un sacrifice à l’agitation et à la putréfaction... Une humble veilleuse est allumée devant les saintes icônes, elle diffuse une douce lumière là où se couche le juste. Lui, il vit avec son unique préoccupation qui le consume. Il apporte sur sa couche le souvenir de ses activités accomplies pendant le jour, il les compare avec les Tables, où furent gravées la volonté de Dieu révélée aux hommes, avec les Écritures : il voit toutes ses imperfections, dans ses actions, dans ses pensées, dans les mouvements de son cœur. Il les soigne par le repentir, il les lave par ses larmes, demandant au Ciel des forces nouvelles, une lumière neuve pour renouveler et augmenter ses forces. Une lumière pleine de grâces, une force surnaturelle descend de Dieu vers l’âme, conduisant l’homme à la prière, dans un sentiment douloureux de sa faiblesse, de sa misère, et de la facilité avec laquelle il chute sans cesse. Ainsi, « le jour au jour proclame la parole, et la nuit à la nuit en transmet la connaissance » (Ps. 18, 3). La vie est faite alors de réussites incessantes, d’acquisitions continuelles, éternelles. Celui qui vit ainsi est l’homme bienheureux.
Il sera, cet homme, « comme l’arbre planté près des eaux courantes » (Ps. 1, 3), qui ne craint ni les rayons du soleil, ni la sécheresse ; ses racines sont toujours irriguées, elles n’attendent pas la pluie, elles ne souffrent jamais du manque de nourriture, à cause duquel les arbres qui poussent dans des endroits montagneux et arides sont souvent malades, se dessèchent et meurent.
L’homme pourtant disposé à la piété, mais qui mène une vie dissipée, et qui n’étudie qu’avec parcimonie et superficiellement la Loi du Seigneur, est semblable à cet arbre qui croît, perdu sur les hauteurs, là où les vents et le soleil ont libre cours, qui boit de temps en temps la pluie du ciel, ou que la rosée céleste rafraîchit par à-coups. Quelquefois, c’est la rosée de l’attendrissement qui lui donne quelque fraîcheur, d’autres fois encore, la pluie vivifiante des larmes du repentir inonde son âme desséchée. À d’autres moments, son esprit et son cœur s’animent d’un élan vers Dieu, mais cet état n’est pas ni ne peut être constant. Il n’est pas même continuel. Les pensées et les perceptions religieuses, qui ne s’enracinent pas dans une connaissance totale et claire de la volonté de Dieu, n’ont aucune précision, aucun fondement, et sont pour cette raison, sans force et sans vie.
Celui qui, jour et nuit, étudie les lois du Seigneur, celui-là est semblable à un arbre planté près des eaux courantes. Une eau fraîche abreuve ses racines. L’esprit et le cœur de l’homme (ses racines) sont tournés sans cesse vers les lois du Seigneur, pour lui tourbillonnent indéfiniment les torrents de la vie éternelle, si purs et si puissants. Ces eaux, cette force, cette vie, c’est l’Esprit Saint qui demeure dans les commandements de l’Évangile. Celui qui s’adonne sans faillir aux Écritures, qui les étudie avec humilité, qui demande à Dieu, dans la prière, de lui en accorder la juste compréhension, celui qui dirige toutes ses actions, tous les mouvements secrets de son âme selon les commandements de l’Évangile, celui-là s’unira infailliblement à l’Esprit Saint qui repose en eux. L’Esprit Saint dit Lui-même : « Je fais partie de tous ceux qui Te craignent et qui gardent Tes commandements » (Ps.118, 63).
L’étude des lois du Seigneur requiert de la patience. Elle est le salut de ton âme : « Par votre persévérance », ordonne le Seigneur, « vous sauverez vos âmes » (Luc 21, 19). Telle est bien la science des sciences ! Telle est la science céleste, la science transmise à l’homme par Dieu ! Ses voies sont tout à fait différentes des voies qu’empruntent ordinairement les sciences terrestres et humaines, conçues par notre seule intelligence déchue, par notre état consécutif à la chute. Les sciences humaines s’enorgueillissent, elles enflent l’intellect, amplifient l’ego humain. La science de Dieu se révèle à l’âme qui s’y est disposée, préparée, par le renoncement à soi, qui, à cause de son humilité, abandonne toute indépendance. Telle un miroir, elle n’a aucune image propre et peut, pour cette raison, recevoir et refléter les traits divins. La science divine, c’est la Sagesse de Dieu, c’est le Verbe de Dieu. « La Sagesse élève des enfants et prend soin de ceux qui la cherchent. Celui qui l’aime, aime la vie, ceux qui la cherchent dès le matin seront remplis de joie, celui qui la possède héritera la gloire ; où qu’il porte ses pas, le Seigneur la bénit ; ceux qui la servent rendent un culte au Saint, et ceux qui l’aiment sont aimés du Seigneur; celui qui l’écoute juge les nations ; celui qui s’y applique habite en sécurité » (Sirah 4, 11-15). Voilà la science divine ! Voilà la sagesse de Dieu ! Elle est révélation de Dieu. Dieu habite en elle. On y accède par l’humilité, par le renoncement à son intelligence, car elle est inaccessible à l’intelligence humaine, qui l’a rejetée et reconnue pour insensée. Et lui, son téméraire et orgueilleux ennemi, par manière de blasphème, il la tient pour folie, il s’en scandalise parce qu’elle est apparue aux hommes sur la croix et que de là, elle les illumine. On y accède aussi par l’abnégation, par son propre crucifiement, par la foi. Le fils de Sirah dit encore : « S’il se confie en elle, il l’aura en partage » (Sirah).
La véritable foi, celle qui est agréable à Dieu, en laquelle il n’y a ni ruse ni tromperie, consiste en l’accomplissement des commandements de l’Évangile, en leur implantation permanente et sans relâche dans l’âme, en un combat contre sa raison, contre les sensations impies, les mouvements du cœur et du corps. La raison de l’homme déchu, son corps et son cœur sont hostiles à la Loi du Seigneur. La raison de l’homme déchu n’accepte pas la raison de Dieu, le cœur déchu résiste à la volonté de Dieu. Le corps lui-même, devenu corruptible, s’est forgé, dans la chute, une volonté propre ; et cette volonté lui a transmis abondamment la fatale connaissance du bien et du mal. La voie qui conduit à la sagesse de Dieu est si étroite et si pleine d’afflictions ! C’est la sainte foi qui nous presse d’avancer, foulant et brisant la résistance de la raison, celle du cœur et du corps déchus. Il faut être patient et ferme et constant. « Par votre persévérance vous sauverez vos âmes ». Qui veut récolter des fruits spirituels, que celui-là mène avec patience, jusqu’à son terme, une longue guerre contre le péché, jalonnée de révoltes et de malheurs. Pour voir le fruit de l’Esprit grandir sur l’arbre de son âme, il faut le choyer avec une grande patience et beaucoup de courage.
Écoutons donc encore ce que dit le très-sage : « La Sagesse peut le conduire d’abord par un chemin sinueux, faisant venir sur son élève, crainte et tremblement, le tourmenter par sa discipline jusqu’à ce qu’elle puisse lui faire confiance, l’éprouver par ses exigences, puis elle revient vers lui sur le droit chemin et le réjouit, et lui découvre ses secrets » (Sirah 4, 17-18).
Passent les jours, les mois et les années, et voici qu’arrive le temps connu de Dieu, Celui qui « a fixé le temps et les moments de sa propre autorité » (Act. 1,7). L’arbre planté près des eaux courantes porte son fruit. Ce fruit, c’est la communion vivifiante avec l’Esprit saint, que le Fils de Dieu a promise à tous ceux qui croient en Lui en vérité. C’est un beau fruit, un fruit divin, que ce fruit de l’Esprit ! Il transforme l’homme tout entier. Les Saintes Écritures passent du Livre jusque dans l’âme ; la Parole de Dieu, Sa volonté, le Verbe et l’esprit sont inscrits par un doigt invisible sur les tables de l’intellect et du cœur. La promesse du Fils de l’Homme s’accomplit en lui : « Des fleuves d’eau vive couleront de son sein ». Le Seigneur parle ainsi de l’Esprit que doivent recevoir ceux qui croient en Lui. C’est ainsi que la Sagesse et le Théologie qu’elle dispense se sont exprimées par la bouche du disciple bien-aimé. « Le feuillage d’un tel arbre ne tombe jamais » (Ps. 1, 3). Selon l’enseignement des Pères, les exploits corporels constituent ce feuillage, et ils reçoivent leur récompense, l’incorruptibilité et la vie, après le renouveau, la renaissance de l’âme accomplie par l’Esprit Saint. La volonté d’un tel homme est unie en tout avec la volonté de Dieu. C’est pourquoi Dieu l’aide dans toutes ses entreprises et c’est ainsi que « tout ce qu’il fait réussira »(Ps.1, 3).
Mais l’image qu’offre les impies est tout autre. Le roi David ne les compare pas aux arbres ou à quelque autre chose marquée du signe de la vie. Il les compare bien autrement : « Rien de tel pour les impies, rien de tel, ils seront comme la poussière que le vent emporte de la surface de la terre » (Ps. 1, 4). Impies ! Vous êtes la poussière privée de vie que disperse le tourbillon de l’agitation du monde, tournoyant dans l’air et formant un nuage épais qui cache le soleil et toute la nature.
Ne regarde pas ce nuage ! N’accorde aucune foi aux illusions que créent tes yeux, car, quelquefois, la plus insignifiante des poussières se transforme faussement pour eux en nuage. Ferme-les un instant et le nuage de poussière s’envolera, soufflé par un tourbillon puissant, sans que ta vue n’en soit blessée. Dans un instant, tu rouvriras les yeux et tu chercheras trace de ce nuage, mais il n’y aura plus aucun signe de son existence.
David continue de clamer dans son chant terrible la terrifiante et fatale décision réservée aux impies : « C’est pourquoi les impies ne se relèveront pas au jugement, ni les pécheurs dans l’assemblée des justes » (Ps. 1, 5). Les impies ne participeront pas à la première résurrection que Saint Jean décrit dans son Apocalypse (Apoc., 20), cette résurrection spirituelle qui touche l’âme et la renouvelle pour la vie éternelle, dès ici-bas, sous l’action de l’Esprit Saint qui accomplit tout. L’âme ressuscite, elle se ranime pour la vie en Dieu ! L’Esprit et le cœur s’illuminent, ils communient à l’intelligence spirituelle. Selon la définition des saints Pères, l’intelligence spirituelle, c’est le sentiment de la vie éternelle (Saint Isaac le Syrien, Discours 38). C’est aussi le signe de la résurrection. Au contraire, le raisonnement charnel est la mort invisible de l’âme (Rom. 8, 6). L’intelligence spirituelle, c’est l’action de l’Esprit saint. Elle voit le péché, elle voit son âme et celle des autres, les passions en elle et dans les autres, les filets que tend le prince de ce monde, elle abandonne toute pensée qui s’élève contre la raison du Christ, repousse loin de soi tous les péchés. L’intelligence spirituelle, c’est le royaume, la lumière de l’Esprit Saint dans l’intellect et dans le cœur. Les impies ne se relèveront pas pour ce discernement spirituel, qui ne revient en héritage qu’à l’assemblée des justes. Il est inaccessible et incompréhensible aux pécheurs et aux impies. Il est la vision de Dieu ; or, les cœurs purs seuls verront Dieu (Matt. 5, 8).
La voie des impies est exécrable à Dieu, elle lui est à ce point étrangère et abominable, que Dieu s’en détourne, comme le disent les Écritures. Au contraire, la voie de la vérité est tellement agréable à Dieu, que l’Écriture dit d’elle : « le Seigneur connaît la voie des justes » (Ps. 1, 6). Lui seul connaît, en effet, cette voie. Bienheureuse es tu, cette voie qui conduis vers Dieu, toi qui es cachée en Dieu éternel ! Ton commencement, c’est Dieu et ta fin, c’est Dieu encore. Tu es éternelle, comme Dieu est éternel.
La voie des impies a un triste terme : elle mène au bord d’un sombre et profond abîme, dépôt d’une mort éternelle. À jamais, la voie des impies conduit à la perdition, dans cet abîme terrible où périssent tous ceux qui l’ont empruntée.
« Le Seigneur connaît la voie des justes, mais la voie des impies va à la perdition » (Ps. 1, 6). Bienheureux l’homme qui ne s’en est pas allé au conseil des impies qui ne s’est pas laissé séduire par leur façon de penser, par leurs règles morales et leur conduite, « mais qui se complaît dans la loi du Seigneur ». Voici ce que chantait l’admirable et céleste chanteur. Et l’ermite écoutait ce saint chant divinement inspiré.

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